Au milieu des années 1990, une marche de l'opposition démocratique se déroulait sous la pluie, à Alger. L'un des participants à la manifestation, dirigeant politique, y voyait un signe de «fertilité démocratique». Aujourd'hui, les jours de pluie sont vécus et annoncés comme des drames et l'espoir démocratique est dangereusement enferré entre la chape du pouvoir et l'entreprenant projet islamiste. Les temps ont véritablement changé. Il y a vingt ans, les rangs étaient dispersés, aujourd'hui, ils sont entremêlés. Les islamistes n'étaient cités que dans les actions de subversion ou s'illustraient par l'absence de condamnation de la folie terroriste, à présent, ils parrainent le changement et promettent la démocratie. L'électeur est aujourd'hui sollicité mais le citoyen est le grand absent. L'absurdité de la situation est résumée par le président de la Haute instance de surveillance des élections en plaidant pour « l'émergence d'une culture électorale» dans une conjoncture où la culture politique a largement déserté la vie publique. Et il est significatif que le même nouveau dignitaire du régime insiste sur l'«autonomie financière» de son instance, pour donner le change aux fournées de prétendants à la députation pour lesquels les futurs salaires mirobolants ne sont pas d'un intérêt subsidiaire. Les états-majors des partis politiques annoncent des programmes électoraux avec de réelles propositions. Il reste à trouver un auditoire parmi une société globalement mise en état d'alerte, pas seulement météorologique, mais sociale. Un ministre annonce une augmentation du prix de l'eau potable, un autre dément celle du lait pasteurisé, tout en indiquant que d'éventuelles hausses sur le marché n'engageraient pas le gouvernement. Le consommateur retient que la vie sera de plus en plus dure et l'Etat-providence a vécu. Dans les QG de campagne en cours de constitution, l'on ignore si les protagonistes prennent en compte les signes de profonde détresse sociale où se limitent à un simple marchandage pour figurer sur les listes. Les tentatives des journalistes de pénétrer cet univers désormais fermé où sont agencés les noms des candidats à la députation sont autrement plus laborieuses et problématiques qu'au temps où le niveau de la vie politique permettait de prendre connaissance des personnalités qui recueillaient naturellement le consensus interne et jouissaient d'une aura certaine en société. Au pouvoir, où les ambitions des ministres en fin de parcours sont difficilement réfrénées, comme au sein de larges pans de l'opposition, les tractations pour mettre en place les listes électorales sont entourées d'une tension sourde qui jure avec celle qui parcourt en profondeur la société. Si le fossé continue de se creuser entre la population et la classe politique censée la représenter ou la diriger, le prochain épisode de la vie nationale ne sera pas un suffrage universel mais des manifestations de rue, indépendamment des saisons.