«Le problème n'est pas la volonté politique, ce sont les chaussures en croco, les lobbyistes. C'est un fait que l'argent s'exprime à Washington et cette démocratie ne fonctionne comme il était prévu qu'elle fonctionne». James Hansen, scientifique de la Nasa chargé du changement climatique Jeudi 23 juin 1988, sous une canicule inédite, le climatologue James Hansen témoignait devant une commission parlementaire du Congrès des Etats-Unis. Ignorant les précautions affichées à l'époque par l'ensemble de la communauté scientifique, il annonçait être certain à «99%» que le climat terrestre était entré dans une période de réchauffement provoqué par les activités humaines. Vingt ans après et selon James Hansen directeur du Goddard Institute for Space Studies (Giss) - l'un des principaux laboratoires de sciences climatiques de la Nasa -, la machine climatique est proche d'un «dangereux point de bascule». Il faut, dit-il, réformer les pratiques agricoles et forestières, taxer le carbone, établir un moratoire sur la construction de nouvelles centrales à charbon et bannir complètement ces dernières, à l'échelle mondiale, d'ici à 2030. Le chercheur prédit une élévation du niveau des mers d'environ 2 mètres à la fin de ce siècle si rien n'est entrepris pour limiter les émissions de gaz à effet de serre - estimation très supérieure à celles généralement énoncées. Surtout, M.Hansen dénonce «le vaste décalage entre ce qui est compris par la communauté scientifique compétente et ce qui est connu par les décideurs et le grand public». Pour expliquer le peu d'actions entreprises depuis vingt ans pour entraver le changement climatique, il met en cause les «intérêts particuliers» privilégiant leurs «profits à court terme». Le propos est d'une violence inhabituelle. «Des sociétés ayant leurs intérêts dans les combustibles fossiles ont propagé le doute sur le réchauffement, de la même manière que les cigarettiers avaient cherché à discréditer le lien entre la consommation de tabac et le cancer, écrit M.Hansen. Les P-DG de ces sociétés savent ce qu'ils font et connaissent les conséquences sur le long terme d'un scénario "business as usual", ajoute le chercheur. A mon avis, ces dirigeants devraient être poursuivis pour crime contre l'humanité et la nature.»(1) Signaux au rouge Dans cette atmosphère de fin de règne de la mondialisation -laminoir, les incertitudes quant à l'imminence du danger climatique perturbent encore plus les certitudes des pays industrialisés quand à la pérennité du modèle de développement occidental. Le combat d'arrière-garde de ceux qui ne croient pas à l'évidence du changement climatique, a reçu une brillante estocade de la part des...oiseaux. Ainsi, on apprend que «sur les rochers du Cap Fréhel, ce printemps, ils étaient trois fois moins nombreux qu'il y a deux ans. Ailleurs, ils modifient leurs itinéraires de migration, ils décalent leurs périodes de reproduction, ils changent leur régime alimentaire. Les bouleversements du mode de vie des oiseaux constituent l'un des meilleurs indicateurs des évolutions climatiques en cours. Et tous les signaux sont en train de passer au rouge. Les temps changent, et comme nombre d'espèces de volatiles, les hommes vont aussi devoir s'adapter»(2) Les signes d'un dérèglement du climat se conjuguent avec ceux des marchés financiers. La flambée du pétrole fait souffler un vent de panique sur les Bourses mondiales. Après avoir franchi, jeudi 26 juin, la barre des 140 dollars à New York, le baril de brut léger a établi, vendredi 27 juin, un nouveau record, à 142,99 dollars. La faiblesse du dollar passé jeudi de 1,55 dollar à plus de 1,57 dollar pour 1 euro, les ruptures d'approvisionnement au Nigeria et les tensions au Moyen-Orient attisent la spéculation. Le brut a bondi, jeudi, après l'annonce, par la Libye, d'une possible baisse de sa production. Le même jour, Chakib Khelil, président de l'OPEP, - qui estimait que le baril pourrait atteindre 150 à 170 euros au cours de l'été. - accrédite ce scénario extrême. Car les cours du billet vert et de l'or noir évoluent en sens inverse. «La hausse du pétrole attise l'inflation et incite les investisseurs à se débarrasser des actions pour se réfugier sur les matières premières, ce qui stimule encore davantage les cours des hydrocarbures. C'est un cercle vicieux!», explique un analyste.Comment les dérèglements climatiques vont-ils se traduire pour les pays? Alors que les Etats-Unis seront moins touchés par le changement climatique en tant que tels, la hausse du niveau de la mer et la pénurie des ressources devraient entraîner toute une série de complications dans d'autres pays qui pourraient affecter sérieusement la