Du côté de Tripoli et du gouvernement d'entente, on espère toujours parvenir à recoller les morceaux et à convaincre les Libyens de se réconcilier. Les autorités françaises ne doivent certainement pas être satisfaites de la rencontre sur la Libye qu'elles ont organisée lundi soir à Paris. Il y a de quoi. En plus de certaines absences de taille, le tour de table qui devait réunir les principaux «parrains» de l'ex-Jamahiriya n'a débouché sur rien de concret. Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, s'est pratiquement retrouvé à présider une réunion d'experts en raison de la défection de plusieurs ministres, dont celle de son homologue égyptien. L'objectif de Paris était de réunir les «parrains» des deux camps qui se disputent actuellement le pouvoir (Turquie et Qatar d'un côté et Egypte, Emirats et Arabie Saoudite de l'autre) pour les amener à construire un consensus sur la formation d'un gouvernement plus inclusif possible et faisant notamment toute la place au maréchal Khalifa Haftar et à ses hommes. Ce n'est un secret pour personne, ce dernier veut avoir le commandement de l'armée (état-major et MDN) et du ministère de l'Intérieur. Cette demande a été jugée tout simplement irréaliste par le bloc de Tripoli. Ce forcing de la France — que les observateurs présentent en grande compétition avec les Italiens pour truster les ressources pétrolières — risque d'alimenter davantage les hostilités entre les deux camps qui s'affrontent en Libye, d'autant que l'Egypte estime que l'Est libyen tombe dans la zone naturelle d'influence et que c'est une question relevant de sa sécurité intérieure. Enjeux géopolitiques énormes C'est ce qui pourrait d'ailleurs expliquer la défection du représentant de l'autorité égyptienne à cette rencontre à laquelle n'ont pris part ni les pays voisins de la Libye et encore moins Fayez El Sarraj, président du Conseil présidentiel libyen. Au moment de la réunion, il était à Alger avec son ministre des Affaires étrangères pour une visite officielle de deux jours. L'intérêt accru des monarchies du Golfe et des Occidentaux pour la Libye s'explique par le fait que le dossier libyen renvoie à des enjeux géopolitiques et économiques considérables. La compétition est particulièrement serrée entre les grandes puissances. L'Egypte, quant à elle, semble avoir adopté la «doctrine dite de l'étranger proche». Elle veut clairement s'assurer plus qu'un droit de regard en Libye. Du côté de Tripoli et du gouvernement d'entente, on espère toujours parvenir à recoller les morceaux et à convaincre les Libyens de se réconcilier. A ce propos, le ministre libyen des Affaires étrangères, Mohamed Tahar Siyala, a réitéré, lundi soir à Alger, «le souci du Conseil présidentiel libyen et du Gouvernement d'union nationale de concrétiser la réconciliation nationale en Libye comme solution efficace à la crise dans le pays». Dans une conférence de presse co-animée avec le ministre algérien des Affaires maghrébines, de l'Union africaine et de la Ligue arabe, Abdelkader Messahel, M. Siyala a fini néanmoins par reconnaître que «les ingérences étrangères affichées ou masquées entravent la réconciliation nationale en Libye» et fait remarquer que la diplomatie libyenne s'attelait actuellement «à convaincre les autres parties de laisser les Libyens décider de leur avenir par eux-mêmes». Paradoxe et double discours A l'occasion, le ministre libyen a appelé une énième fois la communauté internationale à exercer des pressions sur les parties entravant le processus de règlement politique en Libye pour les amener à interagir positivement avec les efforts consentis par le Conseil présidentiel et le Gouvernement d'union nationale. M. Siyala a affirmé en outre que «toute option qui prône la renégociation de l'accord politique ne fera qu'entraver le processus de règlement pacifique de la crise». Il a estimé que la situation en Libye n'avait pas besoin d'une renégociation d'un accord objet d'un consensus international, dont celui de l'ONU, du Conseil international de sécurité, de l'Union africaine et de la Ligue arabe. «L'accord politique est la base du règlement de la crise» en Libye, a-t-il martelé. Il semble que les grandes puissances, qui ont pourtant tout fait pour permettre à Fayez El Sarraj de se retrouver à la tête du Conseil présidentiel libyen, pensent maintenant tout autrement. Et c'est justement là le paradoxe. Mais c'est aussi cela l'art d'exceller dans le double discours.