Durant trois heures de pur chaâbi, Didine Karoum a envoûté jeudi dernier le public de la Tahtaha par son interprétation libre et bien sentie de grands textes de notre poésie populaire. Aménagée à l'entrée de la Pêcherie, la Terrasse des artistes reçoit depuis le mois de Ramadhan dernier quelques uns des interprètes qui comptent dans le monde du chaâbi. Entre les vieux de la vieille et les jeunes pousses, la relève est bien assurée. Entre les deux générations, Didine Karoum a toujours la fraîcheur de la jeunesse conjuguée à une aisance acquise par une expérience certaine. Au cœur de la Pêcherie, en ce lieu emblématique de la capitale, les aficionados du chaâbi de tous âges, tout comme les curieux de découvertes musicales et les familles en quête de soirées estivales de qualité, sont au rendez-vous. En contrebas, les pêcheurs s'affairent sur les filets et le ballet des chalutiers se déroule paisiblement tandis qu'on se prépare, pour notre part, à une pêche aux perles du chaâbi sous la conduite d'un «raïs» chevronné. Les verres de thé ou de café circulent entre les tables et l'orchestre ouvre par une touchia annonçant la couleur de la soirée. Un concert sous le signe de l'authenticité. Banjos, mandole, tar et darbouka relevés par quelques notes de clavier, l'orchestre est bien rodé et les enchaînements coulent de source. Avec El Hedja de Ben Msayeb, le récital débute par un texte de circonstance en ce jour de départ vers les Lieux Saints de l'islam. Et quel texte ! Un joyau poétique représentant le pèlerinage comme une véritable rencontre amoureuse. Didine Karoum accompagne les inflexions du poème par de subtiles variations musicales. En effet, l'artiste ose désormais habiller les grands textes du qcid par de nouvelles parures mélodiques. Didine Karoum ne se contente pas de chanter, il interprète. C'est avec la même assurance et la même créativité qu'il chantera la poésie mystique de Ben Khlouf ou encore des «standards» du chaâbi, à l'image de Ma zaretni hada chehal ou encore Qorsani ghenem. A chaque fois, Didine Karoum propose des arrangements musicaux audacieux, qui mettent systématiquement en valeur les textes. Avec sa voix posée et chaude, l'interprète nous invite à une balade dans le patrimoine chaâbi, où la créativité, l'ornementation et l'improvisation ont toute la place qu'elles méritent. Le concert se poursuit jusque tard dans la nuit et se termine en apothéose par un heddi endiablé qui fait danser les plus réticents. Finalement, Didine Karoum aura réussi à installer une ambiance aussi festive que méditative dans un concert qui n'a pas manqué de conquérir le public varié de la Terrasse des artistes. Inaugurée en 2014, la Terrasse des artistes, ou la Tahtaha dans le parler algérien, est un bel exemple de reconversion artistique d'un espace de la capitale. Globalement dédiée au chaâbi, la Tahtaha offre l'expérience d'une fête de chaâbi, habituellement organisée dans des cercles restreints, principalement lors des mariages, au plus grand nombre. Avec une petite scène, de nombreuses tables, un bon café et un droit d'accès au prix plus que raisonnable, cette vaste esplanade avec vue imprenable sur la grande bleue est en passe de devenir un lieu incontournable du chaâbi.