Hamed Sahnoun exerce le métier d'antiquaire depuis 40 ans. Cet artisan, qui s'est fait au contact de son père, est le dernier d'une lignée de brocanteurs. a la dinanderie dans le sang. Normal ! Il est tombé dedans étant petit. L'échoppe vétuste, et qui ne tient qu'aux étais, est située à la Basse-Casbah dans l'antique quartier de Zoudj Ayoune, plus précisément à la rue du Professeur Soualah. Sa boutique, ou plus exactement la caverne d'Ali Baba, remémore l'art de vivre, plein d'enseignements du passé d'Alger des Beni Mezghenna ainsi que l'éclat et le faste de l'empire ottoman. La visite guidée dans les stocks rime avec une exploration des almanachs de nos repères. Notre interlocuteur se révèle un guide de musée avéré, avec la tenue impériale en moins. C'est une source d'éclaircissements inexhaustifs sur les pièces muséales, que relatent toutes les toiles peintes sur le cuir, notamment le gargantuesque couscoussier frappé de l'empreinte des façonniers de l'empire ottoman. La devanture est ornée d'ustensiles des porteurs d'eau, qui étaient pour la plupart originaires de la région des Ziban. Les « Biskris », ou les employés aux fontaines publiques de Bir Djebah et de Sidi M'hamed Chérif, alimentaient jadis les foyers de l'antique Casbah. Notre brocanteur n'a de yeux que pour le cache-pot de fleurs, usiné en 1817, comme l'atteste le poinçon imprimé sur la texture du vase de jardin. Le chef-d'œuvre de l'échoppe est sans conteste le sni (plateau) de Beaufraisier, forgé à la fin des années 1960. « C'est l'œuvre du défunt Zolo, originaire du royaume chérifien, qui avait ses ateliers au Mont-Plaisant à Bouzaréah. Le maître mettait du cœur à l'ouvrage et ne badinait pas avec l'ordre et la discipline. Pour l'anecdote, j'ai reçu autant de coups de marteau sur les doigts que le sni que vous voyez-là. L'exercice de la dinanderie est devenu aisé depuis que la machine outil a remplacé la main de l'homme », nous dit Sahnoun. Notre interlocuteur prête main forte au musée des arts traditionnels et populaires sis à Dar Khedaoudj El Amia, situé à la rue Rachid Chebouba. « Je tiens gracieusement à la disposition du musée des arts traditionnels et populaires, autant de fois que les responsables voudront, les pièces de collections, toutes aussi rares les unes que les autres, à l'occasion de la célébration du Mois du patrimoine et durant la commémoration de la Journée nationale de La Casbah, qui se tient le 23 février. Les objets anciens sont devenus, au fil des manifestations culturelles, le trésor du patrimoine national. Les œuvres d'art sont donc incessibles et inventoriées au musée des arts traditionnels et populaires sis à Dar Khedaoudj El Amia », a tenu à préciser Sahnoun. Seulement, le bénévolat ne nourrit pas son homme et une rétribution sonnante et trébuchante de la direction du musée ne peut faire que du bien à notre antiquaire, qui ajoute : « Il est pourtant clairement établi que toute collaboration mérite en principe une rémunération. » Au demeurant, le marché de l'art suscite toutes les convoitises et les courtiers spécialisés dans le repérage des œuvres rares sont légion. D'ailleurs, notre brocanteur en connaît un bout sur la mise à sac des richesses archéologiques et historiques de notre pays : « Les intermédiaires dans le négoce des pièces rares se confondent avec le flot des touristes. J'ai eu affaire à des ressortissants du Moyen-Orient. Le procédé est simple puisqu'ils utilisent les circuits du tourisme pour enrichir et actualiser à l'aide de photos leurs répertoires d'ornement rarissimes, qu'ils proposent ensuite à des collectionneurs richissimes d'outre-mer. » Cette perspective déloyale ne semble pas décourager pour autant notre brocanteur qui s'accroche, vaille que vaille, à son métier. Nadir Kerri , Nazim Djebahi