Quoi de plus normal que l'on se réjouisse des prouesses au bac de nombre de jeunes filles et jeunes gens aux moyennes dépassant allégrement les 16 sur 20 ? Cérémonies officielles, reportages dans les médias… Mais qu'on ne s'y trompe pas. Ce sont davantage des surdoués que des produits du système d'enseignement. L'amère réalité est là ; le discours politique ne peut le masquer encore moins l'effacer : la société algérienne est profondément affectée par l'illettrisme et par son mauvais compagnon, l'analphabétisme qui est de retour. Le taux de réussite au bac ne dépasse pas les 50%. Et il y a pire : seul un élève sur dix entrés à l'école primaire arrive en terminale. La déperdition est astronomique. Au lieu d'être un espace d'enseignement, l'école est devenue une hideuse machine d'exclusion. Le double mérite de la ministre de l'Education nationale, Mme Benghebrit, est d'avoir compris cela et d'avoir lancé des réformes en profondeur du système scolaire. Sa démarche va plus loin en s'attelant à la modernisation du contenu de l'enseignement. La tâche est titanesque tant par le nombre d'enfants et de jeunes à scolariser que par le contexte de crise économique qui aura fatalement des répercussions sur les effectifs d'enseignants et les places pédagogiques. Et ce qui complique le tout, c'est cette ambiance dans laquelle baignent les réformes Benghebrit : divers milieux se recrutant davantage dans la sphère islamo-conservatrice sont partis en guerre au prétexte de menaces pesant sur les «valeurs religieuses» de l'enseignement et sur la primauté de la langue arabe. En réalité, ce qui les inquiète lourdement, c'est essentiellement la fin de leur mainmise politique et idéologique sur les appareils bureaucratiques de l'enseignement et sur les programmes. Depuis les années 1970, après avoir vaincu Mostefa Lacheraf, autre ministre réformateur, ils ont fait main basse sur le ministère de l'Education nationale et ses démembrements, tout en pesant lourdement sur les décisions politiques concernant l'école, y compris avec Bouteflika qui leur a cédé en mettant au placard la réforme Benzaghou, au début des années 2000. La ministre actuelle a beau démontrer qu'il n'y a pas de menace sur la langue arabe et la religion, qu'il s'agit simplement de les enseigner autrement, par la modernité et dans le sens des normes pédagogiques universelles, rien n'y fait, ces milieux ne désarment pas. Ils reculent pour mieux sauter, dès qu'une occasion se présente, comme lors de la fuite des sujets du bac. Leur principal atout est le temps. La réforme Benghebrit ne donnera ses fruits que dans plusieurs années, voire une décennie ou deux. Or d'ici là, beaucoup d'eau aura coulé sous les ponts : le contenu de l'école peut toujours être «négocié» entre eux et les dirigeants politiques actuels ou à venir. Les islamo-conservateurs sont confiants, car leur poids dans la société et sur la scène politique est grandissant. L'école ? A leurs yeux, sa mission ne peut être que «sacrée», c'est-à-dire donner des attitudes et des dogmes, surtout ne pas faire réfléchir, susciter les questionnements, cultiver les arts et les sentiments. Elle doit apprendre à se comporter et non apprendre à vivre. Et c'est là le drame.