Les Tunisiens vivent dans la désillusion, plus de cinq ans après la chute de Ben Ali en 2011. Le taux de croissance économique était de 0,7% en 2015. L'endettement extérieur a grimpé de 40% du PIB en 2010 à 52% fin 2015. Il suffit de comparer entre les divers bilans faits par Hamadi Jebali, Ali Laareyedh, Mehdi Jemaa ou Habib Essid, lors de leurs arrivées respectives au pouvoir, en 2012/13/14/15, pour comprendre l'importance des défis socioéconomiques à relever par le prochain gouvernement de Youssef Chahed. En effet, si la situation sécuritaire a évolué positivement, notamment sous le gouvernement de Habib Essid, ce n'est pas le cas pour le volet socioéconomique. Youssef Chahed prend donc le témoin alors que la Tunisie traverse une grave crise économique, notamment sur le plan des ressources de l'Etat et de la productivité générale du travail. En revenant aux divers rapports économiques, les chiffres parlent d'eux-mêmes. Depuis 2011, il y a au moins un milliard de dinars (420 millions d'euros) de manque à gagner dans le secteur des phosphates et autant dans les hydrocarbures, en plus de près d'un milliard d'euros dans le tourisme. Deux milliards d'euros, c'est presque 5% du PIB. C'est donc déjà bien que la croissance reste positive. Elle est en effet de 0,7% en 2015. Soucis persistants Les appels à la reprise de la production ont été faits par tous les chefs de gouvernement nominés depuis 2011. Les questions du bassin minier, des débrayages et du déficit des caisses sociales restent toujours sans solution, en plus des vœux quasi-pieux de réalisation des objectifs de la révolution en matière de lutte contre la marginalisation et la pauvreté. Les observateurs s'attendent donc à ce que Youssef Chahed reprenne le discours de Mehdi Jemaa, lors de sa venue au pouvoir fin février 2014, qui a été réitéré une première fois par Habib Essid en février 2015, avant qu'il ne le soit de nouveau en février 2016, lorsqu'il a revu la copie de son gouvernement. Youssef Chahed ne va sûrement pas soulever d'autres problématiques majeures lorsqu'il présentera demain le programme de son gouvernement pour obtenir la confiance de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), surtout que la majorité gouvernementale n'a pas changé de bord. Youssef Chahed était, lui-même, membre du gouvernement de Habib Essid. Les observateurs sont toutefois curieux de voir ce qui va changer avec la nouvelle équipe. La situation sera certes plus difficile, puisque l'échéancier de la dette publique tunisienne est remarquablement chargé pour les trois années à venir. La Tunisie devra rembourser à ses créanciers 4,3 milliards de dinars (1,9 milliard d'euros) en 2016 ; 5,5 milliards de dinars (2,4 milliards d'euros) en 2017, dont 500 millions de dollars au Qatar ; 4,9 milliards de dinars (2 milliards d'euros) en 2018 et 4,2 milliards de dinars en 2019. Changements attendus Youssef Chahed est parvenu à intégrer deux syndicalistes (Mohamed Trabelsi et Abid Briki) dans son gouvernement. Ils ont été chargés des départements polémiques des Affaires sociales et de la Lutte contre la corruption. Les ministres précédents des Affaires sociales ne sont pas parvenus à réformer les régimes de la retraite parce que les syndicats s'y sont opposés. Pourtant, les caisses sociales (CNRPS, CNSS et CNAM) cumulent des déficits d'un milliard de dinars qui va crescendo, menaçant dangereusement l'avenir de ces caisses. M. Chahed a nommé Mohamed Trabelsi à la tête de ce département pour trouver une solution à cette problématique. Même chose pour la Lutte contre la corruption. Il n'échappe plus à personne que plusieurs membres de syndicats deviennent désormais très impliqués dans les réseaux de corruption ou se dressent pour défendre des responsables corrompus. Les dossiers de l'hôpital Habib Bourguiba à Sfax ou des laboratoires Saiph en sont de parfaits exemples, puisque les syndicats sont contre l'application de la loi et s'opposent à l'application des normes de bonne gouvernance. La venue de Abid Briki à la tête de ce département vise à forcer davantage la main des syndicalistes. Reste la question de la lutte contre la pauvreté et la marginalisation. Pour le moment, ce rêve légitime de larges franges des Tunisiens est loin d'être réalisé, faute de moyens et d'efficacité. Certains projets sont bloqués à cause de problèmes fonciers ou d'environnement d'investissement adéquat. Youssef Chahed réussira-t-il à trouver une solution à cette problématique ?