Le mois d'octobre a été l'un des plus chauds dans l'hémisphère Nord depuis 50 ans. Cela tombe à pic avec la multiplication des alertes scientifiques : contre le réchauffement de la planète il faut engager tout de suite un autre modèle énergétique, faute de quoi la plus grande récession économique planétaire nous attend. L'enjeu environnemental est déjà au cœur des programmes économiques électoraux comme en France par exemple. Vers un tournant décisif dans la perception de la course à la croissance des PIB ?L'étau se resserre plus vite que prévu autour du modèle de croissance économique intensif dans le monde. La cause ? Il est fortement émetteur de gaz à effet de serre rendant les échéances du réchauffement de la planète et de ses effets désastreux sur l'activité humaine plus proches de nous que l'on a pu le penser. Le mois d'octobre qui vient de s'écouler a de ce point de vue marqué sans doute un premier grand tournant dans les esprits. Il a d'abord été l'un des plus chaud dans l'hémisphère nord depuis 50 ans. Le début de la coupe du monde de ski alpin a été retardé faute d'enneigement, l'été s'est poursuivi au sud de la Méditerranée avec arrière saison balnéaire jusqu'à fin octobre, et, circonstance aggravante, les précipitations automnales ne sont pas au rendez vous. Ce mois d'octobre a ensuite été le rendez vous de la publication de plusieurs rapports scientifiques attendus sur l'évolution du climat et de son impact dont notamment le rapport « vedette » des britanniques publié le 30 octobre dernier sur les incidences économiques de la lutte contre le réchauffement de la planète. Enfin le mois d'octobre 2006 a révélé pour la première fois la place centrale que s'apprête à prendre le débat de politique économique sur la préservation de l'environnement. La cuisante défaite des républicains la semaine dernière aux élections de mi-mandat aux Etats-Unis a été bien sur nourri par la débâcle irakienne du président Bush ; mais la victoire des démocrates repose aussi sur d'autres « petits » ressorts politiques. L'engagement du leader démocrate Al Gore en faveur d'une politique volontariste pour la réduction des gaz a effet de serre a rencontré un véritable échos dans l'opinion américaine. Il s'est incontestablement traduit par un surcroît de gains électoraux pour son parti, face à un parti présidentiel lié aux intérêts des pétroliers et refusant de se soumettre au traité de Kyoto visant à réduire les émissions de ces gaz. En France, les candidats aux présidentielles de 2007 s'attendent à un véritable test de vérité sur la question environnementale. 65 % des français souhaiteraient que Nicolas Hulot, la figure écologiste la plus populaire en France, s'engage aux élections présidentielles de 2007 afin de faire avancer les revendications pour un modèle énergétique qui préserve la planète et ralentisse son réchauffement. La prise de conscience avance donc, reste une question lancinante, combien cela va-t-il coûter de changer de modèle énergétique pour lutter contre le réchauffement climatique ? Agir maintenant coûtera moins cher La première réponse « globale » à cette question est venue il y'a deux semaines de la publication d'un rapport britannique. L'ancien chef économiste de la Banque mondiale, Sir Nicholas Stern, a été nommé l'année dernière par le gouvernement britannique pour mener l'étude la plus complète à ce jour sur le coût du réchauffement climatique. Selon Nicholas Stern - qualifié par le premier ministre britannique Tony Blair comme "le document le plus important sur l'avenir" qu'il a eu l'occasion de consulter depuis son élection il y a près de dix ans - les modèles utilisés dans le rapport démontrent qu'il ne faudrait que 1% du PIB mondial par an pour maintenir le réchauffement climatique sous contrôle. En revanche, il prévient qu'en l'absence de mesures, le monde connaîtra des tempêtes, des inondations ou des vagues de chaleur qui pourraient coûter à l'économie mondiale "au moins 5%" de son PIB par an, et jusqu'à 20% dans le pire des scénarios. Le réchauffement climatique pourrait provoquer en fin de cause une crise économique "de l'ordre de celle connue après les deux guerres mondiales et la Grande Dépression de 1929". Sir Stern répond dans le même temps aux partisans de la croissance intensive comme réponse au chômage et à la pauvreté dans le monde, qui accusent les politiques proposées de lutte contre le réchauffement d'être surtout productrices de « récessions économiques » :"Le monde ne doit pas choisir entre lutter contre le changement climatique et soutenir la croissance et le développement," comme les entreprises européennes l'ont souvent prétendu. Il estime même que lutter contre le réchauffement climatique est "une stratégie en faveur de la croissance sur le long terme", car réduire les émissions de CO2 permettra de créer de nouveaux emplois et de soutenir l'innovation et la technologie. En définitive, selon lui, les émissions de gaz à effet de serre devraient être ramenées à plus de 80% en dessous