Le ministre de la Justice et garde des Sceaux, Tayeb Louh, a présenté et défendu hier, devant les députés, le projet de loi fixant les hautes responsabilités de l'Etat ainsi que les fonctions politiques interdites aux binationaux. Dans sa plaidoirie et en tentant de rassurer aussi bien les binationaux que les nationaux et la classe politique, le ministre est resté très évasif sur les visées d'une telle loi et surtout sur le choix des postes interdits aux binationaux. Pour Tayeb Louh, le plus important est que la personne présente une déclaration sur l'honneur attestant de sa nationalité algérienne exclusive, ce qui génère, selon lui, une responsabilité morale et en deuxième lieu une responsabilité pénale. «La loi est claire, elle exige la nationalité algérienne exclusive et c'est tout ce qui intéresse l'Algérie», assure le ministre. Seulement, d'après certains députés, il y aurait «tromperie sur la marchandise» puisque le responsable qui renonce à sa double nationalité peut la récupérer une fois sa mission terminée. Néanmoins, en défendant son texte, le ministre de la Justice met sur un pied d'égalité tout le monde. Il explique que les ministres et autres responsables politiques jouissant de la double nationalité ont six mois pour se conformer aux nouvelles dispositions de cette loi, bien sûr, après sa publication au Journal officiel. «Si ces ministres veulent rester en poste, ils doivent abandonner leur nationalité étrangère», a lancé M. Louh. Lors des débats, ce texte, fort de ses six articles, semble faire l'unanimité parmi les partis représentés à l'APN. Le FLN, qui était au début hostile à ce texte, est revenu à de meilleurs sentiments : en plénière, ses parlementaires ont approuvé sans aucune réserve le projet. Par contre, le RND et le PT ont défendu le principe de l'élargissement de la liste des 15 fonctions proposées par l'Exécutif. «Préserver la sécurité du pays est un devoir pour l'Etat», a soutenu Salah Dekhili, député RND, qui ne comprend pas «pourquoi d'autres postes souverains — PDG de Sonatrach, walis, consuls, ambassadeurs... — n'ont pas été intégrés dans ce texte». Même revendication au Parti des travailleurs où Djeloul Djoudi trouve «injustifié» qu'un poste souverain par excellence, en l'occurrence ambassadeur, échappe à la liste des interdits, ce qui risque, selon lui, de poser problème. Pour Ramdane Taazibt, ce texte est venu en retard et vise particulièrement les nationaux. Il a rappelé le discours du président Bouteflika prononcé en 2006 où il demandait aux cadres de l'Etat de choisir entre la nationalité algérienne et l'autre, et ce, lorsqu'il a constaté qu'il y avait dans son gouvernement beaucoup de binationaux. «Nous avons attendu dix ans pour voir naître ce projet de loi, mais aujourd'hui nous considérons que l'on ne peut pas s'arrêter aux postes proposés. Nous n'avons rien contre les binationaux qui sont des nationalistes de premier rang», note Taazibt, qui explique que le PT compte proposer des amendements pour l'élargissement de cette liste. «Nous estimons que le poste de wali est très sensible. Mieux, dans un pays comme l'Algérie qui vit des hydrocarbures, on ne peut pas tolérer qu'un PDG de Sonatrach ait la double nationalité», affirme le député, qui envisage également de demander d'intégrer les membres du Conseil constitutionnel dans la liste des interdits. Lakhdar Benkhelaf, du parti El Adala, a, quant à lui, critiqué le délai accordé aux binationaux pour se conformer à la nouvelle loi : «La loi devra être exécutée dès son adoption pour démasquer les responsables binationaux.» Tahar Missoum, du Rassemblement national, s'est attaqué «aux responsables algériens qui détiennent pour leur majorité une résidence à l'étranger». Pour respecter l'esprit de ce projet, il faudrait aussi empêcher cette catégorie d'occuper des hautes responsabilités, selon lui. «Evidemment, ma requête est impossible à réaliser puisque justement tous nos responsables ont une résidence à l'étranger.» De son côté, Habib Zeguidi, député indépendant, s'en est pris aux acteurs politiques, soulignant que cette loi instaure l'apartheid : «Les responsables vivent à Paris, mais veulent priver quatre millions d'Algériens qui ont opté pour une deuxième nationalité, souvent sous la contrainte, d'occuper des postes dits souverains. C'est injuste.»