Le Colloque d'Akfadou sur les assises du Congrès de la Soummam a été pour l'historien français une occasion de visiter des villages haut perchés à l'invitation de deux associations locales. Vendredi. Un soleil de plomb cogne sur Tiniri, chef-lieu de la commune d'Akfadou, où se déroule la deuxième et dernière journée du Colloque international sur le Congrès de la Soummam. L'esplanade de la maison de jeunes grouille d'une foule bigarrée. Une délégation d'Imaghdacène composée d'éléments de deux associations du village, Ixulaf et ACSI, était là, attendant l'historien français, Jean Charles Jauffret, pour le conduire vers leur village. Quelques minutes d'attente et voilà l'historien qui apparaît, portant casquette et vêtu d'une chemise rouge. Après les salutations et les présentations d'usage, la délégation et son hôte prennent la direction du village aux 78 martyrs. En chemin, le convoi marque deux haltes. La première, au chef-lieu de commune, devant l'édifice portant sur l'un de ses murs les portraits de Abane Ramdane, Larbi Ben M'hidi, Krim Belkacem et Amirouche Ait Hamouda. La seconde, au village Taourirt, devant une stèle érigée à la mémoire de cinq martyrs exécutés, nous informe-t-on, par l'armée française en mars 1957, après avoir eux-mêmes creusé leurs propres tombes. «Si ces hommes étaient tous vivants à l'été 1962, l'Algérie aurait acquis non seulement son indépendance, mais aussi sa liberté», nous déclare l'historien devant le portrait des quatre révolutionnaires. L'arrivée au village Imaghdacène a ému l'historien. De nombreux villageois devancés par des fillettes en robes traditionnelles l'attendaient avec un vase d'eau et un bouquet de fleurs. Salutations, applaudissements, rires, séances photos ont émaillé cet accueilqui rappelle à bien des égards celui réservé, en août 2014, à Claude Georges Picard, ancien soldat français, ami commun du village et de l'historien. «C'est la première fois de ma vie qu'on m'offre des fleurs», déclare l'historien à la foule, visiblement heureuse de recevoir l'éditeur de Claude Picard. Après la pause-déjeuner, randonnée pédestre dans le village et ses alentours. De Bouïfer à la djemâa En dépit de la chaleur, des chemins tortueux, escarpés et poussiéreux, la procession, à sa tête les responsables du village et leur hôte, chemine joyeusement. Jean Charles Jauffret, visage et chemise trempés de sueur, marche d'un pas ferme comme un montagnard et écoute attentivement les explications et les commentaires de ses accompagnateurs. «J'ai des origines corses, fait-il remarquer, je n'éprouve pas vraiment d'impression de dépaysement». La descente de Bouïfer s'est effectuée dans un brouhaha indescriptible et un décor gâché par les nuages de poussière soulevés par les randonneurs. A Tihriquine, la procession fait une halte pour visiter le dernier moulin à eau du village, inscrit récemment sur l'inventaire de la wilaya comme bien culturel. Sur les lieux, Jean Charles Jauffret, après avoir pris plusieurs photographies de l'endroit, a écouté les explications des délégués de village et a posé plusieurs questions sur le fonctionnement de ce moulin. «Ce moulin doit être inscrit comme patrimoine de l'humanité, son système est ingénieux» souligne-t-il. Un vieux nous explique qu'Imaghdacène possédait dans le temps 23 moulins à eau. «Le manque d'eau et la modernité ont eu raison de ces moulins. Il ne reste que celui-là pourtant détruit par l'armée française en 1957, mais vite rebâti par son propriétaire» nous dit-il. La procession reprend sa marche, cette fois-ci en empruntant les chemins qui montent de Lhara Bwedda. Sur le trajet, l'historien est intéressé par le tissu végétal des lieux et l'architecture des maisons qui lui rappelle quelque peu la Corse. «Les Kabyles sont têtus comme les Corses, ils n'aiment pas qu'on leur marche sur les pieds» argue-t-il. A Tagwnit Lhocine, la procession marque une autre halte. C'est l'ancien quartier «chic» du village. Les maisons, tombées en désuétude mais gardant encore un peu leur beauté (carrelage, moucharabieh, colonne en pierre…), indiquent que les lieux étaient habités autrefois par des familles aisées. Une djemaâ désertée depuis longtemps laisse encore voir son pavement et ses bancs en pierre. «C'était un espace de rencontres notamment pour les gens du quartier», précise un notable du village. La mosquée qui fait aussi office de djemaâ, où il y a plus de 54 ans le soldat Picard s'improvisait instituteur, était la troisième étape des randonneurs. Sur les lieux, l'historien a prononcé une allocution et des villageois ayant survécu à la guerre ont livré, de leur côté, leurs témoignages. L'ancienne maison kabyle, avec son architecture intacte appartenant au chahid Meksaoui, et le piton 11/39, appelé par la population locale Tazrouts Iâassasen (La Pierre des anges gardiens), lieu où précisément l'armée française a érigé un poste de surveillance pour sa garnison de chasseurs alpins, sont les deux derniers sites qu'on a fait visiter à l'historien. Intérêt et témoignages Dans son allocution donnée à la djemaâ, où il a reçu un burnous en guise de gage d'amitié, l'historien a déclaré en substance que «ce sont les errements des législateurs français de la colonisation, qui vous ont considérés à partir de la loi de 1889 comme des nationaux, mais sans pour autant vous accorder les mêmes droits, qui ont suscité mon intérêt pour vous et par là à la mémoire de vos anciens ennemis». Abordant les crimes de guerre et la réconciliation, il dira : «On a reconnu les crimes de guerre et les crimes de la colonisation, mais il faut aller encore plus loin. Mais si les politiques français font un geste, il doit être adressé non pas à l'Etat algérien mais au peuple algérien» Revenant sur ce qui l'a poussé à s'intéresser aux hommes et aux femmes de la guerre d'Algérie, il déclarera : «Ma mère, qui est une ancienne résistante, une maquisarde, y est pour quelque chose» Il conclut en souhaitant que les Algériens concrétisent rapidement ce qui est contenu dans le protocole de la Soummam. «Le peuple français ne fera qu'un seul bond pour vous prendre dans ses bras et vous présenter ses excuses», soutient-il. Pour que nul n'oublie, des vieux et vieilles du village qui on vécu les horreurs de la guerre et qui ont survécu aux tortures ont fourni des témoignages poignants sur cette terrible guerre qui, de l'avis de l'historien, a emporté 54% des effectifs de l'ALN. «Je ne suis pas un Français d'Algérie, je suis de cœur avec ce peuple», précise l'auteur de Ces officiers qui ont dit non à la torture : Algérie 1954-1962. En aparté, nous avons abordé avec l'historien la question de la bleuite et du capitaine Leger. «J'ai rencontré le capitaine Leger lors d'un dîner en 1996 et j'ai eu avec lui une discussion qui a duré quatre heures. Je peux vous dire que le plus grand prédateur de l'armée française, c'est bien lui», nous confie-t-il. A noter enfin que si Mohand Cherif Sahli appelait à décoloniser l'histoire, les membres des associations organisatrices ont, pour leur part, appelé à dépolitiser l'histoire. «L'histoire est un legs qui appartient à tout le monde, il est mal convenu de vouloir se l'accaparer à des fins électoralistes ou politiciennes», insiste Ghilas Zerimane, un élément associatif.