Le chanteur de chaâbi, Didine Karoum, est un artiste méticuleux et ambitieux. Il excelle dans ce registre noble. Il aspire à la «tachioukhit». -Le Ramadhan est toujours synonyme de «gaâda» (soirée) chaâbie… Oui, on disait cela : quand arrive le Ramadhan, ce sont les gaâdate (soirées) du chaâbi. Cela s'est un peu perpétué. Mais ce n'est plus le cas. Ce sont tous les genres musicaux qui sont célébrés durant le Ramadhan. Le chaâbi à un degré moindre. -Peut-être que les gens préfèrent le côté festif et pas trop le texte poétique du chaâbi… ? C'est vrai ! Mais malgré cela, on s'adapte. On propose la chansonnette, on anime et on crée de l'ambiance. Et puis, il y a les textes (qacidate). Mais le chaâbi, c'est beaucoup plus le texte des chouyoukh (maîtres) et la gaâda. Il y a des gens qui tiennent et perpétuent ces traditions durant le mois du Ramadhan. Personnellement, ce que j'ai constaté, c'est qu'il ne suffit pas uniquement de savoir chanter. Il faut aussi aller faire du porte-à- porte, du lobbying, se présenter… -Didine Karoum ne le fait pas… Je ne le fais pas. Je tiens à vous informer que je n'ai pas beaucoup travaillé (circuit officiel) durant ce mois du Ramadhan. Hormis deux concerts à Annaba et El Kala. Aussi, je tiens à féliciter le directeur de la culture de la wilaya de Tarf de m'avoir invité. Ce sont des gens compétents qui m'ont accueilli chaleureusement. -Pourtant, les organismes culturels ont une grille des programmes… Justement, je me suis dit que Didine Karoum a fait ses preuves. J'ai toujours laissé de bonnes impressions de discipline et de discographie, surtout. La majorité des chanteurs ne font que des reprises et ne conçoivent pas de disques. Il n'y a plus de recherche, de création…Quand je vous dis Assima, on pense à Meskoud. Quand je dis Chamaâ, on pense à Kamel Messaoudi. Aâla bali ou aâla balek, on sait que c'est Didine Karoum. Il y a des artistes qui sont restés «scotchés» à Youm djemaâ khardjou ryam. Et ce sont ceux-là qui travaillent (concerts). Je ne sais pas ce qu'il faut faire pour attirer leur attention encore plus. J'aurais aimé me produire dans les autres régions du pays. Cette année, je n'ai pas été contacté. Donc, je suis resté à Alger. -Etes-vous un puriste du chaâbi ? Bien sûr ! En ce qui me concerne, je fais dans tous les registres du chaâbi. Je fais du assil (traditionnel) avec mon approche personnelle et mon propre style quant à l'exécution du chaâbi. Et ce, pour être en adéquation avec la nouvelle génération. Et je tiens à assurer la continuité du chaâbi. -Comment, avec un habillage orchestral nouveau et moderne ? Le public mérite qu'on crée et fasse des recherche. On peut avoir de nouvelles chansons et chansonnettes. Les amateurs de chaâbi ont besoin d'une nouvelle écoute. Il faut sortir de la monotonie. Bien que les textes soient anciens. On essaie d'interpréter ces textes à notre manière. Une approche souple et attirante. Et ce, pour toucher un public large. -Avec un son contemporain… On reste dans le mode chaâbi. On utilise les mêmes instruments comme jadis (rires). -Vous vous déplacez à l'intérieur du pays à la recherche de textes inédits de chouyoukh, notamment de Mostaganem… Vous savez, l'Algérie a un terroir très riche et précieux. Il ne faut plus rester au niveau de Youm djemaâ khardjou ryam et May chali fi youm el harb. Cela ne séduit pas la nouvelle génération ou encore le public féminin. Cela est très important. Il existe une profusion de qacidate (textes), des chef-d'œuvres et des merveilles qu'il faut bien faire découvrir et valoriser. Aussi, je tiens à féliciter le musicologue et commissaire du Festival national de chaâbi, Abdelkader Bendaâmache pour cet événement dédié à la chanson chaâbie et à la promotion de jeunes talents. Il fournit un travail honorable à saluer bien bas. C'est cette pédagogie dans l'impression de livrets et autres textes de chaâbi. Une vulgarisation du patrimoine ancestral chaâbi. Et par conséquent, attirer encore plus de mélomanes à travers le territoire national. Referez-vous un autre duo chaâbi comme celui avec la chanteuse Radia Adda ? Dans ma carrière, j'étais à la recherche d'un succès. Et je l'avais trouvé avec ce duo avec la chanteuse Radia Adda (Aâlabali oua Aâlabalek). Une très belle chanson du regretté Mohamed El Badji. C'est un titre qu'il n'avait pas enregistré. Auparavant, il l'avait donné à Nadia Benyoucef en 1975. Vingt ans après, j'ai sollicité Radia Adda. Et cela a plu au public. C'était un succès. Il faut œuvrer et persévérer pour avoir un titre carte de visite. Un succès d'estime, quoi ! -Des titres ou album en chantier… Du moment que j'ai un public qui m'écoute et m'apprécie, je veux passer au «tachioukhit» maintenant. Je veux perfectionner, donner et conférer une touche personnelle au qcid, beit syah et les qacidate. C'est ce qui fait mon style après 30 ans d'expérience quand même. -Une «force tranquille» du chaâbi, des chouyoukh… Ce que je fais en studio et dans les mariages est très différent. Je m'exprime mieux sur une scène d'un mariage. -Vous êtes plutôt «live»… Je suis à l'aise dans l'interaction avec le public et lui faire apprécier du chaâbi avec la participation de tous les musiciens de mon groupe. Ce qui est important, c'est d'avoir un orchestre fixe et fidèle pour évoluer ensemble avec des automatismes harmonieux de ce registre. -Le chaâbi est toujours populaire… Oui, le chaâbi est et sera toujours populaire. Son âme revient. Récemment, j'ai été sollicité par le cercle de l'USMA pour animer des soirées de chaâbi durant le mois du Ramadhan, et ce, en présence d'anciens amateurs de chaâbi. La salle était pleine. Et cela me rappelle l'ambiance nostalgique d'antan d'Alger. Et ça m'a aidé à forger mon style. Dans ma jeunesse, on aimait les gaâdate. Surtout celles de Saoula. Tout le monde passait par Saoula : Chaou Abdelkader, Hamid Achaïbou… Des grands maîtres du chaâbi.