Vingt-deux ans dans l'architecture. Qu'est-ce qui vous y a amenée ? Une véritable fascination pour cette discipline. Un goût pour l'action liée à la réflexion, le plaisir du travail sur le terrain, le sentiment d'être utile à sa société et son pays. C'est une joie exceptionnelle de voir sortir de terre des choses que l'on a imaginées et dans lesquelles vos semblables vont habiter, travailler, étudier, se détendre.... Toutes les fonctions de la vie, en somme. Pourtant, avec tant de bonheur en vue, vous avez plaqué tout l'an dernier... J'ai exercé ce métier avec passion. J'ai adoré concevoir des projets puis suivre leurs chantiers, bien que ce soit difficile. Et là, c'est devenu plus que difficile. Il y a maintenant une vraie détresse des architectes algériens, le sentiment d'être mis de côté, de voir leur profession ignorée ou méprisée. Et puis, 22 ans, ça use, surtout lorsque l'on voit que les choses n'avancent pas, régressent parfois. En 2012, j'ai pris une année sabbatique pour faire le point. Est-ce que cela valait encore le coup de continuer ? Là, j'ai eu le temps de revenir à ma deuxième passion, la musique… La deuxième ou une autre ? Je dirai une autre alors. Il se trouve que l'architecture a pris l'essentiel de mon temps. J'ai créé avec des amis l'association Musaika. Au départ, il s'agissait d'œuvrer seulement pour la musique, surtout qu'il y avait plusieurs musiciens parmi les fondateurs. Mais très vite, le concept a évolué vers le rapport de la musique avec d'autres arts, en fait une mosaïque d'activités. D'où le nom de l'association qui mélange les mots «musique» et «mosaïque». Mais quel est votre rapport personnel à la musique ? Vous la pratiquez ? Une passion de mon enfance. J'ai toujours eu l'oreille fine et la musique est un univers de nuances merveilleuses. J'ai pratiqué les percussions en amatrice. On me disait que j'avais le sens du rythme et dans les fêtes de mariage, on me collait souvent à la derbouka. Quand j'ai découvert le bendir, c'était une révélation. Le son de cet instrument est formidable avec sa vibration, sa chaleur, sa joie… C'est peut-être le bendir qui m'a attiré vers le gnawa, le guembri. Pendant ces 20 dernières années, j'ai passé le plus de temps possible à découvrir des musiques, des genres, des artistes. Les vacances au bord de mer, ce n'est pas mon truc. Mais les festivals et les concerts, oui. Le Dimajazz, le festival de Diwan, etc. A l'étranger, Marciac, Essaouira… Le jazz, les musiques africaines. Toujours à la recherche de sons nouveaux. Après Musaika, vous créez l'agence de promotion culturelle, Ifrikya Roots. Ce nom est tout un programme... Cela remonte surtout au 2e Festival culturel panafricain d'Alger en 2009 qui a provoqué en moi un immense questionnement. Quel est notre rapport avec l'ensemble de l'Afrique ? Quelle est la part d'Afrique dans notre patrimoine ? Notre contribution culturelle au continent ? Pourquoi attendre 40 ans pour renouer avec ce fonds (ndlr ; le premier Festival panafricain a eu lieu en 1969) ? Je crois qu'il faut rechercher une continuité dans la culture, ne négliger aucune des richesses que nous avons puisque notre pays a la chance d'avoir de nombreuses sources patrimoniales. Donc, Ifrikya Roots, c'est l'ambition de monter des projets avec le souci constant de nous aider, nous Algériens, à assumer notre part d'africanité. Mon rêve, par exemple, serait de faire jouer Abdelhamid Bouzaher, cheikh de la chanson chaouie, avec des musiciens contemporains d'Algérie, d'Afrique du Sud ou d'autres pays du continent. Etre passée à l'entreprise culturelle signifie-t-il que le cadre associatif ne vous convient plus ? J'ai un immense respect pour le cadre associatif. Mais on se rend vite compte de ses limites : le bénévolat, l'indisponibilité des gens, l'improvisation conséquente… Au début, tout le monde est enthousiaste puis cela s'essouffle. Au-delà des personnes, il y a le poids de notre environnement, un mode de vie contraignant et chronophage… Et le peu d'attention des autorités. J'ai voulu aller plus loin et prendre le risque de créer une entreprise de promotion culturelle dont la raison sociale est aussi le nom du projet : Ifrikya Roots. Elle a vu le jour au début de l'année. Nous voulons organiser notamment des résidences d'écriture musicale et des projets culturels où se rencontreraient des artistes et musiciens du continent. Cette activité est liée au projet de création d'un pôle culturel africain à Timimoune. Pourquoi un pôle et pourquoi en cet endroit ? Il nous faut un lieu pour catalyser les énergies créatrices, un espace emblématique de notre démarche en même temps qu'une plate-forme de création, de diffusion et de promotion. