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«La culture, une expérience humaine fondamentale»
Bernard Foccroule. Directeur du Festival lyrique d'Aix-en-Provence
Publié dans El Watan le 03 - 07 - 2016

- Dans ce monde troublé, la culture a-t-elle toujours sa place ?
Elle l'a plus que jamais. L'absence de développement culturel est l'une des plaies, une des raisons des problèmes que nous rencontrons. Je n'ai pas la prétention de penser que la culture résoudrait tout, mais par l'éducation et à travers les arts et la pratique artistique, on apprend à rencontrer l'autre dans sa diversité et l'apprécier dans sa différence. C'est une expérience humaine fondamentale qui fait défaut à, notamment, beaucoup de jeunes. Il faut que le plus grand nombre de personnes puisse vivre cette expérience.
- La culture aiderait-elle à comprendre les dysfonctionnements de nos sociétés aujourd'hui ?
Oui, cela permet surtout, me semble-t-il, de lutter contre le fanatisme, qui est une chose terrible qui existe dans toutes les sociétés et les cultures. On est très braqués sur le fanatisme musulman, mais il faut reconnaître qu'il est présent en Europe, en Amérique, lorsqu'on voit le risque inquiétant d'avoir un président fanatique aux USA. Les problèmes ne sont pas d'un côté, ils sont partout. C'est notre responsabilité d'y faire face et de faire en sorte que les valeurs de dialogue, de tolérance et de paix puissent l'emporter sur les valeurs inverses.
De ce point de vue, la notion de dialogue interculturel est extraordinairement nécessaire. On entre dans un monde globalisé dans lequel plus que jamais ce dialogue peut jouer un rôle positif. Pourtant, nous n'avons pas assez mis en place les outils dans nos villes, nos quartiers, dans nos politiques, pour favoriser cette dimension. Nous en payons le prix fort.
- Justement où en êtes-vous avec l'irrigation du Festival d'Aix dans la ville et plus généralement dans la région Sud pour aller vers le public qui ne va pas naturellement vers la culture et encore moins vers l'Opéra ?
Nous faisons chaque année début juin une belle fête d'ouverture publique dans la ville, ouverte à tous, avec la participation de 300 jeunes, collégiens, lycéens, étudiants du département. C'est le résultat d'un travail sur l'année. Le prochain objectif c'est de renforcer cela, en collaboration avec d'autres intervenants culturels. Clairement, un festival comme celui d'Aix, avec ses moyens pourtant non négligeables, n'est pas en mesure de couvrir toute la population du département.
Il faut que nous puissions construire avec des institutions proches des populations. C'est une chance d'avancer pour que ce dialogue devienne fécond et perçu positivement. Nous croyons au resserrement de liens. Après le choc des élections régionales (NDLR : la crainte de voir l'extrême-droite gouverner la région en décembre 2015), nous essayons de contribuer à une plateforme plus structurée du monde culturel. Il faut être solidaires.
- Les opéras choisis cette année que disent-ils et éclairent-ils le présent ?
Dans certains cas, les œuvres sont, par elles-mêmes et par leurs sujets, extrêmement éclairantes. Dans d'autres cas, c'est la lecture des artistes contemporains qui va nous éclairer sur notre présent. Par exemple, Cosi fan tutte de Mozart, très ancré dans la fin du XVIIIe siècle sur la question de la fidélité amoureuse. Le metteur en scène Christophe Honoré nous renvoie à des questions qui touchent à la fois à notre époque et aussi au colonialisme, ce qui n'était pas encore le souci de Mozart.
Cela va nous aider à percevoir des enjeux qui, dans le courant du XXe siècle, ont transformé parfois de façon négative les rapports entre pays et individus. Nous avons aussi Peter Sellars, qui vient travailler sur Stravinski avec deux œuvres réunies, une profane, une religieuse. Une dimension profonde et quasi spirituelle. Katie Mitchell apporte, quant à elle, un regard nouveau sur Pelléas et Mélisande de Debussy. Elle va nous l'amener à avoir un regard féminin. Enfin l'Opéra d'Haendel sera un renvoi aux questions de l'adolescence, le rapport au temps, au vieillissement. Chaque œuvre a une résonance particulière. Je termine bien sûr par Kalila oua dimna, notre premier Opéra chanté en arabe et parlé en français.
A travers la tradition revue des fables animalières, c'est clairement un conte sur les questions de pouvoir, de la jalousie et la corruption que trop souvent le pouvoir engendre. Là on est dans le cœur du monde au XXIe siècle. Avec cet ouvrage de détente, avec un jeu de scène formidable, des musiques magnifiques, on a un vrai travail interculturel. On est au cœur du début de ce que j'espère être une longue série. Et que l'œuvre soit donnée à l'Opéra d'Alger.
- Quels liens existent entre tous les compositeurs d'Opéras dans leur musique et les thèmes exploités ?
Chacun de ces compositeurs a construit un monde qui lui est propre. Plus qu'un style et qu'une esthétique, c'est une vision du monde. Ce qui est passionnant, c'est de pénétrer ce monde. Les chefs d'orchestre, les metteurs en scène, les chanteurs viennent avec la leur et c'est cette rencontre qui crée le sens qui se met toujours en mouvement. C'est ce qui me passionne dans l'univers de l'Opéra. Ils sont très proches de nous malgré la distance du temps.


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