Liberté : Lors des journées scientifiques abritées par l'université de Nantes au début de ce mois, M. Vincent Courtillot a abordé la problématique du réchauffement climatique. Est-il réel ? Exceptionnel ? Et a émis lors de cette conférence débat l'hypothèse que les pistes d'interprétation y afférent n'ont pas toutes été suivies... Qu'en pensez-vous en tant que membre du GIEC ? Mohamed Senouci : Ce débat n'est ni nouveau ni original. Il fait partie du débat scientifique normal et pose la question du doute sans lequel la science elle-même ne peut avancer. Cependant, il y a quand même des limites que les sceptiques les plus durs devraient analyser avec précaution. Dans le contexte du changement climatique, on assiste de façon sporadique à des “révélations” scientifiques qui viendraient remettre en cause des résultats faisant l'objet d'un large consensus. Vincent Courtillot est un scientifique reconnu, académicien, directeur de l'Institut de physique du globe. C'est un géologue, spécialiste de la terre interne et du champ magnétique. Pour autant, il ne peut lui être reconnu de compétences suffisantes dans le domaine du climat pour contester les résultats de scientifiques tels que James Hansen (Nasa) ou Hervé Le Treut (Laboratoire de météorologie dynamique, Paris). L'hypothèse d'une action du soleil sur les variations climatiques n'est pas nouvelle. Elle est défendue par quelques scientifiques tels que Vincent Courtillot ou Claude Allègre en France. Sauf que cette théorie ne s'appuie que sur des “covariations” entre cycles solaires et températures. Ces relations sont faites sur des périodes antérieures au signal du changement climatique (milieu des années 1970). Enfin, le rôle de l'activité solaire interviendrait effectivement dans le bilan radiatif de la Terre, mais à l'échelle de quelques dixièmes de watt, c'est-à-dire une échelle inférieure à celle des gaz à effet de serre. Cela étant, les scientifiques reconnaissent que l'effet magnétique induit par l'activité solaire devrait être intégré dans les modèles. Le doute scientifique est certainement une vertu qu'il faut préserver et doit permettre d'avancer dans le cadre d'un débat ouvert fondé sur l'honnêteté intellectuelle. Mais, franchement, dans le contexte actuel de l'agitation qui semble précéder la conférence de Copenhague, quand on prend en compte les risques avérés ou potentiels sur des régions déjà vulnérables telles que les notres, quand on analyse la dimension géostratégique de cette question dans le débat Nord-Sud, on ne peut s'empêcher de penser que ce débat, sans être qualifié de stérile, fait presque figure de sujet spécieux. Et si toutes les “affirmations” du GIEC s'avèrent non seulement entièrement fondées, mais en deçà de ce qui va se produire, que diront les sceptiques tels que Vincent Courtillot ? Au contraire, nos pays ont un besoin urgent de passer à une phase difficile de modélisation plus fine pour mieux comprendre la dynamique de nos climats régionaux et les impacts potentiels de la dérive climatique actuelle sur nos ressources et notre développement. C'est un véritable enjeu et il devrait être le principal signal de la “solidarité scientifique”. M. Courtillot juge que les scientifiques ont passé beaucoup de temps et “d'énergie” dans l'interprétation de ces données sur la base de “magnifiques” modèles numériques sur ordinateur. Le chercheur met littéralement en doute les affirmations du Groupement intergouvernemental des experts du climat sur la question du réchauffement climatique ! D'abord, les scientifiques ont tenté de répondre aux questions qui leur ont été posées. Concernant le changement climatique, ils n'ont pas fait qu'interpréter “des données sur la base de modèles”. Ils ont analysé les données mondiales, à toutes les échelles disponibles, sur les plus longues périodes, avec le souci d'éliminer toutes les sources douteuses. Ils ont également utilisé tout le potentiel offert par la modélisation pour comprendre comment fonctionne le système climatique dans sa globalité. Enfin, ils ont produit des restitutions du climat passé et des simulations du climat futur. Il faut savoir que les travaux dont il est question relèvent d'équipes, de centres de recherche et d'universités qui n'appartiennent pas à une école de pensée unique. Au contraire, ces équipes travaillent dans un esprit de compétition, sans concession et aucune n'affichait le sentiment de détenir la vérité. Depuis une trentaine d'années, un nombre incalculable de rencontres scientifiques, de publications et de controverses sont le témoignage d'un débat scientifique acharné autour de cette question. Si un consensus a été atteint, c'est au prix de ce débat, qui du reste n'est pas achevé. Le GIEC n'a pas affirmé qu'il a trouvé les causes et les conséquences du changement climatique. Il affirme que la communauté scientifique mondiale a établi