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que nous n'agirons pas ailleurs. Mais Timimoune, en plus de sa beauté touristique, est un carrefour de la culture africaine où se brassent les expressions maghrébines et subsahariennes. C'est une ville-oasis qui a été un passage important des grandes routes caravanières (roots et routes). Sa population accueillante porte en elle un patrimoine oral, musical et symbolique riche dans la richesse globale du Gourara. Ce n'est pas pour rien qu'elle a attiré de nombreux artistes algériens venus du Nord. Depuis dix ans, des infrastructures ont commencé à se mettre en place : hôtels, maisons d'hôte… C'est une véritable destination culturelle dans un cadre naturel magnifique avec un patrimoine culturel riche. Tout pour devenir un pôle culturel actif dans notre pays mais aussi à l'échelle du continent. Et nous souhaitons développer un tourisme culturel de qualité avec et pour la population locale. Avec les jeunes surtout, les autorités locales, les associations. Fédérer autour de la culture et de ses retombées économiques réelles. La première activité de Ifrikya Roots est pour bientôt… Oui, du 20 au 23 octobre au YIA Art Fair de Paris, une manifestation d'art contemporain où nous allons exposer l'artiste algérienne Djahida Houadef et représenter l'Algérie. C'est la première fois que le YIA intègre un espace Afrique du Nord. On a travaillé avec les organisateurs et nous avons proposé un travail de Djahida, des œuvres d'art digital qu'elle n'avait jamais montrées, elle qui est plutôt adepte du pinceau. Le YIA a été emballé par ce travail et le projet global d'Ifrikya Roots et ses responsables nous ont finalement offert l'espace. C'est une forme de mécénat,rare chez des organisateurs d'événements... Sans doute et nous aimerions tellement rencontrer les mêmes disponibilités ici. Nous avons eu beaucoup de mal à réunir le budget, pourtant modeste de la manifestation. C'est toute la problématique de la promotion culturelle indépendante en Algérie. Comment trouver des soutiens, des financements ? Nous n'avons pas ménagé nos efforts : constitution d'un dossier, tirage de plaquettes, courriers, appels, démarches, audiences, entretiens, etc. Aucun retour ! Quand vous voyez des entreprises florissantes et respectables ne pas répondre même négativement à une lettre ! Mais il en faut plus pour nous décourager. Finalement, nous avons trouvé un mécène qui a tenu à garder l'anonymat et qui a pris en charge une partie du budget sans demander de contrepartie. C'est peut-être un miracle, mais il a cru à notre projet et nous l'en remercions vivement. Monter une entreprise culturelle quand les entreprises purement commerciales éprouvent bien des difficultés. Vous n'avez pas choisi la facilité… Certainement pas, mais nous voulons croire à l'appel du ministre de la Culture en direction du secteur privé. L'Etat ne peut plus financer toute la culture, ce n'est d'ailleurs pas son rôle, que l'on soit en crise ou non. Il faut libérer les initiatives du secteur privé, des associations. Le rôle du ministère n'est pas de nous donner de l'argent mais de faciliter les activités de promotion culturelle, encourager leur éclosion, agir auprès des autres ministères (Finances, Tourisme, etc.) pour des mesures d'accompagnement qui peuvent être fiscales ou autres, encourager les entreprises à faire du mécénat culturel… C'est tout un modèle économique culturel que notre pays doit mettre en place et qui peut devenir très rentable. Les industries culturelles rapportent beaucoup à leurs pays. Le ministère de la Culture doit contribuer à la mise en place de mécanismes, de cadres et d'outils pour développer l'économie de la culture. Donc, oui, ce n'est pas facile mais nous sommes pleins de rêves, de projets, de passion et de volonté.