- Quel constat faites-vous aujourd'hui ? Mon collègue qui travaille sur place a été le premier à remarquer que des oiseaux sont nombreux à souffrir et à se débattre atrocement avant de mourir après une faiblesse aux muscles. J'ai moi-même pris des photos d'oiseaux ayant du sang sur l'abdomen, j'en conclus que ce n'est pas une mort naturelle. Le foie et la rate sont touchés. La liste est ouverte puisqu'on n'a pas encore déterminé la cause qui pourrait être par intoxication, due à une maladie ou par un quelconque virus. Toutes les espèces créchant dans la partie supérieure du lac sont touchées, la tadorne Casarca et la sarcelle marbrée enregistrent les plus grandes pertes. Avez-vous une explication pour cette situation ? C'est une situation inédite. J'observe les oiseaux depuis plusieurs années et je peux vous dire que c'est la première fois que cette mortalité est constatée. La cause la plus probable est le déversement d'une substance à forte toxicité vu le nombre de morts au niveau de l'embouchure de déversement des eaux usées. - Quelles sont vos craintes ? Pour la biodiversité, c'est déjà une catastrophe, mais on craint qu'elle passe à l'humain, des gens visitent le lac, des enfants viennent y jouer, il y a aussi les coupeurs de bois. Dans un pays qui se respecte, une fois l'alerte lancée, tout le monde doit se déplacer sur le site pour y remédier. Or, on a alerté les services des forêts, leur agent a averti sa tutelle et envoyé des spécimens d'oiseaux morts et en faiblesse depuis une dizaine de jours. Ce laxisme a fait que les choses empirent. Alors que le maire, le wali délégué, la gendarmerie ont tous été alertés quant aux dangers sur les enfants. Il n'y a pas de réaction officielle à la mesure du danger. Ils ne savent pas l'importance du site et de la catastrophe. Ils n'ont pas d'expérience dans ce type d'incidents pour intervenir. Ils attendent des avis. Sinon on n'aura pas d'oiseaux cette année. Si les gens de Ramsar viennent avant le DG des forêts, ils vont déclasser le site. - Quel est l'impact de cette catastrophe ? Sebkhet El Malleh est classée en tant que zone humide à importance mondiale, il y a des critères de haute importance qui ne pourront peut-être plus être réunis si rien n'est fait en urgence. Le primer est l'existence de la famille des anatidés avec un taux dépassant le 1% de l'effectif régional. Le second est qu'en 2007, nous avions découvert que le flamant rose n'était plus un oiseau de passage puisqu'il se reproduisait sur site. D'où l'opération de baguage en 2009 qui a donné des citoyens purement algériens. Beaucoup sont devenus semi-sédentaires, parmi eux des espèces en danger telles que la sarcelle marbrée. Il y a en outre un risque de propagation si la thèse du virus ou de la maladie se confirme. Il y a enfin le risque de déclassification du site. - Quelle est l'importance de Sebkhet El Maleh ? Outre son importance écologique pour la Sahara algérien et la région d'El Ménéa, El Malleh est d'une importance capitale étant sur la voie de migration de beaucoup d'oiseaux. Au mois d'avril et de mai, on peut en compter des milliers qui y font halte. Pour nous autres chercheurs, nous faisons des sorties pour voir l'évolution du peuplement aviaire dans toutes les zones humides du Sahara et spécialement à El Ménéa et Ouargla. Des études sur sa reproduction, le baguage d'une espèce emblématique, le flamant rose, le travail est toujours en cours. Le problème c'est qu'en Algérie, on classe sans conserver. Longtemps je pensais que le site de Réghaïa par exemple était conservé, mais ce n'est pas le cas. Des déchets industriels y sont déversés chaque jour. Il y a le braconnage, la pollution des eaux, la coupe des herbes, le déversement des eaux polluées. D'un point de vue écologique, ce site est plus important que celui de Réghaïa, il est unique de par sa situation au milieu du Sahara, les distances, le fait qu'il soit une halte obligatoire pour le repos et le ravitaillement des oiseaux en migration vers le Sahel, notamment le Tchad, le Sénégal et la Mauritanie.