Serait-ce réellement une catastrophe écologique, avec tout ce que cela suppose comme conséquences sur l'homme et la nature que viennent de frôler Annaba et six villes voisines ? Tout porte à le croire. D'importantes quantités d'effluents liquides contenant des substances chimiques hautement toxiques larguées, il y a quelques jours, dans l'oued Seybouse qui s'étire sur 240 km et traverse — pour ne pas dire irrigue — de vastes territoires de Annaba, Guelma, Souk Ahras, El Tarf en passant par Constantine, Skikda et Oum El Bouaghi, ont «exterminé» une vingtaine de tonnes de poissons de différentes espèces et des milliers de foulques macroules fréquentant les lieux. Constatant l'ampleur des dégâts occasionnés et leurs prolongements sur les espaces immédiats, la cellule en charge de l'environnement, relevant de la Gendarmerie nationale, s'est emparée de l'affaire et ce, outre le ministère des Ressources en eau et de l'Environnement qui s'apprête à déployer une commission d'enquête pluridisciplinaire. «Nous attendons les résultats des analyses en cours sur des cadavres de poissons et des échantillons d'eau prélevés sur les lieux pour engager une action judiciaire à l'encontre des auteurs de ce crime écologique. Les laboratoires de la Gendarmerie nationale et de la direction de l'environnement de Annaba sont à pied d'œuvre pour déterminer l'origine de l'hécatombe qui a touché des dizaines de milliers de poissons, mais aussi d'oiseaux», a indiqué à El Watan Ali Halimi, président de l'Association nationale pour la protection de l'environnement et la lutte contre la pollution (Anpep). L'écologiste pointe, d'emblée, un doigt accusateur en direction de certains industriels de Annaba puisque, précise-t-il, «après trois jours d'inspection continue, les membres de notre association, assistés par les gendarmes, ont pu constater l'étendue des dégâts, particulièrement concentrés aux alentours de la zone industrielle Pont-Bouchet (El Hadjar)». Une fois déterminée, la nature de la substance à l'origine de la mort soudaine de ces poissons et oiseaux palmipèdes, poursuit-il, devrait aider les enquêteurs à identifier le type d'industrie qui y aurait recours. Ainsi pourront aussitôt être actionnés et appliqués, dans toute leur rigueur, les dispositifs répressifs prévus par la loi, promet, d'un ton ferme, le président de l'Anpep. Dans cette perspective, se félicite-il, un collectif d'une vingtaine d'avocats très impliqués dans le domaine, issus de différents barreaux de l'est du pays, s'est constitué volontaire pour l'«affaire oued Seybouse». Mieux, «à travers votre journal, nous annonçons qu'une récompense fort intéressante est réservée à toute personne qui nous fournirait une preuve matérielle nous permettant d'identifier la ou les entreprises à l'origine de ce crime écologique», renchérit notre interlocuteur. D'autant que, par cet acte irresponsable — mettant également en danger la santé de l'homme, particulièrement celle des populations de 68 communes riveraines du Seybouse, en plus des graves atteintes à la faune et la flore — «ces criminels ont réduit à néant tous les efforts et les innombrables opérations de dépollution cycliques menées depuis une dizaine d'années», déplore M. Halimi, décochant, dans la foulée, quelques flèches acerbes à l'endroit des pouvoirs publics, ceux en charge de la question environnementale en particulier. Sans s'en rendre compte, ces derniers ont sous les yeux l'exemple le plus édifiant des ravages induits par leur laxisme et leur laisser-faire viscéral, semble-t-il. L'exemple dont il parle, l'oued Seybouse, l'incarne à bien des égards. Car c'est là où des industriels, très peu scrupuleux, n'hésitent pas à se débarrasser de déchets encombrants : près de 4,5 millions de mètres cubes/jour de différents types d'effluents liquides et autres produits et substances chimiques dangereux, sans compter 3,5 à 4 millions de mètres cubes/an d'eaux usées. Aussi, ce laxisme «officiel» et l'impunité, voire la protection dont bénéficient certains industriels se déclinent dans toute leur dimension lors de la catastrophe à laquelle avait échappé, il y a quelques années, la population de la localité d'Essebt, dans la daïra de Azzaba. C'était le lundi 5 novembre 2012, lorsque les habitants de cette commune, située à moins de 50 km au sud-est de Skikda, avaient été surpris, à leur réveil, par la présence d'une étrange couche blanche et poudreuse qui recouvrait les toits de leurs maisons. D'autres ont été intrigués par l'épais nuage qui s'appesantissait, la nuit et pendant plus d'une semaine, sur l'oued Fendek. A la surface de l'eau s'était formée une couche mousseuse d'une dizaine de centimètres. Quelle était l'origine de ce qui avait causé, à l'époque, la mort de milliers de poissons, de plusieurs vaches ainsi que de sérieuses irritations aux yeux et sur la peau dont se plaignaient les riverains ? «Des rejets récurrents d'effluents liquides renfermant des substances chimiques qu'utilisait, à l'abri des regards indiscrets, la société italienne Sicilsaldo, intervenant dans la réalisation du gazoduc GK3», nous avaient alors confié les responsables du bureau de l'Anpep Skikda. Où en est l'affaire quatre longues années après ? «Transmis au ministre de l'Environnement de l'époque, ce dossier est toujours pendant. L'affaire a, semble-t-il, été classée pour des considérations qui nous dépassent en tant qu'organisation non gouvernementale», dénonce, indigné, M. Halimi. Irresponsabilité des uns et placidité révoltante des autres aidant, des centaines, voire des millions de tonnes de déchets industriels liquides finissent dans les oueds, étangs et plans d'eau. Pis, à en croire des données «confidentielles» dont dispose l'Anpep, le parc automobile national — plus de 6 millions de véhicules — recrache pas moins de 20 millions de litres d'huile tous les 5000 km. A peine 10% sont recyclés, le reste étant déversé dans les oueds et les tranchées qui, à leur tour, les rejettent sur les terres agricoles, dans les barrages, les eaux superficielles et souterraines ainsi que la mer. Nul besoin d'énumérer les innombrables et multiformes conséquences sur la santé humaine et l'écosystème. En attendant les résultats des analyses des laboratoires de la Gendarmerie nationale (Alger) et de la direction de l'environnement (Annaba), qui seront obtenus avant la fin de la semaine en cours, le président de l'Anpep et son équipe scientifique appellent les amateurs de pêche à éviter les eaux polluées de l'oued Seybouse. La même mise en garde concerne les populations limitrophes car «par ces temps de grandes chaleurs, nous craignons que des enfants aillent se rafraîchir dans une eau où se décomposent les cadavres de poissons restés dans les profondeurs ou qu'ils la boivent, ou encore que des bovins laitiers, habitués des lieux, s'y abreuvent. Les conséquences pourraient être incommensurablement destructrices sur tous les plans», prévient M. Halimi.