A quelques mois des élections législatives les partis islamistes tentent des alliances qui ont échoué par le passé. Si pour certains observateurs ces fusions ne sont qu'opportunistes et vouées à l'échec, pour d'autres rien n'est encore perdu et tous les scénarios politiques sont envisageables. «Le rêve de Abdallah Djaballah est d'être à la tête de tous les partis islamistes en Algérie, en chef de file incontesté. Ce n'est pas la première fois qu'il tente par diverses manières d'arriver à ses fins. Djaballah est un homme redoutable qui connaît très bien son terrain, ses ramifications vont en profondeur. Il a une qualité, en plus de son expérience, c'est la patience», explique le politologue et chercheur Sofiane Rahmouni «Les islamistes ne sont pas différents du régime actuel. Ils sont issus de son système. Qu'on soit clair, il ne faut pas s'attendre à des miracles avec cette fusion, ou d'autres», dit-il. A quelques mois des élections législatives, une fusion officielle s'est faite entre deux partis islamistes, à savoir le Front pour la justice et le développement (FJD) de Abdallah Djaballah et le mouvement Ennahda, qui rappelons-le a été créé par Djaballah dans les années 1990. Cette union sacrée s'est déroulée en présence de plusieurs cadres des partis, d'hommes politiques et surtout de représentants du MSP, du Front du changement (FC) de Abdelmadjid Menasra, du parti El Binaa. Une cérémonie qualifiée d'«historique» et qui marque «la fin de la division», selon les initiateurs. Pour certains observateurs, cette alliance ne sert qu'à rassembler les dissidents qui se sont constitués en partis et ont été obnubilés par les affaires et les opportunités. Certaines de ces formations islamistes tendent la main au MSP indécis. Réactionnaire Les experts trouvent intéressant de voir la mutation, d'autres n'approuvent pas cette alliance motivée par des calculs électoraux. «Ils tentent de faire un bloc pour ramasser le maximum d'électeurs et peser au sein de l'Assemblée nationale, c'est-à-dire se former en un groupe parlementaire très fort», commente Rachid Tlemçani, enseignant et chercheur à l'Institut d'études politiques à Alger. «Pour arriver à cet objectif, les islamistes sont prêts à s'allier avec le diable, ce sont d'excellents opportunistes. Cependant, au sein de l'opinion publique, ils n'ont aucun poids, l'islamise algérien est mort. Il y a des groupes au sein du pouvoir qui essayent de les manipuler. On a tendance à oublier que le pouvoir algérien est conservateur, réactionnaire, bureaucrate et travaille avec toutes les poches rétrogrades. L'opinion publique est loin d'être gagnée car quand ils avaient un peu de pouvoir ils avaient un comportement mafieux, finalement au pouvoir ils ont fait comme tout le monde», analyse-t-il. Pour ceux qui voudraient comparer la mouvance islamiste en Algérie à un modèle turc, M. Tlemçani réfute cette thèse et affirme : «Il y a ce qu'on appelle l'internationale islamiste des Frères musulmans qui existe de part le monde, mais il ne faut pas oublier que l'histoire politique de la Turquie était d'abord une histoire laïque jusqu'à la venue d'Erdogan à la tête du gouvernement. Il y a une culture rationnelle et démocratique qui n'existe pas en Algérie.» Et d'ajouter que la crise en Algérie «est plus profonde, car elle est économique, politique, culturelle, économique, etc. Nous avons un pouvoir autoritaire depuis 1962 qui n'a pas permis l'épanouissement de toute idée indépendante du pouvoir lui-même» On ne peut pas mesurer ce qui reste comme sympathisants réels de l'ex-FIS, faute d'instruments de mesure viables et fiables de l'opinion, en revanche, le spectre politique islamiste est très divisé et peu représentatif, pour preuve le nombre de partis agréés sur le marché. Idéologie Les sponsors de cette coalition sont formels sur l'impérativité de resserrer les rangs. «Cette fusion n'est pas opportuniste, elle est essentiellement stratégique. Nous devons rassembler les partis, car notre but est d'unifié notre discours, nos projets et notre vision. Il est grand temps pour nous de trouver des points communs avec les autres partis et offrir aux citoyens de la cohérence», déclare Mohamed Hadibi, cadre dans le parti Ennahda. «Nous avons un véritable projet politique qui concerne tous les secteurs de notre société. Je crois que c'est une grave erreur de confondre entre une idéologie qui diviserait la société et les partis qui tendent à une vision politique et unificatrice », dit-il. Et d'expliquer que les alliances politiques «sont des actions positives, qui permettent de concentrer tous les efforts et les compétences sous la même bannière». «Il est vrai que plusieurs partis ont connu des turbulences ces dernières années, dues principalement au manque d'organisation et de réformes pratiques, réfléchies dans l'intérêt commun. Aujourd'hui, cette alliance créée dans le cadre de l'avenir politique donne de l'espoir au peuple algérien afin qu'il refasse confiance aux urnes et aux partis», espère M. Hadibi. Système Le recul politique de l'islamisme est justifié par l'absence de leaders. Pour le sociologue Nacer Djabi, l'islamisme modéré «vit une crise depuis très longtemps, il n'a pas pu s'imposer. Ces mouvements modérés ont fait des choix politiques qu'ils sont en train de payer. Cette tendance, voire cette agitation des Frères musulmans indique que ces derniers ne veulent qu'intégrer le jeu politique officiel. Visiblement, ils sont essoufflés politiquement et n'ont pas de projet réel pour un changement ou pour mobiliser les Algériens.» Pourtant, la plupart des partis islamistes sont confiants et proposent des projets de société. Nacer Djabi pense qu'ils veulent changer les choses sans «s'opposer concrètement à ce système, ni même songer à le changer radicalement». Il ajoute : «Un militant ou un citoyen n'a pas d'information sur la vie des partis. Ces derniers se divisent et se recomposent sans que le citoyen ou le militant ne le sache. Les mouvements islamistes n'ont plus de leader charismatique qui peut mobiliser les capitaines. Je le dis, ces mouvements modérés sont comme une caverne sans soldat et sans leader.» Ces échecs à répétition sont dus au fait que les cadres majeurs «ont le même profil, les mêmes objectifs et sont de la même génération. Il y a aussi des conflits internes. Pour une réelle crédibilité, il faudrait qu'ils fassent une autocritique de ce qu'ils ont fait et voudront faire à l'avenir». RADICAL «C'est culturel chez nous, on ne reconnaît pas les chefs», souligne le sociologue Nacer Djabi, en rappelant que cela ne concerne pas que les partis islamistes. «Qui prouve qu'après les élections, ces partis ne reviendront pas à leurs vieux contentieux ? Il faut se poser cette question car ils se placent dans cette alliance, alors qu'ils n'ont pas réglé les véritables problèmes entre eux», affirme le sociologue. Dans notre société, le sentiment religieux et la pratique religieuse demeurent plus importants que l'engagement en politique. Certains militants de partis islamistes veulent que leurs leaders se démarquent des «têtes brûlées» de l'ex-FIS. «Ce qui paraît essentiel aujourd'hui pour ces partis qui s'agitent, c'est de repousser l'islamisme radical et le cantonner dans ses retranchements armés. Et non pas se cacher derrière un paravent qui dévoile le talon d'Achille. Les Algériens ne sont pas dupes, cela ne veut pas dire que l'on doit négliger les différents scénarios que l'on sait. Notre négligence nous a coûté très cher par le passé. Aujourd'hui, il est urgent de pratiquer la politique dans une totale transparence», conclut le politologue Sofiane Rahmouni.