En ces temps de jeûne, où la gourmandise devient une seconde nature, l'instinct semble avoir pris le pas sur le bon sens de certains consommateurs qui cèdent les yeux fermés aux pièges gustatifs que leur tendent des commerçants visiblement peu scrupuleux. Bien qu'elle soit monnaie courante à longueur d'année, la vente des denrées alimentaires sur la voie publique prend des proportions alarmantes durant le mois de Ramadhan à Béjaïa. Des aliments sensibles sont exposés à même les trottoirs dans le manquement total aux normes d'hygiène, d'étalage et de la chaîne du froid. Ce sont les friandises telles que kelb el louz et zlabia qui tiennent le haut du pavé en la matière en ce mois de consommation démesurée. Et ça marche ! «Vous savez, cela fait des années que je consomme des friandises exposées en plein air, pourtant ni moi ni aucun membre de ma famille ne nous plaignons de quelque mal que ce soit. Ya weldi normal, nous sommes en Algérie, nous avons l'estomac solide», lance sur une note d'humour un quinquagénaire tenant dans sa main un sachet rempli de zlabia. Et son ami confondant culture et incivisme d'abonder dans le même sens : «C'est tout cela qui fait le charme du Ramadhan. Sans ces friandises, Ramadhan ne signifie rien». Bien évidemment, ces affirmations relèvent au mieux de l'insouciance, au pire de l'ignorance des dangers que pourrait induire la consommation de produits dont non seulement on ignore la provenance des fois, mais qui sont écoulés dans des conditions lamentables. «Zeweq t'biâ» En arpentant les rues de la ville de Béjaïa, le phénomène est présent à chaque coin de rue. L'occupation du trottoir est un enjeu de concurrence. «Zeweq t'biâ, orne ta marchandise, et tu vendras mieux», nous dit un restaurateur, converti conjoncturellement dans la confiserie. Son restaurant sis place Daouadji est fermé et c'est sa petite terrasse mordant sur le trottoir qui lui sert d'espace commercial. Y sont exposés des plateaux remplis de toutes sortes de friandises. Et comme l'astuce c'est de faire saliver le passant, aucun de ces plateaux n'est couvert de façon à le protéger des molécules de poussière et autres saletés qui viennent s'y déposer ou des essaims d'abeilles et de mouches qui tournoient tout autour. Pis, durant la journée, tandis que certains commerçants prennent le soin de protéger leur marchandise du soleil à l'aide d'un parasol, d'autres n'y voient aucune nécessité à le faire. Dans les marchés hebdomadaires en plein air, ce phénomène touche notamment les produits animaliers, tels que les viandes rouges et blanches et les œufs. Alors que ces aliments nécessitent un respect strict de la chaîne du froid, on les expose à l'air libre, foulant aux pieds la plus élémentaire des règles régissant leur commercialisation. Consommer des produits exposés dans ces conditions peut s'avérer fatal. «En plus d'être des produits riches en sucres, donc à consommer avec modération, l'autre danger que représente la consommation de produits sensibles écoulés dans l'irrespect des normes de commercialisation peut provoquer de graves intoxications, voire la mort dans certains cas d'atteinte aiguë», avertit un médecin généraliste interrogé sur le sujet. «Le plus grand danger dans tout ça ce sont les molécules de CO2 dégagées par les véhicules, qui viennent se déposer sur le produit, mais surtout la menace que représentent les insectes tels que les mouches ou les cafards qui sont des vecteurs de maladies extrêmement dangereux», ajoute notre vis-à-vis. Et les autorités ? Et les autorités dans tout cela ? Dans un entretien accordé à El Watan (voir interview ci-dessous), le directeur du commerce de la wilaya (DCW) Béjaïa, Amar Yahia Mourad, défend le bilan de ses services et pointe du doigt en revanche l'inconscience du consommateur. «Le consommateur doit prendre conscience de la situation et pénaliser les mauvais commerçants. De notre côté, nous réprimons, nous faisons des PV et des saisies, nous lançons des campagnes de sensibilisation à travers la radio, aux associations et organisations citoyennes de bouger car la loi le leur permet», a-t-il déclaré, non sans évoquer une certaine «amélioration» des pratiques commerciales dans la wilaya. Alors, pourquoi l'anarchie perdure-t-elle ? Le responsable refuse qu'on lui parle d'inefficacité, encore moins d'échec de la DCW dans sa mission de répression des pratiques anarchiques du commerce, alors que tout prête à avancer que c'en est incontestablement un. Car en plus d'être appelée à endiguer la prolifération des pratiques irrespectueuses de la qualité des produits et les normes de la chaîne de distribution, la DCW doit encore faire du chemin en ce qui concerne le contrôle des prix et l'expansion du commerce informel.