sécurité nationale américaine, comme le déclare un nouveau rapport du service des renseignements américains. Selon l'évaluation des implications du changement climatique mondial sur la sécurité nationale d'ici 2030, publiée le 25 juin par les services de renseignements américains, le changement climatique mondial aura de vastes répercussions sur les intérêts de la sécurité nationale des Etats-Unis au cours des 20 prochaines années. A l'instar des Etats-Unis, le rapport indique que l'Europe sera gravement affectée par les conséquences du changement climatique. Mais le climat changeant, les mauvaises récoltes, les inondations et les sécheresses augmenteront les problèmes actuels comme la pauvreté, les tensions sociales, la dégradation de l'environnement, le leadership inefficace et la faiblesse des institutions politiques dans les pays tiers.(3) Cela, à son tour, pourrait également avoir un effet domino, entraînant des implications à grande échelle pour l'économie américaine et mondiale, affirme le rapport, élaboré conjointement par l'Armée et les agences de sécurité américaines. L'Afrique subsaharienne, le Moyen-Orient et certaines parties de l'Asie, pourraient être les plus touchés, laissant entrevoir la perspective d'une augmentation des flux migratoires vers le Nord, étant donné que les réfugiés fuient les climats plus rigoureux. Cette approche est citée comme une préoccupation particulière dans la mesure où les pays d'accueil n'auront ni les ressources, ni l'intérêt de recevoir ces immigrants du climat. Parallèlement, et pour le responsable de la politique étrangère de l'UE, Javier Solana, le continent doit se préparer à faire face à la concurrence croissante concernant la diminution des ressources, les vagues de réfugiés fuyant le changement climatique et les guerres sur l'énergie, selon un rapport présenté aux dirigeants européens lors du Conseil européen de printemps (mars 2008). Dans un article pour le quotidien britannique The Guardian, M.Solana a déclaré que la pénurie d'eau pourrait facilement provoquer des troubles civils. Selon le rapport, l'Occident fait face à un conflit potentiel avec Moscou en termes d'accès aux réserves énergétiques en Arctique. Comme la calotte glaciaire en Arctique fond à une vitesse extraordinaire en raison de la hausse des températures moyennes de la planète, les gisements et les autres ressources inexploitées de l'Arctique présentent des possibilités commerciales futures.(4) Le rapport mentionne aussi, un autre sujet de préoccupation: la possibilité que des migrants ou réfugiés environnementaux se compteront par millions en fuyant les répercussions du changement climatique. M.Solana met en garde que le système multilatéral est en danger si la communauté internationale ne réussit pas à répondre à ces menaces. Le rapport a fait un certain nombre de recommandations, y compris de répondre aux crises humanitaires au sein des Etats membres et de constituer des capacités militaires et civiles pour empêcher les conflits. «Pic pétrolier» Par ailleurs, le manque de pétrole sera, lui aussi, un facteur contribuant à un bouleversement du monde tel que nous l'avons connu. Est-il possible, en effet, que le monde atteigne ou s'approche du pic de production de pétrole? Des experts géologiques l'affirment, et si leur théorie du «pic pétrolier» s'avère exacte, les conséquences pourraient être terribles pour la sécurité énergétique et l'économie mondiale Le pétrole est non seulement le carburant qui alimente nos économies mais également une ressource énergétique limitée et non renouvelable. La population mondiale consomme actuellement 85 millions de barils de pétrole par jour pour l'électricité, le chauffage, les transports, la chimie ou d'autres activités économiques. Selon le rapport annuel de l'Agence internationale de l'énergie (IEA) sur les prévisions mondiales de l'énergie, l'économie mondiale consommera 130 millions de barils de pétrole par jour d'ici 2030. Le concept de «pic pétrolier» trouve son origine en 1959, au moment où une géologue américaine travaillant pour Shell, Marion King Hubbert, prédisait à juste titre que la production de pétrole américain atteindrait son niveau le plus élevé vers 1970.