La vague verte qui a déferlé en Tunisie avec la percée du mouvement islamiste Ennahda à l'élection de l'Assemblée constituante s'est irrésistiblement propagée au Maroc, où l'autre parti islamiste, le Parti de la justice et du développement (PJD), fêtait déjà triomphalement sa victoire avant même l'annonce définitive des résultats officiels. Dans un effet domino, en Egypte où les électeurs sont appelés aux urnes aujourd'hui, lundi 28 novembre, pour élire le Parlement dans un contexte de crise politique aggravée née du bras de fer opposant les révolutionnaires de la place Tahrir à l'armée autour du transfert du pouvoir des militaires aux civils, le même scénario de l'arrivée triomphante au pouvoir des islamistes du mouvement des Frères musulmans se dessine en filigrane du jeu politique qui se déroule dans ce pays. L'ennemi juré d'hier, l'armée en l'occurrence, étant devenue, par la grâce de la révolution, l'allié d'aujourd'hui, les Frères musulmans égyptiens n'ont pas hésité à choisir leur camp au côté du Conseil suprême des forces armées (CSFA) en annonçant leur participation au scrutin. En l'absence de compétition électorale dans un scrutin qui se déroulera à huis clos, le mouvement des Frères musulmans est assuré de la victoire. Non parce que le peuple égyptien l'aura choisi librement, mais faute de concurrents. Une victoire par défaut, en quelque sorte. Le succès des islamistes en Tunisie et au Maroc les a confortés dans leur conviction, à leur tour, que c'est aujourd'hui ou jamais. Dans la région du Maghreb, ne restent plus que l'Algérie et la Mauritanie à l'appel à la prière collective. Simple sursis ? L'Algérie, qui a vécu dans sa chair l'expérience tragique de l'islamisme politique, est-elle définitivement immunisée contre le discours islamiste radical ? Y a-t-il aujourd'hui, à la lumière des révolutions arabes qui ont porté au pouvoir un islamisme «soft» qui s'engage à concilier islam et démocratie, de la place pour le courant djihadiste après les attentats du 11 septembre 2001 et la politique de la terre brûlée pratiquée par les tenants de cet ordre moyenâgeux partout dans le monde où l'expérience a été tentée ? La disqualification de ce courant en raison de son idéologie a-t-elle fait le lit de l'islamisme dit modéré ? Tout porte à le croire, si on analyse à chaud le jackpot empoché par les mouvements islamistes des pays du Maghreb à la faveur des derniers scrutins. Le nouveau Parlement algérien issu des prochaines élections législatives prévues dans quelques mois sera-t-il fatalement aux couleurs du Mouvement pour la société et la paix (MSP) dans lequel viendrait s'agréger d'autres partis de la même mouvance et – ironie du sort ? – les autres formations de l'Alliance présidentielle : le FLN et le RND ? Ce sera l'alternance à rebours avec les mêmes acteurs politiques, sauf que la majorité au sein de la coalition au pouvoir aura changé de main au profit des islamistes. C'est ce scénario qui semble se mettre en place dans la logique électorale maghrébine ambiante, avec ou sans l'appui du pouvoir. L'atomisation et la démobilisation du camp démocratique, d'une part, le désenchantement de la société civile porteuse des valeurs de modernité, d'autre part, font le bonheur des islamistes qui évoluent en terrain pacifié et conquis.