Alors que plusieurs pays méditerranéens, dont la Tunisie, exportent aujourd'hui de l'huile d'olive à coups de milliards de dollars par an, l'Algérie reste derrière et peine encore à rentabiliser ce secteur prometteur. Blady, cette entreprise de Béjaïa, qui a réussi à exporter sa production aux USA et en Europe, en est peut-être l'exemple. El Watan Week-end a rencontré son patron et est revenu avec lui sur les possibilités de fortifier ce secteur en Algérie. «Nous pouvons exporter jusqu'à 5 milliards de dollars de l'huile d'olive par an si l'Etat décidait réellement de développer ce secteur», assure Zahir Khoudja, cinquantenaire, propriétaire de l'entreprise d'oléiculture Blady basée dans sa région natale, à Seddouk, dans la wilaya de Béjaïa. Créée en 2006, Blady a pour principale activité le conditionnement et la labellisation de l'huile d'olive, l'olive de table et les figues sèches. Entre 2006 et 2010, Zahir a réussi à exporter son huile d'olive au-delà de la Méditerranée. Sa marque Jaïa a été vendue aux Etat-Unis d'Amérique et en Europe, dont l'Italie, considérée aujourd'hui comme le deuxième producteur de l'huile d'olive au monde. «L'oléiculture existe depuis trois millénaires dans notre pays. C'est une production locale que nous devons encourager, car elle est rentable à tous les coups. Pour ne prendre que l'exemple de la Tunisie, notre voisin exporte aujourd'hui jusqu'à deux milliards de dollars par an. Donc, imaginez un peu les retombées économiques de ce secteur», explique-t-il. En termes de superficie, l'Algérie compte aujourd'hui plus de 300 000 hectares d'oliviers, répartis majoritairement dans les régions traditionnellement connues pour cette activité, comme la Kabylie. Depuis quelques années, de nouvelles exploitations ont vu le jour, notamment dans le Sud et le Moyen Sud. Aujourd'hui, l'activité oléicole existe pratiquement dans toutes les régions du pays mais pour différents usages. La Kabylie reste la principale productrice de l'huile d'olive. Quant à l'olive de table, c'est la région de Sig, à Mascara, qui détient le monopole en la matière avec plus de 8000 hectares d'oliviers. Milliards Mais ces chiffres restent «insuffisants» pour Zahir Khoudja, qui rappelle que l'Algérie ne produit aujourd'hui que 45 000 tonnes à 65 000 tonnes par an (l'huile d'olive se mesure au kilo et non au litre, ndlr), l'équivalent de 3% de la production espagnole qui dépasse, elle, les 1,3 million de tonnes par an et 1/5 seulement de la production annuelle de Tunisie. Selon notre agriculteur, l'Algérie occupe les dernières places dans la région méditerranéenne qui domine principalement l'activité, au moment où l'huile d'olive devient de plus en plus convoitée dans le monde. Il nous informe que la concurrence peut devenir rude dans l'avenir, car d'autres pays, comme la Chine et l'Inde ont, elles aussi, fait leur entrée dans le domaine. «L'exemple des Etats-Unis d'Amérique est édifiant. Alors que la consommation d'huile d'olive était insignifiante dans ce pays, elle a atteint l'année dernière 300 000 tonnes, l'équivalent de deux milliards de dollars et de cinq ans de production algérienne», indique-t-il. Zahir croit en ce secteur et regrette tous ces marchés que l'Algérie est en train de perdre. «Les Américains importent cette huile d'olive de l'Europe, spécialement d'Italie. Il est encore possible de conquérir ce marché», s'enthousiasme-t-il. Depuis, Zahir ne cesse de multiplier les initiatives. Il est derrière plusieurs études et propositions formulées, notamment aux différentes institutions de l'Etat, dont le ministère de l'Agriculture. Friture Il est aujourd'hui membre du Conseil international oléicole basé à Madrid et président de la région centre de l'Association de l'interprofession de la filière oléicole qui relève du ministère de l'Agriculture. Son objectif n'est pas seulement de perpétuer cette tradition