des niveaux actuels" afin de maintenir les concentrations entre 500 et 550 particules par million (ppm). Il s'agit du niveau de référence qui, selon les estimations, devrait permettre de maintenir la hausse des températures globales en dessous de 2°C par rapport aux niveaux pré-industriels. Les organismes de protection de l'environnement ont salué l'étude, en espérant qu'elle donnera lieu à un "sursaut" dans le monde pour prendre des mesures. Les mesures ? Elles sont pour l'essentiel connues depuis dix ans. Elles ont toujours fait grimacer les industriels, les transporteurs et les ménages. Peut être un peu moins après ce mois d'octobre 2006. Tant que les pouvoirs publics ne donnent pas l'exemple… « La planète doit commencer à changer de modèle énergétique dès maintenant » ; c'est bien le message qui s'incruste au dessus de la terre. Selon le rapport Stern, le secteur de l'énergie doit être décarbonisé d'"au moins 60%" d'ici 2050. Cela implique une réduction de 30% de la part des hydrocarbures dans les bilans énergétiques des pays de l'OCDE en priorité. La volonté politique pour cela demeure faible. Au niveau international, les fonds consacrés à la R &D dans le domaine de l'énergie doivent "au moins doubler" et l'aide financière pour développer des technologies à faible émission doit être "jusqu'à cinq fois supérieure". Or la rentabilité des investissements dans l'énergie propre n'est pas assurée par le marché tel qu'il est aujourd'hui. Les fonds de recherche et développement consacrés à l'énergie propre demeurent inférieurs à ceux investis dans d'autres secteurs. Dans un article pour le New York Times, Andrew C. Revkin indique que les dépenses fédérales américaines dans la recherche médicale ont quadruplé depuis 1979 et s'élèvent désormais à 28 milliards de dollars par an. De même, la recherche militaire a augmenté de 260% pour atteindre 75 milliards de dollars par an. A comparer avec les 4,2 milliards de dollars promis par le Président Bush pour la recherche sur le climat et sur l'énergie en 2007. L'Europe, réputée plus sensible à la question ne fait pas mieux. Les fonds européens consacrés aux technologies propres ne se sont élevés qu'à 2,2 milliards d'euros répartis sur quatre ans (2002-2006). « Lutter maintenant contre le réchauffement de la planète pour ne pas le payer beaucoup plus cher après », l'idée fait son chemin mais patine dès qu'il faut répartir les premiers sacrifices. Ainsi le secteur des transports, dominé par les pétroliers, fait de la résistance et soutient non sans raison, que les déforestations provoquent –les derniers rapports l'attestent - plus d'émission de gaz à effets de serre. En outre, tant que les pouvoirs publics et les grands pollueurs ne donnent pas l'exemple dans la lutte contre le réchauffement climatique ; les citoyens de l'OCDE demeurent réfractaires à une altération brutale de leur mode de vie avec notamment la limitation drastique de la vitesse automobile, la réduction de la consommation d'eau sanitaire, les fortes dépenses pour l'isolation thermique domestique, le recours réduit à l'avion, et la réduction de l'usage aux appareils électro-ménagers et la climatisation. Le rapport Stern admet d'ailleurs que malgré sa réduction, la part du carbone dans les émissions demeurera importante à l'horizon 2050 ; et il faudra financer une nouvelle technologie de capture du carbone dans l'atmosphère et de son stockage. Le prix du pétrole comme accélérateur de la transition C'est en définitive la hausse tendancielle des prix du pétrole qui sera, de l'avis des experts, le meilleur allié de la lutte contre le réchauffement de la planète. Le modèle énergétique actuel va commencer à changer ; non pas seulement parce qu'il conduit à une catastrophe climatique dans 40 ans mais parce qu'il devient déjà cher aujourd'hui. L'Union européenne a réagit au mois de mars dernier à la hausse des prix énergétiques par la publication d'un livre vert annonçant les grandes lignes d'une nouvelle politique énergétique commune. La partie consacrée aux énergies propres y est essentielle au côté de l'efficacité énergétique (économies d'énergies). Il est "envisagé d'accroître, d'ici à 2015, la part des énergies renouvelables" à 15% ; et la proportion des biocarburants à 8% à la même date ; mettre en oeuvre le plan d'action dans le domaine de la biomasse. Le retour en grâce de l'électricité produite par le nucléaire est implicitement consolidé par le livre vert européen qui en fait une question de souveraineté nationale. Une chose est acquise, la lutte contre le réchauffement climatique, pour inconfortable qu'elle sera, ne sera pas aussi chère que la perpétuation du modèle de consommation énergétique basé sur les énergies fossiles importées par les grands pays industrialisés. Et là l'argument est porteur pour les occidentaux. Il restera alors une dernière question, comment faire suivre le reste du monde non encore concerné par le protocole de Kyoto jusqu'à 2012 mais déjà émetteur appréciable de gaz a effet de serre ?