Certains se plaignent de son éparpillement et d'autres célèbrent sa diversité. Si la nouveauté n'est pas un impératif pour un jeune écrivain, comme l'a si bien souligné Waciny Laredj, parrain de la rencontre organisée au SILA sur la 3e génération d'écrivains, le contexte et l'accumulation d'expériences littéraires font l'originalité de chaque époque. Avec le recul, il nous est facile d'appréhender les productions littéraires du passé en termes de tendances liées à un contexte et à des influences. Il ne s'agit pas tant de l'âge des écrivains que du contexte de rédaction et, surtout, de publication. Aujourd'hui, nous lisons inévitablement les œuvres des années 50' en rapport avec la situation coloniale, celles des années 80' comme annonciatrices de l'émancipation politique de 1988 et celles des années 90' en tant que témoignages de la décennie de terrorisme. Ces lectures sont aussi simplistes qu'inévitables. Simplistes car elles évacuent l'originalité de chaque œuvre et la plaquent sur son contexte. Inévitables si l'on veut aborder la littérature algérienne dans son historicité. Des nuances sont évidemment nécessaires pour ne pas transformer les textes littéraires en documents historiques. S'il est facile de concevoir les œuvres du passé dans des ensembles, il est beaucoup plus ardu de le faire pour la littérature contemporaine. Là, la focale est trop rapprochée et on ne voit plus que diversité et singularités. Pourtant, il y a forcément des tendances, et un événement tel que le SILA est l'occasion d'opérer une sorte de coupe transversale dans la production littéraire actuelle. L'espace et le temps d'un article de presse sont certainement trop restreints pour une telle question, mais nous pouvons nous aventurer à quelques remarques. La première est que beaucoup d'œuvres interrogent librement le passé. Le roman historique commence par exemple à s'imposer. Des auteures telles qu'Amel El Mahdi (en français) ou Hadjer Kouidri (en arabe) en font même une spécialité. Les années 2000 semblent une halte où nos écrivains posent leurs bagages pour repenser au chemin parcouru. Il ne s'agit pas de glorifier le passé, loin s'en faut. On pensera par exemple au dernier Samir Toumi, L'effacement, qui porte un regard critique sur le récit glorificateur du passé écrasant les générations postindépendance. Même des romans en rapport avec le présent immédiat invoquent des références sur le temps long. On pensera aux derniers romans de Kamel Daoud et de Chawki Amari qui réveillent des écrivains du passé (Camus pour Meursault-contre-enquête, 2013, et Apulée dans L'Ane mort, 2014). On pensera aussi à Maïssa Bey qui rejoue la tragédie de Hiziya (poème populaire élégiaque écrit par Ben Guittoun au XIXe siècle) dans un salon de coiffure pour dames. Même les romans poétiques d'une Sarah Haidar tentent de s'inscrire dans une tradition : celle du Polygone étoilé de Kateb Yacine ou des textes de Nabile Farès et Habib Tengour. On note par ailleurs la distance que prennent de plus en plus d'écrivains avec le statut d'intellectuel porte-parole de la société. S'il était naturel et nécessaire qu'un Feraoun couche la misère d'un peuple analphabète sur les pages de ses romans, les écrivains d'aujourd'hui n'ont plus systématiquement ce poids sur les épaules. Ils s'en défendent souvent face à une critique qui reste attachée à la figure de l'intellectuel et à l'approche thématique (référentielle) des textes. Il y a désormais d'autres canaux pour traiter l'actualité et l'écrivain se recentre sur son art. L'impératif d'afficher son authenticité et son engagement n'est souvent plus de mise. Le lectorat, s'il n'est pas forcément plus important en nombre, est certainement plus diversifié et ses attentes plus variées. Ainsi, il y a aujourd'hui la possibilité de développer de genres tels que le polar avec des œuvres remarquables signées Amel Bouchareb ou Nassima Bouloufa. Cette dernière a d'ailleurs déclaré vouloir écrire «pour devenir une auteure populaire lue par le chauffeur de taxi et le vendeur de légumes». Il s'agit donc d'écrire «pour» une société (largement alphabétisée) et non plus d'écrire «en son nom». Une révolution copernicienne. Le SILA nous a même permis de rencontrer un tout jeune romancier, Anys Mezzaour, qui se lance dans la littérature fantasy avec un univers rappelant Le Seigneur des anneaux de Tolkien. Les auteurs d'aujourd'hui ne veulent plus être enfermés dans le réalisme pur : «Contrairement à nos voisins, notre littérature est à 70% réaliste… Et cela, même quand les auteurs ne connaissent pas la réalité algérienne», dira Ismaïl Ibrir. Il y a également un lectorat naissant pour la littérature en tamazight du fait de la généralisation progressive de son enseignement. Les récits en tamazight s'émancipent visiblement du conte et du folklore. On pensera aux romans de Brahim Tazaghart par exemple. La jeune poésie, notamment en langue arabe, conquiert également de nouveaux territoires (lire ci-dessous) En sommei, nos jeunes écrivains travaillent à produire des œuvres de leur temps et de leur lieu sans s'y enfermer pour autant. En guise de manifeste, Abderrazak Boukebba dira : «Je cherche à me trouver une place dans l'écriture. J'écris dans le doute et l'interrogation et cela me convient. J'écris, en tant qu'Algérien, pour ne pas me suicider». Autrement dit, écrire pour exister.