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«Intégrer la dimension du genre à toutes les politiques publiques»
Youghourta Bellache . Maître de conférences en économie à l'université de BéjaIa
Publié dans El Watan le 23 - 01 - 2017

«Le travail à domicile est le segment le plus important de l'emploi informel féminin. Il couvre une diversité d'activités, qui vont de l'artisanat de production de biens à l'artisanat de services, en passant par l'artisanat traditionnel.»
Le taux de chômage a fortement augmenté chez les femmes, passant de 16,5% à 20% entre mai et septembre 2016. Cette hausse risque-t-elle d'induire la hausse de la part de l'emploi informel chez les femmes ?
Cette forte hausse du taux de chômage chez les femmes va induire inévitablement une expansion de l'emploi informel féminin. Ce dernier, qui a baissé sensiblement ces dernières années, particulièrement depuis 2011, grâce à l'extension de l'emploi public non marchand dans le cadre des dispositifs publics, notamment le Dispositif d'aide à l'insertion professionnelle (DAIP) dans lequel les femmes sont bien représentées et la forte augmentation du nombre de bénéficiaires des dispositifs Ansej et CNAC, suite aux émeutes de février 2011, va ainsi repartir à la hausse à la faveur de la crise de l'emploi que connaît le pays actuellement.
Les mesures d'austérité prises dans ce contexte de crise (le gel des recrutements dans la Fonction publique, le non-remplacement des départs en retraite dans certains secteurs, l'arrêt du financement massif et systématique dans le cadre de l'Ansej, CNAC et Angem) expliquent ce rebond du taux de chômage féminin.
Dans ces conditions, l'emploi informel va jouer le rôle de tampon en absorbant une partie de ce chômage féminin. Par ailleurs, si on intègre les femmes qui se déclarent disponibles pour travailler mais qui ne font pas de démarches pour chercher un emploi, qui sont près d'un demi-million, selon l'enquête ONS 2016, que les statisticiens du travail appellent le «halo du chômage», on aura un taux de chômage féminin de l'ordre de 38%, quasiment le double du taux affiché.
Les femmes se trouvent ainsi dans une situation de forte vulnérabilité au regard du taux de chômage, mais également de l'ampleur du sous-emploi qu'elles subissent et qui les affecte aussi plus que les hommes. Le sous-emploi, qui désigne la situation des personnes qui travaillent moins de 40 heures (durée de travail réglementaire) par semaine et qui souhaitent travailler plus pour gagner plus, touche 27% des femmes occupées contre 18% pour les hommes.
Quels sont les secteurs où le travail au noir des femmes est plus présent ?
L'emploi informel féminin se concentre essentiellement dans l'industrie manufacturière, particulièrement dans les branches artisanales (couture, confection, tissage, poterie, vannerie, préparation de produits alimentaires...) et aussi dans les services, notamment les services à la personne (coiffure, garde d'enfants, cours privés...) et le commerce.
Il faut noter également que l'emploi informel des femmes est représenté essentiellement par l'auto-emploi. Deux tiers des femmes travaillant dans l'informel sont des indépendantes, le reste se répartit de façon presque égale entre salariées et aides familiales.
ll y a aussi de plus de plus de femmes qui travaillent à domicile...
Le travail à domicile est le segment le plus important de l'emploi informel féminin. Il couvre une diversité d'activités qui vont de l'artisanat de production de biens (fabrication de produits alimentaires, transformation ou conditionnement de produits agricoles, produits textiles et de confection...), à l'artisanat de services (coiffure à domicile, garde enfants...), en passant par l'artisanat traditionnel (poterie, tissage, vannerie...). L'activité à domicile des femmes, outre le fait qu'elle est invisible, permet de réconcilier vie professionnelle et vie familiale dans une société marquée par le poids des traditions. La situation actuelle induira une extension du travail domestique des femmes à la recherche d'un revenu de subsistance ou d'un revenu complémentaire si nécessaire en ces temps de crise.
Est-il possible d'assurer la transition vers l'emploi formel ? Comment ?
