Par le : Pr Meriem Tazir Chef de service de neurologie, CHU Mustapha, directrice du Laboratoire de recherche en neurosciences, Université d'Alger Le débat autour de la retraite des professeurs de médecine à 70 ans et la mise à l'écart des chefs de service et chefs d'unité dès l'âge de 65 ans suscite des réactions controversées ici et là. Il est vrai que la formation et l'émergence de nouvelles générations d'hospitalo-universitaires de rang magistral entraîne forcément et naturellement la poussée vers la sortie des plus anciens. Cependant, il faudrait rendre hommage à ces derniers d'avoir assuré la formation, pendant plusieurs décennies, d'une relève conséquente dans tous les domaines de la médecine et la pharmacie veillant à maintenir une qualité et une rigueur que d'autres disciplines au niveau postuniversitaire gagneraient à imiter Toutefois, il est légitime de se poser des questions si durant toutes ces décennies, en dehors de la formation universitaire et postuniversitaire des médecins et pharmaciens, l'Etat a mis à profit convenablement le cumul des expériences et des connaissances de ces formateurs hospitalo-universitaires pour améliorer l'état de la santé publique en Algérie. Les comités médicaux mis en place au niveau ministériel dans les années 70' et 80' se sont progressivement étiolés jusqu'à disparaître complètement dans les années 90'. Ces comités médicaux par spécialité ou multidisciplinaires fournissaient une expertise médicale sur laquelle s'appuyaient les différents départements ministériels en charge de la santé publique pour établir des plans d'action concernant la prise en charge des pathologies courantes (maladies infectieuses, diabète, maladies cardio-vasculaires et néphrologiques, cancers, etc.) et moins courantes comme les maladies dites orphelines, mais qui ne sont pas si rares et qui sont pourvoyeuses de handicaps plus ou moins sévères. Ainsi, avec les comités médicaux, l'action des autorités s'appuyait sur l'expertise médicale pour mener des actions sanitaires avec des résultats probants visibles avec le recul des maladies infectieuses comme le paludisme et la tuberculose qui étaient pourvoyeuses d'une morbidité et mortalité importantes. De récentes actions similaires, avec des moyens plus importants, sont menées par les autorités au plus haut niveau, s'appuyant fortement sur les différents experts du domaine pour lutter contre le cancer, devenu un fléau national. Ce type d'action, Plan national de lutte contre une maladie, devrait être étendu à de nombreux autres fléaux médicaux parmi les plus fréquents, l'Hypertension artérielle (HTA), le diabète et l'obésité, sources de nombreuses autres maladies et complications grevant lourdement le budget de la santé publique. Les sociétés savantes — qui ne sont malheureusement pas subventionnées par l'Etat — et les chercheurs cliniciens ont leur part de responsabilité dans la quasi absence d'établissement de consensus, à l'échelle nationale, de prise en charge de maladies fréquentes, mais leur action nécessite un appui fort des autorités sanitaires, auxquelles incombe la responsabilité de l'organisation logistique et la prise en charge financière des actions à mener dans le moyen et le long termes. Dans le domaine des neurosciences dans lequel nous nous sommes investis depuis des décennies et à l'instar des enseignants-chercheurs des autres spécialités médicales, nous sommes dans l'obligation vitale de mettre à jour continuellement nos connaissances pour appliquer les consensus médicaux internationaux dans des pathologies neurologiques, comme la maladie d'Alzheimer et les démences vasculaires, les accidents vasculaires cérébraux, les maladies inflammatoires cérébrales comme la sclérose en plaques et les affections neuropédiatriques les plus invalidantes comme les retards mentaux et autismes, les Infirmités motrices cérébrales (IMC) ainsi que l'épilepsie. Grâce aux réunions périodiques des sociétés savantes et avec l'appui logistique des dirigeants sanitaires locaux, ces différentes pathologies ont pu évoluer vers une meilleure prise en charge pour certaines, mais encore très insuffisante pour d'autres par manque notamment de vision globale et planifiée de l'autorité sanitaire supérieure. Maladie d'Alzheimer et démences vasculaires Des consultations spécialisées «Mémoire» ont vu le jour progressivement