Non encore adopté par le Parlement, le projet de loi de finances (PLF) 2017 fait déjà grincer des dents. Intervenant dans un contexte économique marqué par la raréfaction des ressources et le quasi-assèchement du Fonds de régulation des recettes, le texte risque de mettre sérieusement en péril un pouvoir d'achat déjà sérieusement ébranlé par l'inflation et la dépréciation de la monnaie nationale. Le fait est qu'il prévoit l'augmentation de certaines taxes et tarifs dont l'impact est direct sur les ménages. Parmi les nouveautés de ce projet de loi, l'augmentation des tarifs des carburants, qui vient s'ajouter à celle opérée en 2016, l'élargissant du champ d'application de la TIC (taxe intérieure de consommation) à certains produits de luxe et son élévation pour le tabac, une hausse de la TVA ou encore l'institution de nouvelles taxes sur la délivrance de certains documents administratifs. La première priorité du gouvernement depuis 2016 est de récolter de nouvelles ressources pour augmenter les recettes non pétrolières et le PLF 2017 s'inscrit justement dans ce cadre. Selon les chiffres avancés dans le document, l'incidence financière des mesures contenues dans ce projet serait de plus de 240 milliards de dinars de ressources en plus (graphe 1). On reste toutefois bien loin de ce dont a besoin le budget de l'Etat pour s'équilibrer, ce chiffre représentant à peine 20% du déficit du Trésor pour l'année 2017. Une misère quand on sait par exemple qu'en 2014, l'administration des impôts estimait le manque à gagner, dû uniquement aux exonérations fiscales, à près de 800 milliards de dinars chaque année. A mesure que la crise s'installe et que les besoins en liquidités pour alimenter le budget de l'Etat se précisent, l'idée de s'attaquer plus efficacement à certaines niches fiscales était devenue presque inévitable pour le gouvernement. Mais en théorie seulement. A titre d'exemple, les exonérations fiscales accordées généreusement à certains dispositifs d'investissement n'ont pas été touchées dans le projet de 2017. On estime à environ 10% du total des exonérations fiscales la part qui profite aux investisseurs dans le cadre des dispositifs Andi et Ansej. Cette enveloppe a atteint en 2013 plus de 90 milliards de dinars, dont près de 80% bénéficient aux investisseurs dans le cadre de l'Andi. Les avantages accordés dans le cadre des régimes privilégiés Ansej, Angem, Cnac et Andi ont dépassé les 270 milliards de dinars en 2013. Le projet de 2017 reste pourtant timide sur cet aspect. «On compte dans ce projet une petite partie de nouveaux impôts et taxes, le reste des dispositions concerne l'augmentation du taux d'impôts et taxes déjà appliqués», analyse un économiste. Le texte prévoit ainsi «essentiellement des dispositions visant à corriger les incohérences induites par la loi de finances pour 2015 suite aux modifications relatives à l'Impôt forfaitaire unique (IFU) et suite à l'exclusion des professions libérales du champ d'application de l'IRG», nous explique-t-il. Après la loi de finances complémentaire de 2015, on estime que les opérateurs économiques, qui sont passés au régime du forfait et qui n'étaient plus concernés par l'IRG ou l'IBS, ni par la TVA et la TAP, représentaient 96% des entités économiques nationales (sur la base du recensement de l'ONS pour 2011), soit un manque à gagner énorme pour le fisc. Le texte de 2017 corrige le tir en réintroduisant les professions libérales dans le champ d'application de l'IRG. En outre, les nouvelles impositions concernent la réintroduction de l'IRG de 5% sur la plus-value obtenue grâce à la cession d'immeubles bâtis ou non bâtis ou encore l'application d'une TVA sur les marges réalisées par les marchands de meubles d'occasion. L'IRG et la TVA se trouvent justement être les principales sources des recettes fiscales. L'IRG salaire est prélevé à la source et la TVA est recouvrée à hauteur de 85%, soit des ressources disponibles et garanties (graphes 2). «L'idée répandue est que les salariés payent plus que les autres assujettis à l'impôt, car ils sont soumis au régime de la retenue à la source. Le rendement de la fiscalité sur les salaires semble évoluer bien au-delà des autres postes faisant apparaître la fiscalité salariale comme une source majeure des revenus de l'Etat», note Khaled Menna, maître de recherche au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread). Louisa Hanoune, la secrétaire générale du Parti des travailleurs dans un réquisitoire contre le PLF 2017, affirmait justement qu'il y avait plusieurs pistes inexploitées qui permettraient à l'Etat d'engranger des ressources supplémentaires, estimant que l'amélioration du taux de recouvrement des impôts reste «très loin du montant astronomique d'impôts non perçus par l'Etat (soit 9981 milliards de dinars fin 2013)». Une somme qui, si elle était récupérée «contribuerait à réduire le déficit budgétaire et éviterait d'aller chercher l'argent dans la poche des travailleurs». A titre d'exemple, l'impôt sur le patrimoine représente 0,02% de la structure des impôts directs, tandis que l'IRG salaire en représente 60%. Le DG des impôts a déjà admis que le rendement de l'impôt sur le patrimoine est en deçà de ce qu'il devrait être. C'est sans doute pour cela que le PLF 2017 prévoit une TIC de 30% sur des biens, comme les yachts et les bateaux de plaisance.
