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«Le problème avec Camus...»
Alice Kaplan . Critique et historienne américaine
Publié dans El Watan le 14 - 01 - 2017

Le passage à Alger, l'essayiste nous parle de son enquête passionnante sur «L'Etranger».
Vous signez une biographie*, non pas de Camus mais de L'Etranger. Comment écrit-on la biographie d'un roman ?
Cela va de la première inspiration du texte à la réception du livre. Ce sont deux aspects qui m'intéressent beaucoup. C'est lié à l'auteur évidemment, mais une fois que le livre est publié, il a sa propre vie et échappe à l'auteur. Et puis on quand on écrit la biographie d'un livre, on est vraiment dans les mots. Le problème avec Camus, c'est que c'est un personnage tellement glamour et controversé que souvent l'intérêt pour sa vie dépasse l'intérêt pour son œuvre.
On découvre avec vous l'influence importante du travail journalistique de Camus sur son œuvre…
Oui. Quand il couvre le meurtre du mufti d'Alger pour Alger républicain, il décrit un juge qui brandit le crucifix. Camus a dû se dire : «C'est trop beau ! C'est déjà un roman.» Et cette scène se retrouvera en effet dans L'Etranger. C'est un procès tout à fait particulier avec la réplique d'Akacha qui rétorque : «Dieu est trop vieux, il faut le remplacer.» Par ailleurs, Camus parle de ce procès à Jean Grenier (Ndlr son professeur de philosophie auquel il était très attaché) dans sa correspondance. On le sent très intéressé par le cheikh Tayeb El Okbi, qui sera innocenté…
Parmi les influences inattendues, on retrouve Le Shpountz de Fernandel et puis saint Augustin
aussi…
Le passage où saint Augustin ne pleure pas à l'enterrement de sa mère et puis va au bain ! Camus connaissait très bien saint Augustin et puis c'est un des passages les plus célèbres des Confessions. C'est impossible qu'il n'ait pas lu ça. Après, il ne faut pas être trop littéral. Il s'agit de montrer un environnement d'influences et de sources.
Des choses qui pouvaient être dans sa conscience ou son inconscient. Il ne faut pas faire la chasse aux sources. C'est tout le travail de transformation qui fait l'œuvre. Par exemple, Camus ne cite pas le titre du film de Fernandel. Le lecteur ne sait pas que dans ce film, Fernandel répète un article du code civil (Ndlr «tout condamné à mort aura la tête tranchée») dans une scène comique. C'est seulement dans mon essai que je développe cet aspect.
Comment avez-vous trouvé l'identité du fameux «Arabe» du roman ?
Ce n'est pas vraiment l'identité du personnage de Camus. Les journalistes ont sauté un peu trop vite sur ce nom (Ndlr Kaddour Touil). J'étais plutôt en conversation avec les biographes de Camus. Ils sont allés à Oran sur la trace de cette bagarre. Ils ont interrogé des gens mais ils ne se sont pas posé la question de l'identité de l'Arabe. C'est exactement comme dans le roman. Il faut dire aussi qu'Olivier Todd avait travaillé dans un contexte particulier juste avant la décennie noire. Les biographies évoluent avec les questions que nous posons. A l'époque, la question de l'Arabe ne se posait pas. Il était effacé dans la biographie.
Pour ma part, c'est grâce à Abdelhak Abdeslam, de l'association Bel Horizon, que j'ai eu accès aux archives du journal L'Echo d'Oran. C'était fascinant de travailler sur les archives papier de la presse et non des microfilms. Quand j'ai lu le nom de l'Arabe, j'ai sauté au plafond !
On découvre aussi que la bagarre en question est d'une grande banalité…
Oui. Presque personne ne s'en souvient. C'est une bagarre tout à fait ordinaire. Ce qui était beaucoup plus dramatique, c'était le meurtre du caïd par le frère de Kaddour Touil. Et puis le fait que ce dernier sera emprisonné pour viol. Mais les bagarres sur la plage, c'était le lot de tous les jours. 1939, Kaddour Touil descend d'une famille assez aisée, une grande famille d'ascendance turque. Il va sur la plage de Bouisseville (Oran) avec sa petite amie française. Il a le «sang chaud», comme dit sa sœur. Une bagarre a lieu avec les Bensousan. Ces derniers ne portent même pas plainte. C'est d'une pure banalité.
Aucun intérêt, sauf celui d'avoir inspiré Camus…
C'était une petite étincelle qui a permis à Camus d'aller plus loin. C'est Tchekhov qui disait qu'on ne peut pas montrer un revolver dans la première scène sans qu'il n'y ait meurtre dans les suivantes ! Dans la littérature, dès qu'il y a un revolver, il faut que quelqu'un meurt.
