Un débat sur la promotion des œuvres cinématographiques arabes proposées aux Oscars 2017 et sur la production des films a été organisé, mardi dernier, à la salle des conférences de la base 5 Juillet de GTP à Hassi Messaoud, en marge des Premières Rencontres cinématographiques clôturées mercredi soir. Hassan Benzerari, coordinateur des Rencontres, a expliqué que le but du débat est de rassembler des idées et de faire des propositions qui seront portées sur une plateforme. «Nous voulons savoir comment s'est faite la promotion des films aux Oscars et réfléchir à des solutions pour que le cinéma produit dans les pays arabes ait plus accès au reste du monde», a souligné Mohamed Allal, directeur artistique des Rencontres. Lotfi Bouchouchi, réalisateur du film Le Puits, a estimé qu'il faut au moins deux conditions pour qu'un long métrage soit visible auprès des électeurs des Acadmey Awards : la bonne qualité artistique de l'oeuvre et les financements. «Pour faire de la promotion pour un film, il faut de l'argent. Aux Oscars, il y a trois étapes : avant la sélection pour la short liste, la sélection pour la short list et la nomination dans la liste finale. A chaque étape, il faut avoir un budget promotionnel. 200 000 dollars sont nécessaires pour la première étape, 400 000 pour la deuxième. Je n'ai pas d'idée pour la troisième puisque le film n'a pas été retenu. L'argent sert à couvrir les besoins de la présence dans les médias, la projection, les réceptions, l'affichage...Un film proposé aux Oscars doit être dans les écrans au moins pendant un mois pour être visible. Son réalisateur est tenu d'être présent pour rencontrer les producteurs, les journalistes, les faiseurs d'opinion», a-t-il précisé. Khadidja Al Salami, réalisatrice yéménite de la fiction Moi, Nojoom, dix ans, divorcée, sur le mariage forcé des fillettes, ne savait pas qu'il fallait faire de la promotion pour son film proposé également aux Oscars du meilleur film en langue étrangère. «Et, je ne savais pas qu'il fallait avoir tous ces fonds pour le travail de promotion. C'était une aventure. Le film est une expérience personnelle. J'ai cherché des financements pendant quatre ans et je n'ai pas trouvé. Pour certains, le cinéma c'est d'abord une question d'argent, pas de thématique. Une amie m'a aidé à produire le film parce qu'elle était convaincue par le sujet. J'ai puisé dans mes propres économies pour compléter le budget du long métrage», a-t-elle déclaré. Selon elle, le tournage au Yémen était pénible. «C'était un véritable cauchemar. J'ai affronté plusieurs défis. Au lieu de me concentrer sur les aspects artistiques du long métrage, je devais régler chaque jour un problème. Mon seul souci était de terminer le film. Mais j'ai dû annuler plusieurs scènes. J'ai finalement filmé 60% de ce que je voulais», a confié Khadija Al Salami. «Gagnant-gagnant» Le Marocain Said Khellaf, qui a réalisé A mile with my shoes, a, pour sa part, estimé qu'un film arrivant aux dernières étapes avec la nomination aux Oscars n'appartient plus au réalisateur ou au producteur. «C'est un film qui représente un pays. A Los Angles, on cite le pays pour désigner un film en course. Ce que je ne comprends pas et pourquoi nos Etats ne profitent pas de cette occasion pour avoir une présence internationale. Des Etats qui ne font rien pour soutenir un film. J'ai été déçu. Je n'ai pas reçu d'appui de mon pays. On m'a laissé seul. Ma seule chance est que j'ai participé à un festival à Los Angles où j'ai décroché le prix du meilleur film étranger. Hollywood Reporter a publié un article sur le film. C'est tout ce que j'ai eu», a-t-il dit. Said Khallaf a fait un plaidoyer en faveur de la coproduction. «C'est le rôle de l'art, du cinéma de rapprocher les pays et les peuples, de solutionner les problèmes que les politiques ne peuvent pas résoudre. Un film coproduit qui arrive à la phase de nomination des Oscars représente deux pays, pas un seul. Le cinéma arabe est présent dans les festivals internationaux. C'est une occasion pour les hommes d'affaires de nos pays de devenir plus visibles. C'est une situation gagnant-gagnant», a-t-il ajouté. Meryam Bakouche, qui interprété un rôle dans le film A mile with my shoes, a relevé que le cinéma marocain souffre d'une crise de scénario et d'un manque de financements. «Nous n'avons pas de producteurs mais des producteurs exécutifs et nous nous appuyons sur le Centre cinématographique marocain (CNM). Mais ce n'est jamais suffisant. Nous avons besoin d'hommes d'affaires et ceux qui peuvent financer la production d'un film», a-t-elle note, plaidant pour la coproduction cinématographique entre pays arabes, notamment au Maghreb. Pour le comédien tunisien Lotfi Abdeli, le cinéma d'auteurs est présent au Maghreb. «Et le cinéma commercial est en Egypte. Ce genre de cinéma existe dans les pays où la démographie est importante. On ne peut pas avoir du cinéma commercial avec dix millions d'habitants, comme c'est le cas en Tunisie. Les Maghrébins ont les plus beaux prix du monde, des réalisateurs qui ont marqué l'histoire du cinéma. Nous ne faisons pas de films pour avoir des Oscars, mais pour traiter des problèmes de nos sociétés. Le plus important est comment pousser nos gouvernements à croire davantage aux artistes, à ouvrir des salles de cinéma, à donner de l'argent au7e art», a-t-il estimé. Il a cité