ancestrale, mais aussi, faire de ce secteur un réel pourvoyeur de fonds. «Il faut savoir qu'à l'échelle mondiale, le rendement d'un quintal n'est que de 20 litres maximum. Chez nous, il est de 36 litres, voire 40 litres pour certaines variétés, confie-t-il. Malheureusement, au lieu d'encourager la consommation de l'huile d'olive, nous continuons à importer plus de 600 millions dollars d'huile de table par an. Ce dernier n'a non seulement aucune importance sur le plan alimentaire mais continue à bouffer des caisses de l'Etat en devises. De plus, nous importons la totalité du produit et nous faisons le raffinage ici qui, il faut le préciser, nous revient très cher.» Zahir défend bien évidemment l'huile d'olive par rapport à l'huile de table. Mais peut-il le remplacer réellement ? Zahir se défend : «Du côté alimentaire, l'huile d'olive est non seulement mieux que l'huile de table mais il doit le remplacer, insiste-t-il. Je vous donne une confirmation fondée scientifiquement. La meilleure huile pour la friture est l'huile d'olive. Nous ne l'utilisons pas, car il n'est pas si abondant, raison pour laquelle nous utilisons l'huile de table. Mais le débat n'est pas là, car même les fritures sont nocives pour la santé. En Europe, les associations et la tutelle concernée conseillent leurs citoyens de ne pas dépasser 3% de matière grasse nocive. Or, que l'huile d'olive est connue pour être bonne pour la santé humaine.» Marché L'Etat tarde à s'investir dans l'activité oléicole. Que faire alors pour rendre ce secteur rentable ? Face à cette question, Zahir s'est montré peu enthousiaste : «Nous ne pouvons rien faire sans la volonté de l'Etat. Afin de valoriser ce produit, ce dernier pouvait au moins introduire l'huile d'olive dans sa restauration collective, comme les cantines scolaires et universitaires, les hôpitaux et les unités militaires et paramilitaires, etc. Comment pouvez-vous l'expliquer ? Il faut savoir que l'Etat prend en charge la restauration de 12 millions d'Algériens. S'il n'encourage pas sa production locale, qui le fera ?», s'interroge-t-il. A Seddouk, comme dans la plupart des régions du pays, la récolte des olives reste faible cette année. Les pluies étaient avares, contrairement à cet hiver où la neige a couvert toute la région. Ici, la plupart des terres agricoles sont privées. Les ventes, même si le marché est quasi inexistant, se font d'une manière informelle. Quant aux récoltes, elles sont plus destinées à la consommation familiale, qu'à la vente. «Il ne peut y avoir de production sans marché. Je pense que l'Algérie avait fait un choix historique en optant pour le pétrole au moment où la Tunisie, par exemple, s'est penchée sur le secteur oléicole. Maintenant, je pense qu'il est temps de diversifier notre économie. En termes de production nationale, l'huile d'olive est un secteur prometteur», se défend-il. Et d'ajouter : «Notre production ressemble à celle de l'Italie. Ce sont de petites exploitations privées de deux hectares maximum, contrairement à l'Espagne où elles arrivent parfois à une superficie de 20 ha. En Algérie, on peut garder les deux à la fois, avec les petites exploitations de type italien et faire de l'hyper intensif sur de nouveaux territoires, comme en Espagne. De plus, nous allons assurer un produit biologique demandé notamment par les marchés occidentaux.» Beni Maouche Concernant l'exportation, il faut dire que Blady n'a eu, au regret de son responsable, qu'une petite expérience de quatre ans. Devant l'absence de lois claires, de mécanismes et de politique d'exportation de ce produit, Zahir a fini par temporiser. Pourtant, il avait même créé un site internet pour vente en ligne, mais à l'époque le e-commerce et le paiement électronique n'existaient pas. Ce dernier vient juste d'être introduit en Algérie et prendra certainement beaucoup de temps avant de mis en place. «Nous