La production de phosphate est complètement arrêtée dans tout le bassin minier depuis hier. Elle tournait auparavant à 45/50% de sa capacité. Youssef Chahed se retrouve ainsi face à l'un des principaux défis de la crise socioéconomique traversée par la Tunisie. Une semaine après avoir prêté serment comme chef du gouvernement, Youssef Chahed est déjà en plein dans le pétrin socioéconomique tunisien. Toutes les unités de production du bassin minier de Gafsa sont désormais à l'arrêt. Même les deux usines de transformation de phosphate de Gabès et Mdhilla risquent de s'arrêter faute d'approvisionnement. Cette surprenante montée de tension a été constatée suite au passage de Rached Ghannouchi, le leader d'Ennahdha, le week-end dernier dans la région. Ghannouchi aurait dit, entre autres, aux représentants des contestataires qu'il a rencontrés à Gafsa : «Nous comprenons les réactions des habitants locaux, qui voient défiler les richesses de leur région sans en bénéficier. Ils ont droit à une partie de ces richesses.» Le chef d'Ennahdha a également parlé de la nécessité de reprendre la production pour réussir la transition socioéconomique. Mais lesdits propos sur une part de la production pour le développement ont été compris par les protestataires comme un signal que l'Etat leur donne raison. Du coup, alors que la production était à moitié assurée, voilà qu'elle est totalement à l'arrêt. Pourtant, relèvent les politiciens, Rached Ghannouchi est le chef des islamistes d'Ennahdha, qui fait partie de la coalition gouvernementale qui a soutenu Youssef Chahed. Ce dernier est donc tenu à faire face à ce problème urgent. Chômage et pauvreté Le chef du gouvernement est conscient de la cruciale question du bassin minier de Gafsa, une région marquée par la pauvreté, le chômage et la marginalisation ; les trois raisons fondamentales de la révolution du 17 décembre 2010-14 janvier 2011. Dans ce bassin minier, le soulèvement a commencé le 5 janvier 2008 à Redayef. Il avait duré près de six mois, quoi qu'il n'ait pas eu le même succès que celui de Sidi Bouzid, deux ans plus tard, et a fini par la chute de Ben Ali. «Les raisons de la protestation sont les mêmes et la situation n'a pas évolué d'un iota depuis 2011», dit Adnene Hajji, un des leaders du soulèvement de 2008, aujourd'hui membre indépendant de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP). Depuis 2011, il y a eu des campagnes successives de recrutement de près de 3000 employés dans des entreprises d'environnement et d'aménagement du territoire créées dans les villes du bassin minier pour s'occuper de l'amélioration du cadre de la vie. La Compagnie du phosphate de Gafsa (CPG) a recruté près de 8000 autres jeunes chômeurs. La Société nationale des chemins de fer (SNCFT) a également recruté 1500 personnes. Mais c'est peu dans une région marquée par le chômage et la pauvreté. Les statistiques de l'INS disent que le taux de chômage dans la région avoisine les 28%, soit pratiquement le double du taux national qui est de 15,5%. Ce taux dépasse les 35% chez les diplômés. 60 % de production en moins et 2,5 Milliards de dollars de manque à gagner Toutefois, relèvent les experts, la CPG et la SNCFT ne peuvent absorber tous les chômeurs de la région. L'effectif de la CPG est déjà passé de 8000 à plus de 20 000, ce qui impacte lourdement le prix de revient du phosphate tunisien. Donc d'autres solutions sont à envisager par le gouvernement Chahed, qui a été rapidement mis face à ses responsabilités. La production de phosphate en Tunisie s'est détériorée à un point tel qu'elle n'a atteint que 11 millions de tonnes durant les années 2011 à 2014, alors qu'elle était de 8 millions de tonnes pour la seule année 2010. En 2015, la production était de 3,6 millions de tonnes et n'a atteint que 1,86 million de tonnes pour le 1er semestre 2016, loin des estimations de 3,25 millions de tonnes durant cette période. Il y a donc un manque de 60% en termes de quantité de la production. Cette situation a entraîné la sortie de la Tunisie des classements internationaux du marché. Plusieurs clients se sont orientés vers d'autres fournisseurs, notamment le Maroc. Les recettes du pays ont enregistré un manque à gagner de 2,5 milliards de dollars, soit le même montant que le dernier crédit obtenu auprès du Fonds monétaire international. Par ailleurs, comme 20% de la production de phosphate vont à la consommation locale, notamment pour les engrais chimiques utilisés dans l'agriculture, les agriculteurs locaux ont été obligés, ces dernières années, de recourir à d'autres produits pour satisfaire leurs besoins.