l'exemple de Mohamed Ben Attia qui a décroché deux prix lors de la 66e Festival de Berlin (février 2016) pour Nhebbek Hedi. Pour Lotfi Abdeli, l'Algérie a toutes les capacités de produire plus de films. «Le ministère de la Culture doit être aussi important que celui de la Défense», a-t-il soutenu, précisant que le privé peut jouer un grand rôle dans le développement de l'industrie du cinéma. Briser les tabous Brahimi Seddiki, commissaire du Festival d'Oran du film arabe(FOFA), a salué l'initiative prise par les hommes d'affaires de Hassi Messaoud qui ont organisé les Rencontres de cinéma. «Nous devons tous être solidaires pour soutenir le film produit dans les pays arabes. Nous devons être réalistes. La célébrité dans le monde arabe ne suffit pas. Il faut aller vers l'international, voir plus grand. Les créateurs arabes meritent d'être mieux connus dans le monde. Le temps est venu de dépasser les gloires du passé. Nous avons l'impression que le monde entier est contre nous, en ce moment. Le défi est grand : véhiculer une image juste de la nation arabe. Cela aidera les futures générations à mieux vivre avec l'autre, avec le monde», a-t-il relevé. Brahim Seddiki a appelé les critiques arabes à rompre avec la complaisance dans leurs écritures et analyses. Comme il a souhaité que les jurys des festivals arabes soient plus objectifs dans le futur. L'actrice libanaise Pamela El Kik a, de son côté, appelé à l'application sur le terrain des promesses et des projets. «Ces Rencontres de Hassi Messaoud, qui sont soutenues par des hommes d'affaires, prouvent que les opérateurs économiques doivent avoir, avant toute chose, une vision avant-gardiste. Exactement comme un sytliste-modeliste avant de confectionner un vêtement. La vision qu'ont les hommes d'affaires de Hassi Messaoud a fait qu'un festival de cinéma se déroule en plein désert. Hassi Messaoud a été couverte avec de nouveaux habits», a-t-elle noté. Pamela El Kik a regretté l'inexistence d'un Festival de cinéma au Liban, pays considéré comme un pôle culturel au Moyen-Orient. Abdelnour Chelouche, comédien algérien, a estimé que le cinéma maghrébin souffre de manque de financement plus que celui du Moyen-Orient. «Le cinéma égyptien cumule déjà un siècle d'exsistence. Un ciména qui peut redémarrer à partir de cette expérience. Je pense qu'il faut ouvrir des canaux avec les hommes d'affaires arabes en organisant des rencontres et des débats ici au Maghreb ou au Moyen-Orient pour les sensibiliser à la question de la production cinématographique. Nous n'avons plus de temps à perdre. En temps de crise, le cinéma et la culture jouent un grand rôle. Nos peuples sont aujourd'hui prisonniers d'idéologies destructrices. Les artistes peuvent remettre les trains sur rail», a-t-il déclaré. Le comédien égyptien Tarek Abdelaziz a, de son côté, salué l'initiative des hommes d'affaires de Hassi Messaoud, comme Maher Tliba patron de l'ETTP, de soutenir un événement culturel. «Il est important d'apporter un appui à la production de films dans un cadre d'échange. Important également de créer des ateliers d'écriture pour élaborer des sujets, des ateliers de réalisation, avoir des équipements, pourquoi pas ici à Hassi Messaoud», a-t-il souligné. Riad Ayadi, distributeur algérien de films, s'est plaint de carences techniques dans les salles de cinéma nouvellement réhabilitées. «Il n'y a pas de projecteurs DCP. Les derniers films algériens ont coûté des millions de dinars en post-production. Le but est d'avoir des films de qualité. Il ne sert à rien après de les projeter dans les wilayas en data show. Ce n'est pas de cette manière que nous allons récupérer les publics algériens qui ont divorcé avec le cinéma ces quinze dernières années. Nous avons été obligés de ramener des blockbusters américains pour reprendre le contact avec les cinéphiles algériens. Nous voulons proposer des films arabes, mais où les projeter ? Il est nécessaire d'équiper les salles en DPC avec un son dolby 5.1», a-t-il proposé. Il est important, selon lui, de pousser le privé algérien à investir dans les Multiplex «pour varier la programmation et élargir les publics». Pour Anahid Fayad, actrice jordanienne d'origine palestinienne, les producteurs arabes doivent soutenir les bons scénarios, les belles histoires. «Ils doivent avoir l'audace de défendre les idées des auteurs et des scénaristes. Cela nécessite l'existence d'un espace de liberté. Il faut briser les tabous. Le secteur public a des limites. D'où l'importance des opérateurs privés», a -t-elle dit. Anahid Fayad a joué dans le film 3000 nuits, de Mai Masri qui raconte l'histoire d'une détenue palestinienne dans une prison israélienne. «Malgré l'intérêt du sujet, il nous a été difficile de trouver des producteurs», a-t-elle révélé. Khadija Al Salami a qualifié d'excellente l'idée que des hommes d'affaires soutiennent l'organisation de Rencontres cinématographiques. «Nous n'avons pas cet intérêt au Yémen. Dans mon pays, le cinéma n'a aucun sens. Faire du cinéma est assimilé à un acte honteux. Les hommes d'affaires algériens qui appuient le cinéma vont être un exemple à suivre dans les autres pays arabes. Nous souhaitons aller vers la coproduction de films. Au Yémen, il y a tout de même des jeunes qui croient au cinéma, veulent tenter l'aventure même s'ils ne sont soutenus par personne», a-t-elle conclu.