En août 2014, Erdogan est devenu le premier président turc élu au suffrage universel. La large majorité parlementaire obtenue dimanche confirme et renforce sa légitimité. Il a désormais les mains libres pour bâtir son régime présidentiel. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a eu la revanche qu'il espérait. Contre tous les pronostics, son parti, l'AKP, qui revendique l'héritage des Frères musulmans, s'est largement imposé lors des législatives anticipées de dimanche, en raflant 49,4% des suffrages et une majorité absolue de 316 des 550 sièges du Parlement. Le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) est arrivé deuxième avec 25,4% des voix et 134 sièges, devant le Parti de l'action nationaliste (MHP, droite) avec 12% et 41 sièges. Entré triomphalement au Parlement en juin dernier, le Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde) n'a sauvé sa place que de justesse. Avec 10,7% des voix, juste au-dessus du seuil minimal de représentation, il a décroché 59 sièges. Le succès de l'AKP est interprété par de nombreux observateurs comme «l'expression du désir de stabilité des électeurs turcs, dans un pays confronté depuis la fin de l'été à la reprise du conflit kurde et à la menace terroriste». Pendant toute la campagne, Recep Tayyip Erdogan et son Premier ministre, Ahmet Davutoglu, en habiles stratèges, se sont d'ailleurs posés en seuls garants de la sécurité et de l'unité du pays, agitant le spectre du «chaos» en cas d'absence de majorité absolue d'un seul parti. Les mêmes observateurs soutiennent même que «la guerre menée aux autonomistes armés du PKK a été relancée avec l'intention de séduire une partie de l'électorat de la droite ultranationaliste». L'actualité de ces dernières semaines a, en tout cas, montré que les Turcs ont peur des Kurdes et de la possibilité d'une nouvelle guerre civile. Le choix de la stratégie de la tension a donc fini par payer. Une opposition divisée L'incapacité des partis d'opposition à faire une coalition en juin dernier a aussi été sanctionnée. Le grand perdant de cette élection est d'ailleurs le parti d'extrême droite MHP, qui a vu deux millions de ses électeurs rejoindre l'AKP. Après le 7 juin, c'est lui qui avait bloqué toute solution de coalition en refusant de s'allier avec Erdogan. Au-delà, le centre de gravité de la politique en Turquie est fortement à droite. Il y a un bloc incompressible de 60% d'électeurs sunnites nationalistes conservateurs. Et Erdogan le sait mieux que quiconque. «La volonté de la nation s'est exprimée en faveur de la stabilité (...) J'ai toujours dit une nation, un drapeau, un pays, un Etat», s'est réjoui le Président turc à l'issue d'une visite très symbolique à la mosquée d'Eyup. Maintenant que fera Erdogan de son écrasante victoire ? Le Président turc s'emploiera certainement à faire basculer la Turquie dans un régime présidentiel comme il l'a toujours souhaité. Un régime qui, probablement, au vu des pressions que subissent la presse et la société civile, sera fortement teinté d'autoritarisme. S'il y parvient, Erdogan pourra rester seul maître à bord en Turquie jusqu'en 2023 et avoir ainsi la longévité et surtout le pouvoir d'un sultan. Cette perspective inquiète déjà l'opposition qui redoute que le Président turc continue à se comporter en autocrate. «C'est la victoire de la peur», a titré hier le quotidien Cumhuriyet, fer de lance de la critique du régime turc. «Personne ne doit se considérer au-dessus des lois», a mis en garde dès dimanche soir le chef du CHP, Kemal Kiliçdaroglu, appelant le pouvoir à «respecter la suprématie du droit». Au plan international, la victoire écrasante de l'AKP va très certainement peser lourd sur l'évolution de la guerre en Syrie.