Alors que l'onde de choc du double attentat au camion piégé à Réghaïa et à Dergana, dimanche soir, commençait à se dissiper, un convoi militaire a été attaqué, hier matin, sur la route de Si Mustapha (wilaya de Boumerdès), à l'est de la capitale, provoquant une grande panique parmi les automobilistes. Une bombe activée à distance par un téléphone portable a explosé au passage d'un convoi de véhicules militaires, ne faisant, fort heureusement, aucune victime, mais arrachant un poteau électrique. Une autre bombe de même type a visé, quelques heures plus tôt, un autre convoi de l'ANP qui avançait sur une route de montagne, située à quelques kilomètres de cet endroit, et a causé des blessures légères à un militaire. Ces attentats à l'explosif, qui se sont multipliés depuis l'été dernier à la périphérie est de la capitale, montrent que le GSPC a réussi à restructurer ses groupes de soutien et d'appui, en dépit des sévères pertes qu'il a eu à subir ces deux dernières années. La recrudescence de ce type d'attentats était prévisible, selon des sources sécuritaires, dans la mesure où, durant les derniers mois, de nombreux véhicules et camions ont été volés dans la région de Boumerdès et de Tizi Ouzou. Même s'il est difficile de discerner entre les vols commis par les trafiquants de véhicules et ceux qui relèvent du terrorisme, il n'en demeure pas moins que ces faits sont généralement révélateurs d'une situation inquiétante qui aurait pu déclencher une riposte à la hauteur du risque. Les deux camions Saviem utilisés dans les attentats de dimanche ont été volés, selon nos sources, vers la mi-septembre dernier, de la décharge publique de Boudouaou par des individus armés. Ils appartenaient aux APC de Boudouaou et Boudouaou El Bahri et servaient au ramassage des ordures. « L'alerte a été donnée pour retrouver les traces de ces poids lourds et nous pensions qu'ils allaient être utilisés durant le mois de Ramadhan parce que nous savions qu'il s'agissait d'un acte commis par des terroristes. Le signalement donné par les chauffeurs a permis d'identifier les criminels qui sont recherchés depuis des années. Malheureusement, ils ont choisi le moment de l'après-Ramadhan, une période de relâchement caractérisé. » Notre source a confirmé que l'une des victimes civiles décédées est le frère d'un terroriste. « Rien n'indique que cette personne soit impliquée dans l'attentat. Elle était juste en face du commissariat de Réghaïa lorsque l'attentat a eu lieu », a précisé notre interlocuteur. Relâchement Dans tous les cas, la facilité avec laquelle les terroristes ont stationné les deux camions devant les commissariats sans éveiller les soupçons des agents chargés de la surveillance postés au niveau des guérites surplombant les deux bâtiments a été sévèrement critiquée lors d'une réunion ayant regroupé les plus hauts responsables de la sécurité du pays, tenue lundi à Alger, en présence des cadres des sûretés urbaines, des divisions de la police judiciaire dépendant de la sûreté de la wilaya d'Alger ainsi que les autres services de la gendarmerie et de l'armée. Nos sources ont indiqué que les débats auraient été très chauds lors de cette rencontre qui a duré plus de trois heures. Une critique sévère a été adressée aux responsables chargés de la sécurité à Alger et des mesures disciplinaires pourraient être prises les jours qui viennent contre certains d'entre eux, dans la mesure où il y a eu un relâchement et un laxisme flagrants. « Une faille qui a permis aux terroristes de revenir sur le terrain et de mener des actions aussi spectaculaires, même si au fond tous les spécialistes savent que les attentats à l'explosif sont les plus difficiles à neutraliser ou à prévenir. Un évaluation de la stratégie de lutte contre le terrorisme a été faite et de nouvelles mesures vont être prises. Parce que nous sommes devant une étape des plus dangereuses et la prévention ainsi que la riposte doivent être à la hauteur de ce danger », a-t-on ajouté. Pour nos interlocuteurs, le GSPC est en train d'utiliser les mêmes méthodes que celles auxquelles le GIA a eu recours durant les années 1996 et 1997. L'on se rappelle que cette période a été la plus meurtrière pour les Algérois, qui comptaient quotidiennement leurs morts par centaines. Après avoir ciblé les commissariats et les brigades de gendarmerie, le GIA est passé aux lieux publics, faisant beaucoup plus de victimes parmi la population civile. Le dernier attentat de ce type remonte au 2 juillet 1997. Une Lada blanche a explosé en plein centre d'El Biar faisant 8 morts et 25 blessés. Moins d'un mois auparavant, deux bombes déposées dans des bus bondés de monde ont explosé, une à la place des Martyrs et l'autre à Ghermoul, faisant dix morts et une soixantaine de blessés. Le 23 juin 1996, deux autres véhicules ont explosé à Boufarik tuant sur le coup dix-neuf personnes et blessant une trentaine d'autres. L'Est, zone de prédilection du GSPC Le 12 mai 1997, quatre explosions de véhicules piégés ont fait 8 morts et 70 blessés à Bordj El Kiffan et à Ben Aknoun. Le 9 mars 1997, un attentat à la voiture piégée a causé la mort à 4 personnes et causé des blessures à 27 autres. Le 18 mars 1997, trois véhicules piégés ont explosé à Kouba, faisant quatre morts et une vingtaine de blessés. Le 8 janvier 1997, une voiture piégée stationnée à proximité de la Fac centrale a explosé faisant sept morts et une soixantaine de blessés. Le 9 janvier 1997, les services de sécurité ont désamorcé, en l'espace de 48 heures, 11 véhicules piégés garés dans plusieurs lieux publics. Le 2 janvier 1997, un autre attentat de même type a fait vingt-trois morts et une centaine de blessés à Belcourt. Le 28 décembre 1996, un autre véhicule piégé a fait 10 morts et 68 blessés à Hussein Dey. Le 24 décembre 1996, un véhicule piégé a fait trois morts et une quarantaine de blessés à Bab El Oued, et le 25 du même mois, un autre attentat à l'explosif a fait 5 morts et 18 blessés à Blida. A Tixeraïne, un véhicule piégé a tué, le 11 novembre 1996, 10 citoyens et causé des blessures à 25 autres. Le 4 septembre 1996, une voiture piégée stationnée devant l'hôtel d'Angleterre, à Alger-Centre, a explosé tuant 4 personnes et causant des blessures à 35 autres. Durant la même année, la maison de la presse Tahar Djaout a été soufflée par un fourgon piégé qui a fait au moins vingt-cinq morts et plus d'une centaine de blessés. Tous ces véhicules étaient préparés à Ouled Allel, situé à Sidi Moussa, le quartier général du GIA, avant d'être acheminés sur Alger. Il aurait suffi que l'ANP mette les moyens pour mener une offensive contre ce retranchement dit « infranchissable » du GIA pour que les attentats aux véhicules piégés s'arrêtent subitement. Maintenant que le GSPC emprunte le même chemin que le GIA, il est clair que tous les attentats à l'explosif ont eu lieu dans la région est de la capitale, ce qui prouve que la zone d'approvisionnement en ces engins de la mort ne peut être que la région de Boumerdès, lieu de prédilection du GSPC. Faut-il attendre que la capitale replonge dans la terreur des années du GIA pour que l'initiative militaire soit prise ?