les preuves de ce changement climatique, qu'elle en attribue la cause à l'activité humaine (9 chances sur dix) et que les conséquences seront dramatiques pour l'avenir. Le 4e rapport du GIEC est libre d'accès sur le site ww.ipcc.ch et peut continuer à être analysé et critiqué ! Il faut noter que le GIEC est une organisation singulière, composé de scientifiques et d'experts indépendants, que les gouvernements ont la possibilité de faire intervenir leur propre expertise, mais surtout que le processus d'élaboration d'un rapport du GIEC exige plusieurs années où interviennent des phases de diffusion publique des versions intermédiaires, ce qui donne l'opportunité à tout scientifique de contester directement le moindre fait ou affirmation. Sauf qu'il faut le faire avec des arguments scientifiques reconnus et validés par la communauté scientifique. Des modifications parfois importantes ont été apportées à différents niveaux avant de parvenir à un rapport accepté qui fait autorité. Le chercheur s'attaque également au Hadley Research Center dont il critique la méthode de recherche qui est celle de découper le globe terrestre en des carrés de 500 kilomètres de côté. Il estime que ces données ne peuvent être vérifiées et donc pas fiables vu que les données en termes de températures ne remontent pas très loin dans le temps. Le géologue géophysicien récuse la notion de température moyenne globale telle que calculée aujourd'hui... Le Hadley Research Center, basé au Royaume-Uni, est l'un des centres de référence mondiale dans le domaine de la modélisation climatique. Le GIEC a utilisé 23 modèles de référence dont deux du Hadley Center. La résolution (taille de la maille spatiale) des modèles varie d'un modèle à l'autre, fonction de la nature des processus à modéliser, des capacités de calcul, etc. Cette maille a été considérablement améliorée en vingt ans. S'agissant du Hadley Center, le modèle actuel (HadGEM1) tourne à une résolution de 135 km (et non 500 km qui était la résolution des premiers modèles climatiques d'il y a plus de 10 ans !), avec une représentation de 38 niveaux de l'atmosphère. L'océan est représenté sur des carrés de 120 km environ, avec 40 niveaux verticaux sur une profondeur de 5 km. Par ailleurs, le modèle du Hadley Center possède de grands avantages de passage à une représentation régionale. En résumé, ce modèle continue à être une “bonne” référence ! Finalement, le réchauffement climatique s'il est réel — cela nul ne le conteste, même pas M. Courtillot — ne pourrait-il pas être réversible comme la période de froid (et glaciaire) que la terre a connue ? Les recherches menées par le GIEC vers quelle hypothèse s'orientent-elles ? Le GIEC ne mène pas de recherche par lui-même. Il travaille sur les résultats obtenus par les plus grands centres de recherche du monde et tente de converger vers un consensus scientifique sur les questions liées à l'évolution du climat. Le changement climatique est bien un fait scientifique qui n'est plus contesté par la communauté scientifique, Vincent Courtillot compris. De même, les “projections” climatiques futures sur lesquelles le GIEC fonde ses conclusions constituent ce qu'on peut appeler l'état de l'art dans le domaine de la modélisation climatique. Il faut savoir que les équipes et centres qui produisent des scénarios d'évolution climatique sont les premiers à admettre que les modèles souffrent encore d'incertitudes. La première concerne la façon dont le monde va évoluer sur le plan économique, politique et social, car cet aspect détermine les quantités et les rythmes d'émissions globales de gaz à effet de serre. Par ailleurs, certains compartiments du système climatique lui-même sont encore représentés de façon imparfaite (rôle des nuages ou des aérosols, interactions non linéaires, couplages, etc.). En dépit de ces incertitudes, les modèles constituent la seule façon d'obtenir une vue prospective des climats futurs. En l'état actuel des choses, cette représentation a permis de restituer de manière satisfaisante le climat du XXe siècle et peut ainsi servir à “prédire” le climat en fin de XXIe siècle. La convergence obtenue par des centres et équipes très différents est un signe que ces résultats contiennent une part de vérité qui, au nom d'un simple principe de précaution, constitue une alerte. L'affinement des modèles permettra naturellement de confirmer progressivement l'importance de l'alerte climatique, dans un sens ou dans un autre. Malheureusement, des travaux récents semblent indiquer que les conclusions du 4e rapport du GIEC (2007) ont été bien plus optimistes que ne l'indique l'actualité climatique récente. Le 5e rapport vient de démarrer. Toutes les avancées aussi bien théoriques que technologiques continueront à alimenter le débat scientifique sur le changement climatique. Le GIEC n'en sera qu'un élément catalyseur.