Pour ne pas oublier les martyrs de la Révolution de Novembre 1954, particulièrement les femmes, le village d'Aït Bouada, dans la commune d'Azazga, à 40 km au nord-est de Tizi Ouzou, a tiré de l'oubli le nom de Titem Boussaïb (épouse Ahmed Saïghi), une des femmes martyres de cette localité. Dans ce contexte, des citoyens du village ont organisé récemment une rencontre à laquelle ont été invités quelques moudjahidine et des personnes qui ont en mémoire certains faits vécus pendant la guerre d'indépendance, pour apporter leurs témoignages sur le cas de Mme Saïghi Titem, née Boussaïb, que personne n'avait plus revue après son arrestation par l'armée française vers 1960. Un des témoins, appelé Dda Saïd, indique se souvenir encore, quoique très jeune à l'époque, de ce jour, alors qu'il était avec d'autres villageois au lieudit Agouni. Ils seront pris par des militaires à bord de camions jusqu'au camp d'Imensouren, à Aït Bouada, pour être interrogés, et ce, après un grand accrochage dans la région entre les moudjahidine et des troupes de l'armée française. C'était ce jour-là que Titem Boussaïb avait été arrêtée, puis conduite dans ce camp, en compagnie de son fils Lounis Saïghi, âgé alors de 8 ans, aujourd'hui 64 ans. Il avait passé, selon lui, environ une année en prison avec sa mère. «Après ma ‘‘libération'' pour être envoyé auprès de mon père, en France, ma mère était toujours retenue sur place…» Des témoins rapportent que cette femme n'a plus jamais été revue, contrairement à d'autres moussebels, arrêtés dans les mêmes conditions, qui avaient été, par la suite, revus par des villageois quitter le camp, avant de rejoindre le maquis, pour la plupart. pour ceux qui furent tués, leurs corps ont été remis au village pour être enterrés, mais pour ce qui est de Titem Boussaïb, aucune nouvelle. A l'indépendance, sa famille fera son deuil en se résignant à la considérer comme disparue, comme les nombreux martyrs sans sépulture. Parmi les invités, filmés et mis en document CD pour l'histoire, Tahar Haddag, un émigré en France, dira avoir rencontré à Paris un ancien appelé français, dont il a oublié le nom, et qui a passé son service militaire au cantonnement d'Imensouren. «Il m'a dit avoir fait la garde le jour de l'arrestation de ladite dame, de 9h jusqu'à une heure tardive de la nuit. Il m'a précisé qu'il se rappelait toujours de cette femme que les militaires avaient ramenée au camp pour être torturée, puis ligotée et laissée devant le puits». Cet ancien appelé explique à l'émigré qu'au terme de son temps de garde, à une heure du matin, il avait laissé la jeune femme au même endroit, toujours gémissante. Tahar Haddag précise : «Cet ancien soldat français m'a dit qu'à son retour à son poste, dans la même matinée, il n'avait pas retrouvé la femme ligotée, expliquant qu'il ignorait ce qu'il lui était arrivé.» Un autre témoin, Belassel, se rappelle qu'à l'été 1963 (il avait alors 14 ans), il a été sollicité par son oncle, Cheikh Amar (imam), à l'aider à nettoyer son puits situé dans la cour de sa maison (occupée pendant la guerre par l'armée française). En descendant au fond du puits, totalement asséché, l'adolescent essayait alors de dégager et faire remonter toute la pierraille à l'aide de la corde et d'une poulie, bien attachée à une poutre placée en travers de la bouche du puits. Cette corde leur servait aussi à descendre et à remonter. Au fur et à mesure qu'il nettoyait, l'adolescent remarqua une bizarre apparition de longs cheveux noirs qui, à leur vue, donnent l'impression d'appartenir à une femme. Il alerte alors son oncle qui l'invite, calmement, à laisser tout en l'état et à remonter. C'est ainsi que tout le village apprit la nouvelle, avant d'organiser une opération de remontée des restes de cette femme. Les villageois découvrent alors des anneaux de fil de fer noués autour des ossements de la martyre et liés à une grosse pierre, probablement pour provoquer son immersion lors de sa précipitation dans le puits par l'armée française. Des personnes âgées du village Aït Bouada, notamment des femmes de son voisinage qui l'avaient longtemps côtoyée, purent ainsi reconnaître qu'il s'agissait de Titem Boussaïb. En hommage à la chahida, une salle de soins du village d'Aït Bouada a été baptisée depuis 2010 au nom de Titem Boussaïb. Mère de trois garçons, dont deux ne sont plus de ce monde aujourd'hui, la martyre, née en 1919, avait alors 41 ans.