Aïn Bir Djebah (la fontaine de Bir Djebah) est située dans la seconde médina au-delà de la muraille de Sidi Ramdane, qui cernait La Casbah à la limite de Ketterogyl (la fin de l'usage de la jambe). La fortification a été construite après le transfert de la Régence d'Alger du palais de la Djenina (palais berbère) vers la citadelle d'Alger au cours du règne de Ali Ben Ahmed, le Ali Khodja de Omar Pacha à l'époque ottomane. La fontaine de Bir Djebah est l'œuvre du Turc Djebah. Celui-ci exerçait la profession d'amin (employé) à la mission de chargé de la corporation industrielle des tanneries. Ces artisans travaillaient en bordure des trois sources au lieudit Souaredj, localisé au pied des remparts de la citadelle d'Alger. L'amin Djebah cumulait la tâche d'amin el oumana (le chef des corporations) et était adjoint de l'agha et du cheikh el balad (responsable administratif de la médina) au XVIIIe siècle de l'empire ottoman, sous l'autorité du khaznadji (trésorier, ministre des Finances). Le point d'eau de Bir Djebah est incrusté dans une embrasure ornée de motifs harmonieusement sculptés dans le stuc et est mis à couvert sous un auvent enjolivé de tuiles vertes. « La fontaine de Bir Djebah était à l'origine une étuve aménagée en système de jet par petit bac pour propulser l'eau à la coulée du puits », a-t-on appris de Mohamed Benmeddour, le chargé des études historiques et de la communication à l'Agence nationale d'archéologie. « La fontaine de Bir Djebah est alimentée par le réseau de la citadelle d'Alger en provenance de l'aqueduc des sbaâ abar (les sept sources), situé dans les faubourgs des hauteurs d'Alger et qui convergent vers la partie supérieure de la médina », tient à préciser notre interlocuteur. Une création de génie En usant à l'époque des méthodes les plus simples et sans aucun appareillage moderne, la fontaine a désaltéré les hommes à travers les siècles. C'est ainsi que sebaâ abar est transposé dans son intégralité par l'occupant colonial français du nom de la commune d'El Biar à la faveur de l'intonation phonétique du langage sarrasin vers la langue de Molière. « L'eau ruisselait dans une demi-vasque en forme de coquillage avant qu'elle ne soit remplacée par un bac par l'autorité coloniale. La fontaine est décorée de stucs que l'on doit à Jacques Chevalley, le maire d'Alger », nous confie notre interlocuteur. La fontaine colle si bien jusqu'à nos jours au quartier de Bir Djebah par son appellation. Au demeurant, le chanteur chaâbi (musique populaire), le regretté maître El Hadj M'hamed El Anka, signe pour la postérité la notoriété de la fontaine de Bir Djebah, au travers de l'immortelle qacida Soubhan Allah yaltif, Fi bir Djebah nahlef du célèbre poète algérien Mustapha Toumi. Seulement, les transformations opérées au lendemain de l'indépendance allaient sonner irrémédiablement le glas de ce monument sérié pourtant patrimoine universel dans le sillage de l'antique Casbah. Aujourd'hui, la fontaine de Bir Djebah est tarie à tout jamais. L'eau claire et rafraîchissante ne coule plus du robinet. De la sorte prend fin la baraka de Sidi Amar, le saint patron de la zaouïa de Dar Sidi Amar du quartier et descendant du ouali de Sidi Maâmar. Les douéra (maisonnettes) de l'îlot ne sont plus que des fragments et des ruines. Les habitants des douéra ne sont plus là pour évoquer un vécu somptueux et glorieux au cours de l'épopée triomphale de la Zone historique autonome d'Alger. Ce patrimoine attend que l'on soit à son chevet.