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Une grave dérive s'est installée à l'université Adel Abderrezak. Enseignant à l'université Abbes Laghrour de Khenchela et ex-porte-parole du CNES (1996-2004)
Vous avez certainement eu écho de l'agression des enseignants à l'université Alger 3, qu'elle est votre sentiment ? C'est un acte très grave qui traduit le climat délétère qui caractérise les universités algériennes. Tout concourt à ce que la violence s'installe à l'université. Une administration autoritaire qui veut tout contrôler, des sociétés privées de vigiles perméables aux dérapages, des organisations d'étudiantes plus impliquées dans des logiques de pouvoir que dans des logiques syndicales, des enseignants résignés à la gestion de carrière et désyndicalisés. Evidemment, quand certains font de la résistance et tentent de rétablir des normes professionnelles piétinées tous les jours par l'administration et la pression de certains groupes d'étudiants, ils subissent la violence de ceux qui font la loi dans les enceintes universitaires. Ces actes sont devenus récurrents et les enseignants en font les frais, en particulier dans les universités de l'intérieur du pays. Récemment à l'université de Khenchela, un enseignant a été agressé par des étudiants en grève dans l'amphi. Des enseignants esseulés subissent des agressions, des pressions, des menaces de la part d'éléments très réduits mais aux comportements agressifs, surtout en période d'examens, de remise des notes... Ne pas oublier l'agression des étudiants à l'extérieur, à l'exemple de Tizi Ouzou, où un étudiant a été agressé et tué, il y a quelques jours. Insupportable ! L'opacité, du deux poids, deux mesures, les passe-droits, le clientélisme, tout cela amplifie le phénomène d'agressivité à l'intérieur des universités. En fait, tout cela traduit le fait que le lien s'est coupé entre les différents acteurs universitaires, chacun enfermé dans son îlot recherche l'évitement de l'autre ! C'est aussi ça l'objectif «des politiques moins visibles», qui font tout pour anesthésier toute conscience critique dans les milieux universitaires : l'enseignant se contente de son acte pédagogique banalisé, l'étudiant réussir son cursus à tout prix, l'administration rechercher «la paix sociale» par tous les moyens, y compris en tournant le dos à la réglementation. L'agression des enseignants de l'université Alger 3 doit être publiquement dénoncée par le ministère. Une réaction de soutien doit être massive et concrète par la communauté enseignante ! Il faut une commission d'enquête du ministère qui situera les responsabilités et les implications des uns et des autres et en finir avec l'impunité des responsables à tous les niveaux. Comment analysez-vous la situation et le climat général actuels dans l'université ? Le climat délétère qui perdure à l'université renvoie à beaucoup d'éléments qui pèsent lourdement sur les universités, en particulier celui de la gestion politique de l'université algérienne. Dans un pays où le pouvoir politique n'arrive pas à se libérer d'une gestion autoritaire de la société, malgré Octobre 88 et le pluralisme politique et syndical ; il y a évidemment un déficit démocratique énorme qui est au cœur de l'Etat et s'exerce dans les pratiques de l'administration publique. En Algérie, l'administration est une administration-parti qui sert la centralité politique et les jeux de pouvoir qui s'y exercent. Cette administration est dotée des pleins pouvoirs et chaque responsable exerce son omnipotence sur son territoire de pouvoir mais dans le respect de la hiérarchie des pouvoirs. Le recteur, le doyen, le chef de département, le président du conseil scientifique…, tous ces responsables, dans beaucoup de cas, usent et abusent, selon leur lecture privative, de la réglementation. Chacun s'entoure de son «clan» et chaque clan recherche l'hégémonie. C'est d'autant plus automatique que la culture démocratique est très peu incrustée et que les contre-pouvoirs syndicaux, académiques ou autres sont fragilisés. On ne mesure pas suffisamment l'état de déliquescence atteint dans certaines universités ! Alors, ça nous donne la gestion universitaire actuelle, dessinée par des politiques, tolérée par la tutelle et nourrissant un sentiment de puissance et d'impunité chez certains responsables universitaires. Soyons justes. Il y a de rares recteurs et doyens qui tentent de préserver des normes universitaires, qui exercent dans l'éthique et recherchent des relations de fraternité avec les enseignants et étudiants. Ils sont vite rattrapés par la réalité : des mécanismes de représentation biaisés, des lobbys protégés, des pressions institutionnelles et un activisme administratif forcené, qui les éloigne de la réalité ! Disons-le clairement, les abus s'accumulent gravement dans le fonctionnement des universités. La légitimité de l'acte pédagogique est altérée par les passe-droits et les évaluations sous-pression. Les concours et soutenances sont biaisés et les progressions de carrière sont facilitées par les pratiques clientélistes. Les étudiants sont en permanence confrontés à l'absence d'écoute des responsables, dont la parole est délégitimée. Les multiples grèves des étudiants, des pharmaciens jusqu'au biotechnologues de Constantine