(5) L'un des plus grands problèmes pour définir une politique énergétique sur le long terme, réside dans le fait que les données officielles existantes, portant sur les réserves, sont insuffisantes et font parfois défaut. Les estimations actuelles des organisations internationales telles que l'Agence internationale de l'énergie (IEA) ou le service géologique américain (US Geological Survey) concernant les réserves de pétrole se fondent sur les informations fournies par les entreprises pétrolières et les pays producteurs. De récents événements ont montré que les entreprises pétrolières ont parfois surestimé leurs réserves et ont été contraintes par la suite d'ajuster leurs chiffres. Les chiffres utilisés par les pays producteurs sont encore plus discutables. La plupart des pays de l'OPEP n'ont pas remis à jour leurs chiffres qui datent des années 1980 même s'ils ont pompé de grandes quantités de pétrole depuis. Or, aucun «supergéant» n'a récemment été découvert. L'une des études les plus intéressantes dans ce contexte a été menée par le directeur d'une banque d'investissement spécialisée dans le domaine pétrolier, Matthew R. Simmons. Son livre «Twilight in the Desert: The Coming Saudi Oil Shock and the World Economy» (2005) a étudié des centaines de documents provenant de Saudi Aramco, pour arriver à la conclusion que l'Arabie saoudite était proche de son niveau maximum de production. La plupart des économies mondiales dépendant d'une augmentation de la production de l'Arabie Saoudite à l'avenir, l'impact sur la croissance économique mondiale pourrait être considérable. Depuis 2005, plusieurs rapports d'experts ont révélé que le champ pétrolier le plus grand au monde, le champ saoudien Ghawar, avoisinait ou avait dépassé son pic de production. Les grandes compagnies pétrolières semblent avoir des difficultés à répondre au problème du pic de production de pétrole. Certaines entreprises comme Shell ou Total ont connaissance de cette question mais elles considèrent le pic comme un problème à moyen terme (2020-2030). Mais un rapport du 09 juillet 2007 de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), qui prévoit une crise majeure de l'approvisionnement en pétrole au cours des cinq prochaines années, a ramené la question de l'amenuisement des sources d'approvisionnement en première ligne. Supposant que la température de la Terre augmente de 1,3 degré Celsius et le niveau de la mer d'environ 23 centimètres (neuf pouces) d'ici 2040, le rapport prédit un scénario dans lequel les individus et les nations seront menacés par d'importantes pénuries d'eau et de nourriture, des catastrophes naturelles dévastatrices et des épidémies mortelles. Le rapport du Csis prévoit, également, des migrations intérieures et transfrontalières liées au changement climatique, particulièrement en Asie du Sud, en Afrique et en Europe, dans la mesure où les gens seront obligés de se déplacer pour chercher de la nourriture et de l'eau, et pour fuir face à l'élévation du niveau des mers et aux inondations, aux sécheresses et aux tempêtes plus fréquentes. Dans ces conditions, la pénurie de pétrole et surtout l'idée que le changement climatique peut remettre en cause la mondialisation fait son chemin. Le changement climatique pourrait mettre fin à la mondialisation d'ici 2040 - à cette date, le pétrole sera marginal - d'après un rapport de hauts experts en sécurité nationale. Les pays se replient, en effet, sur eux-mêmes pour préserver leurs ressources alors qu'éclatent de nouveaux conflits liés au climat. D'après le rapport «The Age of Consequences» (le temps des conséquences), réalisé par le Center for Strategic and International Studies aux Etats-Unis, la rareté des ressources pourrait dicter les termes des relations internationales dans les années à venir, car les pays riches pourraient traverser un processus de 30 ans, au cours duquel ils abandonneraient peu à peu les pays pauvres. Au début du mois d'avril 2007, l'ONU avait déjà conclu que les régions les plus pauvres du monde seront celles qui souffriront le plus du réchauffement climatique Pour Leon Fuerth, ancien conseiller pour la sécurité nationale de l'ancien vice-président Al Gore et l'un des auteurs du rapport du Csis, certaines des conséquences du changement climatique pourraient entraîner la fin de la mondialisation telle que nous la connaissons, différentes régions du monde se repliant sur elles-mêmes pour conserver ce dont elles ont besoin pour survivre.(6) (*) Ecole nationale polytechnique 1.Stéphane Foucart. Un climatologue de la NASA accuse les pétroliers de «crime contre l'humanité et la nature» Le Monde du 25 06 2008. 2.Laurent Carpentier: Le réchauffement climatique raconté par les oiseaux. Le Monde du 27 06 2008. 3.Euract'iv: Un rapport des Etats-Unis évalue les menaces du changement climatique sur la sécurité 27 juin 2008 4.4.Solana met en garde contre les conflits potentiels liés au changement climatique. The Guardian mardi 11 mars 2008. 5.Le pic de production de pétrole Euract'iv mercredi 23 avril 2008 6.Le changement climatique pourrait mettre fin à la mondialisation Euract'iv. Jeudi 8 novembre 2007