On s'intéresse de plus en plus à l'identité de «l'Arabe» dans L'Etranger. Pourquoi cet intérêt aujourd'hui ?
Cela remonte à beaucoup plus loin. Lisez la petite préface à l'édition anglaise de L'Etranger par Cyril Conolly, qui est un grand anticolonialiste. Non seulement il parle beaucoup de l'Arabe mais aussi de la sœur de l'Arabe. Cette dernière est absente du livre de Kamel Daoud. C'est cette sœur qui souffre vraiment dans le roman. Elle est abusée par Raymond. C'est elle qui est à la source de tout ce qui suivra. Conolly dit que Meursault aimait la vie, mais la sœur de l'Arabe aussi aimait la vie ! Mais elle n'a pas droit à toutes les attentions de la part de l'auteur. Et puis il y a eu Edward Saïd qui était très sévère avec Camus. Il l'accusait d'éliminer l'Arabe. Vous avez Connor Cruise O'Brien qui est allé très loin en parlant d'une «solution finale» contre l'Arabe dans le roman…
Je pense que la lecture des articles de presse de Camus, notamment sur la Kabylie et la trêve civile, change notre vision de l'homme. Et puis le roman de Kamel Daoud a donné une nouvelle vie à L'Etranger. Aujourd'hui, les jeunes lisent en France L'Etranger avec Kamel Daoud. Aux USA, on lit les deux livres ensemble en cours de littérature à l'Université. Ce livre est une œuvre de fiction mais aussi un geste critique. L'intervention de Kamel Daoud est fascinante.
Elle est très liée à l'Algérie contemporaine avec une critique de la religion, de l'imam… Mais il touche à quelque chose d'universel. Je crois qu'il touche à l'idée de l'autre. Je défends beaucoup ce livre. Dans la première partie du livre, il critique Camus pour ne pas avoir nommé l'Arabe. Mais dans la deuxième, c'est Haroun qui tue un Européen. Il sent une solidarité avec Meursault et ça complique beaucoup les choses.
On a souvent identifié Meursault à Camus, vous établissez un parallèle entre Camus et Kaddour Touil. Une façon de renverser la donne ?
Mes étudiants me demandent tout le temps : «Alors Meursault c'est Camus ?» Il a failli s'appeler Albert Meursault dans le film de Visconti. Il s'appelle d'ailleurs comme ça dans l'édition algérienne de Meursault contre-enquête de Daoud. La famille de Camus n'était pas contente de cette confusion. Le personnage s'appelle finalement Arthur Meursault dans le film. Je suis d'accord que Meursault est l'ombre de Camus.
La partie de lui-même qu'il prenait en horreur et qu'il voulait expulser pour devenir l'humaniste que nous connaissons. C'est un petit voyou, un type qui n'aime pas sa mère… Tout le contraire de Camus. J'aimais bien l'idée de trouver des rapprochements entre Camus et Kaddour Touil. Tous deux étaient atteints de tuberculose. Ils n'étaient pas très éloignés durant l'occupation. Ils étaient en France dans des sanatoriums… Il nous faut des récits de réconciliation entre nos différents mondes.
Je ne pouvais pas le dire comme ça. Alors j'ai pensé à le suggérer en montrant que les hommes et les femmes ont des expériences similaires même s'ils viennent de milieux différents.
On a très souvent abordé L'Etranger d'un point de vue moral, comme s'il fallait se prononcer sur le jugement de Meursault. Pourquoi ?
Il y a eu même cette fameuse affaire en 1948.
Un jeune Américain qui avait tué son camarade de classe mettait en avant pour sa défense l'influence de L'Etranger ainsi que des textes de Sartre. Un de mes étudiants a retrouvé le dossier et prépare une thèse sur ce sujet… Au-delà de cet exemple extrême, il faut dire que les lecteurs ont beaucoup de mal à considérer un personnage comme un être de fiction. Cela dit, quelque chose de la force de la littérature. Les critiques de New York, en 1946, se sont complètement plantés en essayant de montrer que Meursault était un collabo ! Le texte a été conçu en 1939. Mais chaque lecteur a le droit de projeter ce qu'il veut. Et sans ces projections, le roman n'aurait pas la biographie
qu'il a.
*Alice Kaplan, En quête de L'Etranger Gallimard, Paris, 2016, 336 pages. Traduit de l'anglais.


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