renvoient au discrédit de la parole des responsables. Le tweet de M. Sellal, qui occulte le rôle de M. Hadjar, convoque les délégués en grève mais les promesses sont sans effet. La direction de l'Ecole supérieure de biotechnologie (ENSB) convoque les parents d'étudiants et en fait des acteurs directs dans la gestion du conflit. Choquant ! Les étudiants sont… des collégiens et n'ont pas encore «la conscience suffisante» pour prendre des décisions. C'est toute la problématique de l'université algérienne… réduite à une collégianisation du savoir et de ses acteurs : Djamiâa Ikmalia ! Comment ces étudiants rêvant d'un pôle d'excellence, inscrits avec un bac de 14-17 de moyenne, peuvent-ils espérer écoute et crédibilité des responsables de l'école et du ministère. Il faut sortir de la gestion courante de cette crise de l'université et revenir aux fondamentaux : une université est un lieu de savoir, de libertés académiques et de valeurs universelles qui portent son identité. Les responsables doivent être désignés sur cette base. Les enseignants doivent revoir de façon critique leurs pratiques du métier et les étudiants doivent être considérés comme des sujets actifs et réactifs. Le malaise est bien réel. Il est tangible. Mais où sont les représentants des universitaires ? Où est l'action syndicale ? Une grave dérive s'est installée à l'université et explique en partie les problèmes de régulation des conflits et de représentation syndicale. D'abord, le pouvoir administratif s'est de plus en plus structuré autour de logiques de clans et de clientélisme d'intérêts. Ce n'est pas nouveau comme phénomène, mais il est devenu systématique ou presque. Ce processus développe l'opacité des décisions, l'arbitraire administratif, les logiques de transactions (où tout se négocie) et bien sûr, dans certains cas, des logiques de «mercenariat» (le mot est fort mais le processus réel) pour certains doyens et recteurs. D'où ce sentiment de structuration «mafieuse» constaté dans certaines administrations universitaires. L'autre aspect renvoie à la filiation partisane de certains acteurs-décideurs dans l'enseignement supérieur. Qu'il soit ministre, recteurs, organisations syndicales, il y a une dérive qui favorise cette instrumentalisations des institutions universitaires aussi bien dans le jeu des rapports de force partisans que dans les stratégies électorales. Combien d'universités ont été des pourvoyeurs de logistique et… de candidats selon des règles informelles définies dans l'opacité la plus totale. Comment expliquer certains conflits et grèves, étudiantes en particulier, si ce n'est par des logiques de confrontation partisanes liées à l'hégémonie de tel parti institutionnel (y en n'a pas beaucoup évidemment sur le mouvement étudiant ou enseignant) ? Le CNES, syndicat des enseignants du supérieur, paye le prix de cette dérive d'ensemble ! Né dans une dynamique de luttes et de grèves dans les années 90, le CNES de 1996-2006 a créé un processus de syndicalisation et de conscientisation autour des problèmes de l'université et de la condition enseignante qui lui ont permis d'arracher respect et crédibilité auprès des enseignants, de l'opinion publique et même des décideurs politiques. Il a su créer un véritable contre-pouvoir au sein des universités et a obtenu de véritables conquêtes salariales. Il a aussi provoqué des inimitiés car sa dynamique remettait en cause cette domestication rampante de l'université algérienne. La voix des «intellectuels» a trouvé sa voie ! Et ceci n'avait pas que des soutiens. D'où l'OPA faite sur le CNES qui a entamé, à partir de 2007, «la taïwanisation» du syndicat des universitaires. La suite, tout le monde la connaît (nous avons eu l'occasion d'écrire sur cette période du CNES dans l'ouvrage édité par l'association Les amis de Abdelhamid Benzine sur La cartographie syndicale algérienne…Après un quart de siècle de pluralisme»-2016) ! Résultat : démobilisation, déstructuration des sections CNES, désyndicalisation des enseignants, résignation à la gestion de carrière dans les règles imposées par l'administration, etc. Aujourd'hui, scénario algérien classique, on a deux CNES avec deux coordinateurs élus, qui sont en concurrence et…qui viennent d'être gelés (lettre du 22 février envoyée aux recteurs, n°99) par le ministère du Travail pour raison de…non remise de documents de légitimité ! Les enseignants aspirent à une représentation démocratique. Ils ne supportent plus les abus et l'autoritarisme de l'administration universitaire. Ils veulent être partie prenante d'un débat critique sur les politiques de l'enseignement supérieur qu'a subi l'université algérienne. Ils sont obligés de faire leur expérience démocratique et changer la représentation syndicale pour en finir avec les logiques «putschistes» et les instrumentalisations d'appareils. Seules les pratiques démocratiques garantissent une représentation réelle. Les syndicats n'étant autonomes que dans la forme, la représentation peut passer par des AG directement, par des collectifs syndicaux ou par une transformation démocratique des syndicats existants. Ça ne se fait pas seulement par des règlements intérieurs, mais aussi par des luttes d'envergure qui font apparaître de nouveaux délégués, de nouveaux acteurs.