Facilités L'Etat a besoin de toutes les ressources, mais il ne peut disposer que de celles auxquelles il peut accéder. Et à défaut de pouvoir récupérer l'argent de la fraude, de l'évasion fiscale et des riches, le gouvernement mise sur ce qui existe déjà en augmentant notamment certaines taxes, comme la TVA et la taxe sur les produits pétroliers (TPP). Ainsi, le texte propose d'augmenter les tarifs de la TPP de 1 DA/l pour le gasoil et de 3 da/l pour les autres types d'essence. La TPP sur l'essence super et sans plomb sera de 9 da/l au lieu de 6 DA actuellement, l'essence normal passera à 8 da/l au lieu de 5 da et le gasoil passera à 2 da/l au lieu de 1 DA. L'autre augmentation, qui promet de faire mal, est la TVA, qui est l'une des principales sources de financement du budget de l'Etat et le deuxième poste de recettes fiscales après l'impôt sur le revenu global. Dans le PLF 2017, le taux normal de cette taxe passe à 19% au lieu de 17%, alors que le taux réduit passe à 9% au lieu de 7%. Le gouvernement espère engranger plus de 100 milliards de dinars de recettes en plus en relevant ce taux. Mais aussi en étendant son application. Mais ce n'est pas tout. Le projet introduit également une mesure soumettant, en cas de vol, la délivrance d'un passeport à une taxe supplémentaire de 10 000 DA, qui s'ajouterait au droit du timbre initial. La carte d'identité biométrique serait, quant à elle, obtenue moyennant le paiement de 1000 DA en cas de perte, détérioration, vol ou renouvellement. Entre explorer le potentiel de nouvelles niches fiscales et tirer le maximum des assujettis déjà existants, le gouvernement a sans doute fait le choix de la facilité devant l'urgence de la situation, mais un choix dont l'impact pourrait être mitigé. «Lorsqu'on institue un impôt ou une taxe, il faut prévoir le mécanisme de son calcul et de son contrôle par l'administration fiscale, sinon la niche fiscale ne serait d'aucune utilité», estime Larbi Sarrab, expert en fiscalité. Il cite l'exemple de la TVA sur la marge des marchands des biens de meubles d'occasion. «C'est une nouvelle niche fiscale, mais c'est une énorme absurdité parce que les particuliers n'établissent pas de facture à la vente de leur véhicule ou de leur meuble, document essentiel pour calculer la TVA de cette marge. Aussi, pour les marges, on applique l'impôt sur le bénéfice et non pas la TVA», explique-t-il. Alternatives L'augmentation des impôts est peut-être «la solution la plus facile» pour faire face à cette conjoncture difficile, mais il en existe d'autres, estime Khaled Menna. Le souci est qu'elles sont «politiquement et socialement difficiles à surmonter ou à faire passer». Endettement, privatisation, coupures budgétaires drastiques ne sont pas plus populaires qu'une hausse des impôts pour les ménages. Tout le «dilemme» de devoir choisir entre «augmenter l'imposition sur les ménages et les entreprises au risque d'impacter négativement la croissance économique ou inciter les agents économiques par des mesures incitatives mais au prix de grands déficits budgétaires et de risques inflationnistes», explique l'économiste. Le temps est venu pour l'Etat de trouver d'autres sources de financement du budget et pour l'administration fiscale d'aller chercher l'argent où il se trouve. «Il faut imaginer d'autres solutions pour permettre un meilleur recouvrement de l'impôt. L'informel qui représente 35 à 40% du PIB peut être une source formidable pour améliorer le recouvrement des impôts», affirme Khaled Menna. Encore faut-il pouvoir s'y attaquer. En attendant, les petits contribuables continueront à sacrifier leur pouvoir d'achat pour combler le déficit.