dans les services de neurologie des principaux CHU et EHS du pays, depuis environ une décennie, dirigées par une équipe multidisciplinaire composée de neurologues, psychiatres, psychologues formés aux tests neuropsychologiques. Ces consultations «Mémoire» ont le mérite de porter des diagnostics précis de maladie d'Alzheimer ou de démence vasculaire permettant une prise en charge spécialisée. La fréquence de la maladie d'Alzheimer a nettement augmenté ces dernières années et continue de s'accroître du fait d'une part de l'amélioration de l'espérance de vie en Algérie, la maladie apparaissant autour de la soixantaine et l'espérance de vie ayant reculé après 70 ans, et, d'autre part, à cause de l'accroissement de la prévalence de certains facteurs de risques principaux : HTA et diabète dont la prévention et la prise en charge devraient faire l'objet d'un Plan national comme mentionné plus haut. Par ailleurs, une prise en charge sociale avec une aide aux familles de patients manque cruellement dans notre pays ainsi que des structures d'accueil spécialisées pour une rééducation cognitive. Accidents vasculaires cérébraux La prévention et la prise en charge des accidents vasculaires cérébraux (AVC) est l'un des enjeux fondamentaux de politique de santé publique. Il mérite l'élaboration d'un Plan d'action national à l'échelle gouvernementale, à l'instar du Plan national cancer, et devra être porté par l'ensemble des professionnels de la santé concernés. La fréquence mondiale des AVC est estimée à 15 millions de nouveaux cas par an, en France à 150 000. En Algérie, les chiffres nationaux ne sont pas connus, mais on estime leur nombre à 60 000 nouveaux cas par an. Il est désormais établi que les AVC constituent des situations d'urgence dont la prise en charge précoce permet une diminution de la mortalité et une amélioration du pronostic, même en l'absence de traitement spécifique. Autrement dit, il est nécessaire de consacrer, au sein du service des urgences, une unité neurovasculaire dédiée uniquement à la prise en charge des AVC. L'Unité neurovasculaire (UNV) est considérée actuellement et depuis plus d'une dizaine d'années comme le moyen le plus approprié et le plus efficace de la prise en charge d'un accident vasculaire cérébral. Il n'est pas concevable qu'au sein de la ville d'Alger et de la majorité des autres grandes villes du pays aucune structure de santé n'offre des soins spécialisées pour cette pathologie qui est considérée comme la troisième cause de mortalité après les cancers et les cardiopathies ischémiques, et la première cause de handicap physique acquis de l'adulte à partir de la cinquantaine. Avec l'amélioration de la prise en charge des infarctus du myocarde et le vieillissement de la population, la place de l'AVC dans les priorités de santé publique devrait être croissante. L'instauration de ces Unités neurovasculaires (UNV) ne devrait pas occasionner un surcoût important aux structures de santé publiques déjà dotées d'un service d'urgences et d'un scanner ou une IRM. Le plus important c'est d'organiser une filière de prise en charge rapide par une équipe spécialisée composée de neurologues et d'urgentistes et d'un personnel paramédical formé à cette prise en charge spécialisée. Pour les AVC diagnostiqués et pris en charge précocement, dans les 4h30 après le début des troubles, un traitement efficace, en l'occurrence l'injection intraveineuse d'un anticoagulant, est proposée au sein des UNV. Ce traitement permet de sauver la vie du patient et de réduire l'intensité du handicap. Cela permet égalemnt une réduction considérable des coûts de prise en charge des patients handicapés. Des structures équipées, de neuro-rééducation devront prendre le relais de cette prise en charge spécifique des AVC. Un Plan national AVC devrait ainsi, d'une part, instaurer et coordonner la mise en place des UNV dans les structures de santé publique dotées d'un scanner et d'un laboratoire biologique et, d'autre part, s'assurer de la formation des équipes spécialisées multidisciplinaires dans ce domaine ainsi que du suivi de la bonne marche de ces structures. En définitive, l'élaboration d'un Plan national AVC et la mise en place d'Unités neuro-vasculaires au sein de structures sanitaires déjà existantes relève de l'urgence. Il entraînera sans aucun doute un bénéfice