El Medreb, projet réflexif et artistique autour des bâtisses abandonnées à El Hamma à Alger, s'est achevé hier. Un quartier oublié au milieu de plusieurs plans de réaménagement colossaux. L'occasion de revenir sur le quartier de Biyouna, où se cacha Cervantès dans ses hauteurs, et où une statue nue nargue le bigotisme ambiant. «El Hamma fi teryiba…», (El Hamma en pleine destruction), chantait déjà Abdelmadjid Meskoud à l'orée des années 1990, traumatisé par les travaux de démolition de son quartier algérois. Un quart de siècle plus tard, cette drôle de zone mi-résidentielle, mi-friche industrielle reste toujours suspendue aux aléas des plans d'aménagement, dont certains datent des années 1970, du temps de l'Ecotec et du Comedor. C'est dans ce quartier indécis, périphérique et central, côtier et enclavé, que se sont déployés les animateurs d'El Medreb, groupe d'artistes et de performeurs qui ont investi deux hangars pour y insuffler de la vie, de la créativité, de la réflexion, avec la participation des habitants du quartier. Ateliers de théâtre, projections grand-écran, graffiti, débats sur le quartier, ses possibilités de réhabilitation, de réappropriation, etc. «On ne pensait pas que les habitants d'El Hamma allaient autant s'investir, s'enthousiasme (et à juste raison) Malik Chaoui, activiste culturel et chargé de com' de la manifestation. Bien sûr qu'on avait un programme, mais on évoluait et on l'adaptait au public qui était de plus en plus nombreux. Nos artistes ont été beaucoup inspirés par les anecdotes, les histoires que les gens d'El Hamma partageaient avec eux.» Comedor Investir des lieux abandonnés, revisiter un urbanisme ballotté entre mille plans d'aménagement, relogement, requalification, re-re-réaménagement encore : les équipes d'El Medreb, qui animent une page facebook qui glane bâtiments, friches, hangars et autres non-lieux en attente d'une résurrection, réfléchissent à la problématique du vivre-ensemble in fine en revalorisant le lien social né d'un (et par) endroit, un quartier, el houma, cette dernière étant la cellule sociale la plus opérante après la famille. Mais n'est-ce pas trop tard, au vu des cataclysmes urbains et sociaux qui défigurent cette mal-aimée ville, l'Alger coloniale que des générations de walis et de technocrates centralistes n'ont su quoi en faire ? Car le projet de réaménagement est ancien, il a une généalogie et comme tout arbre généalogique, ça part dans tous les sens, avec souvent l'extinction d'une branche. Cet espace bucolique extra muros subit une première transfiguration, dès 1846, avec les installations industriels coloniales ; l'aménagement du port par Eugène Redan accélère la vocation économique de la zone ; alors que les installations des HBM (habitat bon marché) dès les années 1920, les HLM de Pouillon et plus tard les programmes des années 1980 appuieront cette double identité de quartier industriel et d'habitat. Néanmoins, durant le dernier siècle, usines et gros dépôts sont petit à petit poussés plus vers Hussein Dey, El Harrach, puis encore plus loin vers Oued Smar pour arriver ensuite jusqu'à Rouiba-Réghaïa. A la fin du siècle dernier, les petites industries qui résistent encore à El Hamma, entre des vieux murs décrépis, s'effondrent sous les coups de butoir de l'import-import et du FMI. Entre-temps, la localisation proche des terminaux portuaires, de la ligne de chemin de fer, la proximité avec l'hyper-centre algérois et le superbe écrin végétal (Jardin d'essais, bois des arcades) font de ce quartier la meilleure chance d'extension pour la capitale : Chadli rêvait là de son nouvel Alger, décentré vers El Hamma-Oued Kniss-Les Sources. Certaines réminiscences en béton et en marbre sont là pour préfigurer ces projets de l'Algérie des années 1980 : le projet du nouveau Parlement, la nouvelle cour d'Alger, la Bibliothèque nationale, etc. «Depuis les premiers plans d'envergure, comme le Comedor, la difficulté a toujours été la même, explique un haut cadre de l'Etat à la retraite. Certains intérêts fonciers privés étaient intouchables.» «Nous sommes vraiment désemparés, confie un élu de l'APC de Belouizdad dont dépend El Hamma. A un moment, la wilaya d'Alger avait décidé de tout raser. Ils ont commencé à hésiter, à faire les choses à moitié pour finir par ne plus savoir quoi faire de ce quartier.» «C'est vrai que ce quartier a connu, dans son aménagement, beaucoup d'hésitation, avoue une source officielle. Jusqu'à maintenant nos urbanistes réfléchissent à deux options : ou bien connecter à Hussein Dey le tissu urbain d'El Hamma en renforçant son caractère d'habitat, ou revenir vers sa vocation industrielle et commerciale vu la proximité du port. Ce n'est pas encore tranché.» Difficile donc de se battre contre la fatalité qui ronge espaces urbains, liens sociaux et envie d'être ensemble et non pas se voir projeter dans des cités sans vie(s), sans identités, sans même une appellation, au bout d'un chemin hâtivement bitumé. «Ce lieu-là, le hangar A qu'on a investi avec des graffitis, dessins, rencontres, projections, sera rasé et il y aura là le nouveau siège de l'APC. On ne peut pas s'y opposer, bien sûr, explique Malik Chaoui, mais nous essayons de sensibiliser à ce genre de démarche, réfléchir sur le potentiel en termes de développement local, social, culturel que peuvent représenter ces lieux à l'abandon, oubliés des grands plans actuels.» C'est peut-être une chance : peut-être qu'on assiste à de nouvelles affirmations d'une identité urbaine qui s'expriment publiquement ici et là, de Djart'14 à la Picturie générale, en passant par les photographes du Collectif 220. Peut-être que le sort d'Alger, écrasée par la pression démographique et le pêché colonial, n'est pas encore scellé. Peut-être.