C'est une lutte nationale pour détruire le régime anarchique de la colonisation et non une guerre religieuse. C'est une marche en avant dans le sens historique de l'humanité et non un retour vers le féodalisme. C'est enfin la lutte pour la renaissance d'un Etat algérien sous la forme d'une République démocratique et sociale et non la restauration d'une monarchie ou d'une théocratie révolues.» Des mots écrits et des engagements consignés dans la Plate-forme du Congrès de la Soummam il y a 60 ans, expliquant ce pourquoi les Algériens se sont soulevés et ont livré le plus glorieux des combats contre 132 années d'occupation française. Soixante années se sont écoulées depuis cette date où des dirigeants de la Guerre de Libération ont pris rendez-vous dans la vallée de la Soummam pour écrire les pages de la Révolution et organiser la lutte d'un peuple réclamant son droit à la liberté. Soixante années sont passées depuis cette date marquant un tournant historique dans la nature du combat pour l'indépendance mené par le peuple algérien. Une date appuyant le caractère national de la lutte de libération et l'idéal de liberté que les signataires de la Plate-forme ont voulu, celui de la terre et des individus. Si la promesse de la libération de la terre a été réalisée, la liberté du peuple reste à quérir. L'idéal démocratique prôné par les signataires de la Plate-forme de la Soummam n'est toujours pas atteint. Quand Abane, Ben M'hidi et les autres ont juré de libérer le pays et le peuple, d'autres en 1962 ont décidé de détourner le fleuve et de lui donner pour cours l'autoritarisme. Quand Abane, Ben M'hidi et leurs compagnons ont appelé à la primauté du politique sur le militaire, Ben Bella, Boumediène et leurs compagnons ont opéré un coup de force pour prendre le pouvoir et ont marché sur Alger en brandissant leurs armes bien chargées. Quand Abane, Ben M'hidi et leurs compagnons ont prôné la primauté de l'intérieur sur l'extérieur, Ben Bella, Boumediène et leurs compagnons ont livré la destinée du peuple aux calculateurs du Caire et de Paris. Quand enfin, Abane, Ben M'hidi et leurs compagnons ont sacralisé l'unité nationale, bannissant toute velléité de division, Ben Bella, Boumediène et leurs compagnons ont opposé la logique de clan comme mode de gouvernance, semant ainsi les graines du régionalisme que le système politique naissant utilisera, à l'image de l'ancien colonisateur, comme une arme de division pour régner sans partage. Ainsi s'est évaporé le rêve d'une Algérie libre et démocratique. Une Algérie acceptant les différences religieuses, forte de son appartenance maghrébine, dépouillée de toutes formes de féodalisme. Une Algérie démocratique opposée au pouvoir personnel et à l'autoritarisme. Une Algérie réellement indépendante et libre comme la voulaient les congressistes de la Soummam. Le fleuve a été détourné et l'histoire officielle a œuvré à l'effacement des mémoires cette quête de construction d'un Etat civil et démocratique. Le rendez-vous du 20 Août 1956 a été réduit à une simple rencontre, ses initiateurs oubliés des manuels d'histoire et même pour certains, comme Abane Ramdane, en sus de son assassinat, fut accusé de traîtrise. Les ambitions personnelles ont pris le pas sur l'ambition d'un peuple de sortir l'Algérie de la noirceur du despotisme vers la lumière de la liberté.