Oui cela est possible pour peu qu'il y ait de la volonté politique. Avant de répondre à la question du comment, il faut d'abord expliquer pourquoi il est nécessaire et même impératif de formaliser l'informel. Au-delà de son rôle de filet social pour les populations vulnérables qui n'arrivent pas à accéder à un emploi formel, notamment en période de crise, les emplois informels souffrent d'un grand déficit en matière de travail décent.
Il s'agit d'emplois de grande précarité au regard de l'absence de protection sociale, de la faiblesse des rémunérations et des mauvaises conditions de travail qui exposent les individus qui s'y adonnent à des risques professionnels accrus et de surcroît non couverts par la sécurité sociale. Il s'agit donc d'un problème social majeur qui interpelle en premier lieu les pouvoirs publics, qui sont garants de la protection sociale et du respect de la réglementation du travail, et aussi les organisations syndicales qui doivent être en première ligne pour défendre les droits sociaux de tous les travailleurs.
Par ailleurs, la formalisation de l'économie informelle de façon générale permettra d'améliorer l'efficience et l'efficacité de l'économie (les petites entreprises informelles pourraient s'agrandir et se développer grâce à des économies d'échelles et aux avantages qu'offre l'enregistrement en termes d'accès au financement, à la formation et à de nouveaux débouchés). Elle permettra aussi d'élargir l'assiette fiscale, donc les ressources budgétaires de l'Etat et d'assurer par la même l'équité fiscale et sociale entre les opérateurs économiques.
Tous ces enjeux (économique, social, fiscal et éthique) justifient la nécessaire formalisation de l'informel. Le phénomène soulève bien entendu un enjeu politique important dans la mesure où sa persistance et son expansion interpellent l'Etat dans son rôle de régulation économique et posent un problème de gouvernance politique.
Comment formaliser ?
Pour formaliser et prendre ce problème à bras-le-corps, il faut d'abord qu'il y ait une volonté politique forte de la part des pouvoirs publics. Ensuite, pour réussir la formalisation, il faut au préalable réaliser un diagnostic exhaustif et pertinent pour mieux connaître le phénomène, le caractériser et cerner ses dimensions. Jusqu'à présent, aucune étude sérieuse et d'envergure n'a été menée sur ce phénomène, alors que dans la plupart des pays en développement, dont des pays voisins (Maroc et Tunisie), celui-ci est assez bien connu, suivi à travers des enquêtes régulières et fait l'objet de politiques publiques.
Chez nous, l'absence d'études et d'enquêtes institutionnelles dédiées à l'informel et les tergiversations et reculades récurrentes des pouvoirs publics sur le terrain face à ce phénomène majeur témoignent de l'absence d'une volonté politique pour l'endiguer ou même l'atténuer. En attendant, l'informel se développe et s'impose de plus en plus comme norme dans l'économie et la société.
Pour répondre concrètement à votre question, une fois cette volonté politique acquise, affirmée et assumée, il y a lieu après de mettre en œuvre, sur la base du diagnostic établi, une politique de formalisation cohérente, globale et transversale, dans le cadre d'un dialogue social qui impliquera les acteurs informels et tous les autres acteurs concernés (pouvoirs publics, organisations syndicales et patronales, associations...).
Au-delà de l'assouplissement du cadre réglementaire, de la simplification de la réglementation socio-fiscale et de l'impérative réforme financière et bancaire, la formation professionnelle doit constituer l'axe central de cette politique de formalisation. Les études de terrain montrent que ce sont les individus les moins qualifiés et non formés, particulièrement les femmes, qui sont les plus exposés à l'informalité.
Il faudra donc une politique de formation professionnelle incitative en direction des jeunes et aussi des autres catégories sociales pour favoriser leur insertion sur le marché du travail formel.
Pour les femmes, vu l'importance du travail à domicile, qui constitue l'essentiel de l'emploi informel féminin, il convient de développer des dispositifs publics adéquats et de renforcer ceux déjà existants (Angem par exemple) pour encadrer et inciter à la formalisation de leur activité dans le cadre de l'auto-emploi. Enfin, compte tenu de la situation vulnérable des femmes sur le marché du travail et de la persistance, voire l'aggravation des inégalités hommes/femmes, il est nécessaire d'intégrer la dimension du genre comme objectif transversal à toutes les politiques publiques pour favoriser leur insertion professionnelle et réduire ainsi ces disparités.


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