avons étudié toutes les voies nécessaires et toutes les possibilités pour développer ce secteur. Les moyens de communication ont changé. Nous avons hébergé un site de vente en ligne mais cette dernière était et demeure inaccessible pour le moment. Maintenant, l'Etat a met en place tout un système de paiement électronique. La demande à travers le site doit être fonctionnelle. De plus, la réglementation doit être faite. Nous sommes énormément convoités mais nous ne pouvons rien faire pour l'instant», regrette-t-il. Ce qui reste pour Zahir, dont l'entreprise reste l'une des plus importantes en matière d'exportation d'huile d'olive en Algérie, est le mode d'exploitation traditionnel. Pour lui, l'option d'une entrée au marché mondial reste encore un rêve lointain mais pas impossible à réaliser. «L'Algérie importe du Maroc, d'Espagne et même d'Egypte jusqu'à 40% de sa consommation d'olive de table. Donc, il y a une forte demande, raison pour laquelle nous avons créé cette conserverie. On fait aussi la labellisation de la figue de Beni Maouche. Et on compte labelliser l'olive d'Adjras, un produit de notre région. C'est une variété à double application, car elle est utilisée à la fois pour l'olive de table mais aussi pour l'huile d'olive. Il y a d'autres entreprises dans le secteur, mais c'est encore insuffisant pour créer un marché national et conquérir le marché mondial», assure-t-il. Industrie L'entreprise de Zahir emploie aujourd'hui jusqu'à 20 permanents et plus d'une centaine de saisonniers. Ses installations traitent jusqu'à 20 tonnes par jour d'olives et remplissent jusqu'à 1000 bouteilles par heure. Le prix de l'huile d'olive a atteint cette année 700 DA le litre. A Seddouk, il est de 600 DA. Zahir parle de spéculation, l'une des raisons qui freinent, selon lui, l'exploration de ce produit, car le prix d'un kilo arrêté par le Conseil international oléicole est de 3,2 euros. Autres produits qui peuvent être valorisés, sont les sous produits oléicoles, comme le noyau de l'olive. Ces déchets sont généralement utilisés pour l'énergie, comme aliment de bétail ou comme amendement organique pour l'agriculture. Mais «il est, selon Zahir, généralement jeté par les agriculteurs qui n'en profitent pas». «Nous avons réalisé une étude en collaboration avec l'Union européenne et nous avons envoyé les conclusions au ministère de l'Industrie. Mais rien n'a été fait depuis. Nous avons trouvé que ces déchets peuvent satisfaire 5% du sol agricole. Nous songeons à créer d'autres associations pour défendre ce secteur qui nous semble aussi très important», rappelle-t-il. Le chantier reste certes très loin en la matière, mais Zahir y croit et défend son projet. Pour rappel, l'une des premières associations de l'olive est l'Association pour le développement de l'oléiculture et l'industrie oléicole créée à Akbou (Béjaïa) en 1990. D'ailleurs, cette dernière organise, les 23, 24 et 25 février prochain, sa 21e fête de l'olive à Akbou. «L'événement n'est pas commercial, précise Zahir qui affirme que ça sera une occasion pour les agriculteurs de rencontrer, d'échanger et faire connaître leurs produits.» «Il faut favoriser les produits locaux sur ceux importés. La voix la plus sage pour les Algériens, sera celle de créer un marché pour les Algériens d'abord. Il y aura certainement une demande et les gens vont devoir travailler. Après avoir satisfait le marché local, nous allons exporter les excédents, mais avant, il doit devenir d'abord un produit national reconnu. La solution n'est pas si compliquée, car elle ne demande pas trop de moyens. Il suffit d'une volonté. Quant à nous, agriculteurs, si l'Etat démontre sa bonne volonté de développer réellement ce secteur, nous nous engageons à alimenter le secteur militaire gratuitement. C'est l'un des secteurs le plus organisé. Nous avons la volonté. C'est à l'Etat de démontrer la sienne.»