Alors que la bataille pour chasser le groupe Etat islamique (EI) de Syrte n'en finit pas, que le général Haftar a renversé le rapport de force en permettant de relancer les exportations d'hydrocarbures vitales pour l'économie du pays et que la population est exaspérée par la faiblesse de l'Etat, le gouvernement d'union nationale, soutenu par les Nations unies, semble plus fragile que jamais. Alors que Mohamed Tahar Siala, chef de la diplomatie libyen saluait, mercredi à New York, «le soutien permanent et indéfectible de l'Algérie» à son pays, son homologue algérien, Ramtane Lamamra, rappelait la position de l'Algérie en faveur d'une solution politique via la réconciliation nationale et contre toute intervention étrangère. Pendant ce temps à New York, à la réunion des ministres des Affaires étrangères de la Ligue arabe où il se trouvait hier, Abdelkader Messahel, ministre des Affaires maghrébines, lui faisait écho. De la diplomatie, il en faudra encore beaucoup – et c'est peut-être à Alger que se tiendront les prochaines discussions, en octobre – pour tirer le gouvernement d'union nationale (GNA, soutenu par les Nations unies) de la crise de crédibilité qu'il traverse et faire en sorte que le prochain cabinet que proposera Fayez El Sarraj soit accepté par les autorités rivales du gouvernement de l'Est. D'autant que Khalifa Haftar, le général rebelle soutenu par le Parlement de Tobrouk, a complètement inversé le rapport de force, au point de demander le départ de Martin Kobler, le représentant de l'ONU en Libye, pour avoir «failli à sa mission». Après s'être emparé des quatre ports pétroliers principaux de la Libye et les avoir remis à la Compagnie nationale libyenne du pétrole (NOC), Haftar est désormais perçu comme celui par qui la Libye a renoué avec les exportations d'hydrocarbures, principale source de revenus pour le pays. Depuis plus de deux ans, les terminaux étaient aux mains d'Ibrahim Jadhran et malgré les sommes colossales proposées par les gouvernements successifs, le blocus n'a jamais été levé. Si bien que les pertes de revenus sont estimées à plus de 50 milliards de dollars. Mercredi, donc, un tanker a quitté le principal port pétrolier de Libye, Ras Lanouf, pour l'Italie avec 776 000 barils de pétrole à son bord, alors qu'un autre tanker devait mettre ensuite le cap sur l'Espagne. Les condamnations maladroites du Royaume-Uni, des Etats-Unis, de l'Espagne, de l'Allemagne, de l'Italie et de la France, qui ont publié la semaine dernière un communiqué commun pour condamner l'opération de Haftar et rappeler que «les infrastructures pétrolières, la production et l'exportation doivent rester l'exclusivité de la Compagnie nationale (NOC) sous l'autorité du GNA» n'ont rien changé. Basée dans la capitale, la Compagnie nationale du pétrole a indiqué récemment qu'elle restait loyale au GNA, mais qu'elle appliquait les instructions du Parlement de l'Est concernant la gestion des infrastructures du croissant pétrolier. Pour augmenter la production de 100 000 barils par jour en moins une semaine à 390 000 barils par jour, et porter rapidement le niveau de production à 600 000 barils par jour, la NOC a indiqué qu'il fallait «de l'argent et de la sécurité». Afin de l'aider dans cette tâche, le gouvernement d'union vient de verser 310 millions de dollars à la NOC. Syrte Pour la Libye, qui importe près de 90% de ses besoins en nourriture et équipements, le prix des marchandises de base augmente de jour en jour, les banques sont plongées dans une grave crise de liquidités et le taux des devises au marché parallèle a été multiplié par quatre depuis deux ans. Pris à la gorge, les Libyens, qui font parfois la queue à l'extérieur des banques plusieurs jours de suite, juste pour pouvoir retirer 200 euros, sont descendus dans la rue, à Tripoli et dans d'autres villes du pays, le week-end dernier pour manifester. Vendredi, des centaines de personnes ont marché à Benghazi pour réclamer, elles aussi, le départ de Martin Kobler et de Fayez El Sarraj. A Tripoli, les habitants ont manifesté contre les coupures de courant qui peuvent parfois durer plus de dix heures. Pendant ce temps à Syrte, les combats pour libérer la ville, à 450 km de la capitale, de l'emprise de l'Etat islamique (EI) se poursuivent. Les forces pro-GNA étaient entrées le 9 juin dans la ville natale de Mouammar El Gueddafi, mais leur offensive avait été ralentie par les snipers, les mines et les voitures piégées. Le bilan est de plus de 450 morts et 2500 blessés. Dimanche, les forces du GNA avaient repris le contrôle de plusieurs bâtiments dont un hôpital de campagne et une école transformée par les extrémistes en atelier d'assemblage pour voitures piégées. Pour ne rien arranger, les autorités libyennes non reconnues ont accusé mercredi les forces du GNA d'avoir mené la veille un raid ayant tué sept civils dans le centre du pays, des allégations aussitôt démenties. «Des avions ont décollé de la base aérienne de la ville de Misrata que contrôlent les milices hors-la-loi et les groupes terroristes alliés» pour mener mardi un raid aérien sur un quartier résidentiel de Sokna, au sud de Syrte, a affirmé dans un communiqué le gouvernement de l'Est. La base aérienne de Misrata, située à mi-chemin entre Tripoli et Syrte, est le centre de commandement des forces qui soutiennent le GNA. Le porte-parole de cette base, Mohamad Gnounou, a affirmé que ces accusations étaient «calomnieuses et dénuées de tout fondement» et que les avions n'avaient effectué que des vols de reconnaissance au-dessus des zones du littoral. Sokna est une oasis d'environ 10 000 habitants située dans la région du Fezzan, à 200 km au sud de Syrte. Les avions des forces loyalistes effectuent souvent des vols de reconnaissance dans les zones au sud de Syrte au cas où les combattants de l'EI tenteraient de trouver refuge dans le Sud libyen, une zone peu contrôlée. Lundi, trois ressortissants, deux Italiens et un Canadien, ingénieurs dans une société italienne, ont été enlevés par un groupe d'hommes armés. Le rapt n'a, pour l'instant, pas été revendiqué.