Trois générations, trois scénarios possibles, trois perspectives pour l'avenir de l'Algérie. Nacer Djabi, universitaire spécialisé dans la sociologie politique, a essayé d'expliquer les raisons qui retardent le “Printemps algérien”, remettant en cause cette vision faisant de l'Algérie l'exception dans le monde arabe en ébullition. Au cours d'une rencontre à l'espace Mille et Une News du quotidien Algérie News, le sociologue a présenté son dernier essai, Limada taâkhara errabiê el-Djazaïri ? – au titre faussement interrogatif mais largement problématique –, qui s'articule autour de plusieurs études du cas algérien, dont la plus récente est relative aux générations. Nacer Djabi dégage trois générations en Algérie : la première, celle qui gouverne, est une minorité démographique ; la deuxième (avant et après l'indépendance) est une génération qui a de hautes compétences et dirige de manière effective le pays puisqu'on la retrouve à l'université, dans les institutions et dans les partis politiques ; la troisième est une génération née “des mouvements sociaux et des protestations”. “Les représentations que se font chacune des générations sur l'autre sont hétérogènes. La troisième génération qui se croit sans importance est la plus complexe parce qu'elle est le fruit de l'échec de l'état-nation de la seconde moitié des années 1980 (chômage, échec scolaire, crise économique, harga, suicide, etc.). Je me demande aussi pourquoi la deuxième génération (où on peut mettre aussi bien Hamrouche que Sadi et Djaballah) ne tuerait-elle pas symboliquement la première”, a expliqué le sociologue, qui compare l'Algérie, non pas aux pays arabes, mais aux pays d'Amérique latine, car “notre culture politique est née de la colonisation”. à cette configuration, trois scénarios sont possibles : “La première génération se retire et permet à la deuxième d'accéder au pouvoir de décision. La deuxième génération affronte la première et tue ‘le père'. Le risque est que cette deuxième devienne une ‘génération sandwich' si jamais la troisième passe à l'action parce qu'elle entrera en conflit avec la première, de manière violente. Cette dernière remet tout en question, même les fondements de la guerre de Libération nationale. On l'a vu lors de la période de la décennie noire avec l'assassinat des moudjahidine”, soutient Nacer Djabi. Pour l'auteur de El Wazir El Djazaïri, nous sommes arrivés à une situation de pourrissement, d'autant que “le système politique est devenu un obstacle avec un discours très grave pour l'unité nationale”. Le conférencier a souligné que le 5 octobre 1988 n'est pas “notre printemps algérien”, parce que “le monde arabe connaît une vague de changement et ceci ne veut pas dire que nous ne vivrions pas la même chose. Mais ce n'est pas une fatalité”. Il a également relevé certaines incohérences (le parti politique qui obtient la majorité au Parlement ne constitue pas le gouvernement, le parti qui perd dans les élections ne rejoint pas l'opposition, les mouvements organisés qui se voient obligés d'user de la violence, un mouvement social qui banalise la violence, les partis politiques en déphasage avec la société, les slogans des années 1970 répercutés encore aujourd'hui), avant d'affirmer : “Ce n'est pas un problème d'hommes ; c'est un problème de société.” Questionné à propos de la récupération des mouvements de protestation par les islamistes radicaux, Nacer Djabi a indiqué que “certains partis islamistes radicaux, proches de la rue, prennent le train en marche, mais ne sont pas à l'origine des soulèvements populaires. Les mouvements islamistes ressemblent aux coureurs africains qui émergent dans une course, récoltent tous les prix puis disparaissent”. Concernant les “émeutes du 11 janvier 2011” et les mouvements de protestation qui ont suivi, le sociologue a relevé l'absence d'encadrement par les associations et les partis politiques, tout en considérant que “la rue était muette et le régime sourd”. Dans son essai, paru aux éditions Chihab et disponible en librairie à partir de cette semaine, il consacre justement un chapitre à l'absence de slogans dans la rue algérienne. Et de conclure par la possibilité d'une “alliance entre la deuxième et la troisième génération parce qu'il y a des intérêts qui peuvent être négociés. Si jamais il y a une confrontation pacifique entre la première et deuxième génération, on pourra sortir de l'état-nation”. S K