Il a réussi à poser les premiers jalons d'une Algérie démocratique moderne, sociale et indépendante. «La Révolution algérienne ne sera inféodée ni à Moscou ni au Caire, ni à Londres ou à Washington». C'est là, la conviction et à la fois peut-être le «tort» de ce révolutionnaire hors-pair que fut Abane Ramdane, assassiné le 27 décembre à Tétouan (Maroc) par ceux qu'il croyait être ses «frères». La localité de Larbaâ Nath Irathen, qui a commémoré hier le 47ème anniversaire de son assassinat, a voulu avant tout exprimer sa gratitude et surtout la reconnaissance que lui voue le peuple algérien tout entier. Né le 10 juin 1920 à Azouza, un village surplombant les collines de la Kabylie, dans la wilaya de Tizi Ouzou, Abane était doué d'une culture solide et d'une intelligence sans pareille. Dès son jeune âge et pendant qu'il était élevé au collège de Blida, il s'intéressera à la politique, ce qui l'incita à rejoindre les rangs du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (Mtld). Il milita dans cette structure dans la région de Sétif et Chelghoum-Laïd jusqu'en 1950 où il fut arrêté par la force coloniale qui l'emprisonna en Alsace pendant cinq ans. Des années de prison et de lecture qui ont fait du personnage, un révolutionnaire et un fin stratège. Libéré en 1955, il choisit de lutter à l'intérieur du pays et mieux encore à Alger, dans la gueule du loup pour être près des réalités du terrain et répondre aux exigences de la révolution qui commençait à accuser un «relâchement» du fait des divergences qui continuaient encore à subsister dans les différentes tendances du Mouvement national et les «hésitations» à rejoindre les rangs du FLN. Cette situation «d'incertitudes», quant à la poursuite de la lutte armée et l'issue de la révolution a démontré la nécessité de mettre une assise solide à l'organisation de la lutte armée déclenchée dans le tas, il y a une année. A cet effet, Abane était le principal initiateur de l'idée de l'organisation d'un congrès à Ifri Ouzellaguen dans la vallée de la Soummam le 20 août 1956. Un congrès qui a regroupé l'ensemble des représentants des wilayas historiques, à l'exception de la wilaya II, troublée par la mort de Mustapha Ben Boulaïd et les représentants de l'extérieur qui n'ont pas jugé utile de rentrer au pays malgré l'insistance de Abane qui avait demandé dans ses correspondances à la délégation extérieure d'envoyer deux éléments et si possible «soit Ben Bella et Aït Ahmed ou Ben Bella et Khider». Abane, qui avait l'appui et la confiance de Ben M'hidi et de la majorité des forces militaires opérationnelles à l'intérieur, a réussi dans ce congrès à donner une nouvelle forme d'organisation à la lutte armée et au-delà, à poser les premiers jalons d'une Algérie démocratique, moderne sociale et indépendante. «Le document de la Soummam qui a donné autant d'espoir et de visibilité aux moudjahidine, a été considéré par les novembristes comme un coup d'Etat. Il fallait donc faire payer son principal artisan...» (Lakhdar Bouregaâ). Eté 1957, le comité de coordination et d'exécution, issu du congrès de la Soummam, traqué par les parachutistes, s'installe à Tunis. Abane pensait qu'il fallait revenir en Algérie le plus rapidement possible pour «ne pas être coupé des réalités de la lutte et perdre une vision saine des choses», lui, qui a instauré le principe de la primauté du politique sur le militaire et de l'intérieur sur l'extérieur. Ses détracteurs lui reprochaient et continuent à le faire jusqu'à aujourd'hui, «l'absence de référence à l'Islam dans les thèses du congrès de la Soummam ignorant délibérément les efforts qu'il avait fournis pour intégrer le courant islahiste à la révolution et qui ne se concrétiseront qu'en février 1958», ainsi que l'introduction «d'éléments réformistes», par le congrès de la Soummam au sein de la direction du FLN. Voyant l'autorité du héros s'imposer par le fait des choses et ses idées modernistes prendre de plus en plus d'ampleur, les cinq anciens chefs de wilaya (Mohamed Cherif, Lakhdar Bentobal, Belkacem Krim, Amar Ouamrane et Abdelhafid Boussouf) l'accusèrent de dictature et d'autoritarisme «qui nuisent à la conduite de la lutte armée». Un jugement démesuré et mensonger, en témoignent tous ceux qui l'ont côtoyé à l'image de Mohamed Lebdjaoui qui parlait de l'artisan du congrès de la Soummam, dans Abane Ramdane, le Jean Moulin algérien, paru en 1986 aux éditions Gallimard, en ces termes: «Cet homme qu'on jugeait parfois, quand on le connaissait mal, autoritaire et méprisant, était en réalité accessible à la discussion, si l'on était capable d'en mener une». Les cinq anciens chefs de wilaya ont «formé» une conspiration pour décider de l'élimination physique de leur collègue. Une sentence prononcée en dehors des structures légales CEE et Cnra. Les circonstances exactes de l'exécution de Abane Ramdane sont rapportées d'une façon vague. Reste que la version racontée par Mahmoud Chérif, successeur d'Ouamrane comme ministre d'armement et ravitaillement (sept. 58 - déc. 59), à Mabrouk Belhocine, était la suivante: «Conformément à la décision des cinq colonels, anciens chefs de wilaya, nous avons Krim et moi, sous prétexte de démarches auprès du roi, entraîné Abane au Maroc pour l'y faire emprisonner par Boussouf. Arrivés par avion à Tanger, nous avons été tous les trois acheminés vers Tétouan et installés dans une des villas discrètes, dont disposait Boussouf». Krim et moi sommes sortis faire un tour en ville. A notre retour, Boussouf nous a déclaré: «Ça y est, Abane est liquidé». Cette version est la même qu'a donnée Krim à Mohamed Lebdjaoui et à Courrière. La disparition de Abane, qui a inauguré l'épisode des assassinats politiques en Algérie, n'a été rendue publique qu'en mai 1958, sous l'un des scénarios les plus calomnieux. El-Moudjahid titrait à la Une: «Abane est tombé au champ d'honneur». Une expression, comble de l'ironie, reprise sur la stèle érigée à sa mémoire à Larbaâ Nath Irathen, le berceau de sa naissance!