considérable en termes de nombre de vies épargnées et de handicaps évités avec un surcoût pratiquement nul. Sclérose en plaques et autres pathologies inflammatoires du cerveau et de la moelle épinière La sclérose en plaques (SEP) est une maladie neurologique chronique, première cause du handicap moteur progressif du sujet jeune entre 20 et 40 ans. La prise en charge de ces maladies chroniques s'est nettement améliorée depuis l'instauration de consultations spécialisées par des équipes multidisciplinaires (neurologues, kinésithérapeutes et psychologues) au sein des services de neurologie, ainsi que de la disponibilité de services d'imagerie performants au sein des CHU ainsi que des médications spécifiques retardant le handicap. Une étude neuroépidémiologique multicentrique, que l'on peut consulter dans le site américain PubMed (Multiple sclerosis : progression rate and severity in a multicenter cohort from Algeria. Mult Scler. 2014), menée par un groupe de recherche du Laboratoire neurosciences a permis de confirmer que l'évolution de la SEP est plus sévère en Algérie (comme dans le reste du Maghreb) comparativement aux pays occidentaux. Par ailleurs, les associations de patients atteints de SEP attendent avec impatience les nouvelles molécules pouvant les soulager mais qui tardent à arriver sur le marché algérien. Les réunions de consensus des experts sont nécessaires pour établir des priorités de prise en charge thérapeutique de la SEP et pour le développement de la neurorééducation qui reste précaire alors qu'elle constitue souvent 50% du traitement. Neuropédiatrie et épilepsie Les maladies neuropédiatriques sont dominées par l'épilepsie, les retards mentaux et l'Infirmité motrice cérébrale (IMC), y compris l'autisme. Ces affections sont constatées peu après la naissance ou dans la petite enfance et sont malheureusement incurables, sauf l'épilepsie que l'on peut juguler souvent avec les médicaments. L'IMC est la conséquence d'une souffrance cérébrale en général due à un manque d'oxygène avant ou durant la naissance. C'est dire que cette infirmité (paralysie et/ou retard mental, autisme avec ou sans épilepsie) peut être évitée par le suivi approprié des grossesses et des accouchements. Une étude neuroépidemiologique nationale récente sur la prévalence de l'épilepsie a montré que la majorité des crises d'épilepsie partielles et généralisées de l'enfant avaient comme origine les accidents autour de la naissance (étude effectuée sous l'égide du Laboratoire de recherche en neurosciences et que l'on peut consulter dans PubMed (Multicenter transversal two-phase study to determine a national prevalence of epilepsy in Algeria. Neuroepidemiology. 2012). C'est dire qu'un travail profond de prévention de ces maladies infantiles invalidantes qui sévissent surtout dans les villes de l'intérieur du pays comme en témoigne notre étude épidémiologique, par manque de gynécologues certainement, est nécessaire et que là aussi un Plan national de lutte contre l'IMC en général est à entreprendre avec l'aide des experts des spécialités concernées. Ce qui est incompréhensible et très regrettable, c'est que malgré les centaines de spécialistes formés chaque année, les villes des Hauts-Plateaux et du Sud restent dépourvues de ressource humaine qualifiée dans les hôpitaux malgré les investissements faramineux de l'Etat pour l'équipement des structures sanitaires. On peut se poser des questions quant à l'existence d'une volonté politique forte pour encourager le personnel médical et paramédical à travailler de façon durable dans les zones défavorisées du pays. Il est très probable que si on décidait d'améliorer notablement les conditions de vie de ce personnel à l'instar des cadres des compagnies pétrolières du Sud par exemple, on aurait moins de problèmes à fixer ce personnel spécialisé, indispensable à la prise en charge médicale de la population de l'intérieur du pays. Ces réflexions concernant certains aspects de la médecine que nous pratiquons au quotidien pourraient être transposées à toutes les spécialités car les compétences sont indéniables à tous les niveaux, même si aujourd'hui on cherche à se défaire de celles qui ont accumulé une expérience et une expertise inestimables que les autorités en charge de la santé publique pourraient utiliser dans l'intérêt de la santé des Algériens.