Selon Smaïl Goumeziane, les transferts invisibles de capitaux «apparaissent presque anecdotiques» face à l'ampleur des pertes de ressources humaines. L'économiste Smaïl Goumeziane attire l'attention sur le grand «gâchis» de la ressource humaine et des cadres algériens, chèrement formés avant qu'ils soient poussés à quitter leur pays pour diverses raisons. Cet expert de renom et ancien ministre estime que les pertes les plus importantes pour l'Algérie ne sont pas dans les importations de produits finis ou semi-finis mais plutôt dans le départ massif de ses cadres et de sa ressource humaine. Dans une tribune publiée sur le site électronique libre-algerie du FFS, Smaïl Goumeziane souligne l'importance des «transferts invisibles» pas de capitaux, mais plutôt de «cerveaux». Cet économiste, qui a animé il y a dix jours une conférence sur «L'entreprise, la performance et le développement» lors du forum économique organisé par cette formation du défunt Hocine Aït Ahmed, assure, au regard de l'immense gâchis occasionné par d'autres «exportations invisibles», les transferts invisibles de capitaux de l'ordre de 1,5 à 2 milliards de dollars subis chaque année par le pays. Pourtant, ils apparaissent presque anecdotiques. «En effet, explique-t-il, des exportations invisibles d'une autre ampleur sortent régulièrement et gratuitement du pays sans qu'elles apparaissent dans les statistiques du commerce extérieur national.» Il s'agit du flux incessant depuis une trentaine d'années de cadres algériens, de tous niveaux et de tous statuts, qui quittent le pays pour offrir leurs compétences à divers pays d'accueil, dont la France, le Canada, la Belgique ou le Royaume Uni. «On le sait, en nombre, depuis tout ce temps, ce sont quelque 500 000 individus qui sont partis. Or, si on a périodiquement signalé qu'il s'agissait là de pertes humaines considérables pour le pays, on en a très rarement évalué le coût en termes financiers», précise-t-il. Pour ce professeur d'économie, le coût de ces «fuites de cerveaux», qui pourrait être estimé de trois manières complémentaires, se chiffrerait en dizaines de milliards de dollars. Smaïl Goumeziane souligne que le coût de formation et d'apprentissage d'un cadre dans les pays d'accueil (la France, par exemple) est de l'ordre de 8000 dollars par an. Et il précise qu'il faut une quinzaine d'années pour assurer cette formation. Et un cadre déjà formé ailleurs leur permet donc d'économiser 12 000 dollars, ajoute cet expert, qui relève que «pour 500 000 cadres, l'économie — ou le bénéfice pour les pays d'accueil — serait donc de quelque 60 milliards de dollars payés tout au long de leur formation par l'Algérie». Dans un autre cas, Smaïl Goumeziane axe son raisonnement sur le PIB par habitant de l'Algérie, qui est de l'ordre de 7000 dollars par an, soit 210 000 dollars sur 30 ans. Ainsi, pour lui, le départ de 500 000 cadres s'est donc traduit par une perte de richesse nationale pour l'Algérie de quelque… 105 milliards de dollars. Dans ces deux seuls cas, les «exportations invisibles d'êtres humains» non seulement n'ont rapporté aucun centime au pays mais, plus grave, lui auront coûté pas moins de 165 milliards de dollars. Outre l'impact financier, M. Goumeziane évoque la perte d'expérience que cela a occasionné pour le pays, la diminution de la capacité d'innovation, l'absence de capacités techniques, organisationnelles et culturelles et le manque d'effet de transmission et d'entraînement pour les générations futures. Ces cadres partis massivement à l'étranger sont, à ses yeux, un «véritable cadeau royal offert aux pays d'accueil». Il assure que ces cadres qui ont quitté le pays pour diverses raisons ont généralement contribué, lorsqu'ils n'étaient pas au chômage, à la création de richesse nationale. «Si l'on suppose que dans ces pays, chaque cadre contribue directement à hauteur de 20 000 dollars par an, cela signifie que la part globale du PIB créé par eux dans les pays d'accueil sur 30 ans est de l'ordre de 300 milliards de dollars», indique-t-il, estimant qu'au bout du compte, «le départ de 500 000 cadres d'Algérie s'est donc traduit par un bénéfice global de l'ordre de 465 milliards de dollars pour les pays d'accueil».