Fertial, un nom très court mais la liste de ses déconvenues et de ses rebondissements ne cesse de s'allonger. Mais, sur le pied de guerre, la toute fraîche équipe dirigeante du fleuron de l'industrie nationale des fertilisants entend bien éradiquer tout ce qui risque de peser sur le challenge qu'elle s'est fixé pour 2017 : faire de cette co-entreprise algéro-espagnole une filiale aussi moderne, compétitive et rentable que les meilleurs autres sites de production dont dispose Grupo Villar Mir (GVM) en Espagne (10), au Portugal (03) ou en France (01). La question qui s'impose : Fertial a-t-elle réellement les moyens de ses ambitions après de mauvais crus 2015 et 2016 ? En témoigne d'ailleurs son chiffre d'affaires qui a fondu de presque la moitié en quatre ans — 2012-2016 —, passant de 44 863 à 26 773 millions de dinars. «Certes, 2016 comme 2015 n'étaient pas de bonnes années économiques. Les résultats de l'entreprise ont été en deçà des prévisions arrêtées et cela pour plus d'une raison. Toutefois, après les actions que nous avons entreprises à divers niveaux, un vent de confiance et d'optimisme s'est mis à souffler, enclenchant une relance et les prémices en sont déjà perceptibles : le record historique de 30 328 tonnes d'ammoniac atteint en janvier 2017 à l'unité I de l'usine d'Arzew (Oran)», réplique Mokhtar Bounour, le DG de Fertial. Au CV bien étoffé et fort d'une expérience avérée dans le domaine de la grosse industrie, des postes de responsabilité à Sonelgaz, Sonatrach, puis à l'international (General Electric au Moyen-Orient, en Europe et en Amérique), ce jeune directeur affirme être résolument déterminé à poursuivre la double stratégie de croissance externe et interne qu'il a tracée pour son entreprise. Pour cela, il a le feu vert de l'espagnol GVM, ainsi que celui de ses compatriotes, le groupe industriel engrais et produits phytosanitaires «EPE Asmidal SPA» et le tout nouvel arrivant au tour de table, Ali Haddad, patron du géant du BTP algérien, l'ETRHB. Les trois partenaires se partagent désormais le capital social de Fertial à hauteur de 49, 34 et 17%. La majorité revenue, depuis novembre 2016, aux Algériens ; d'août 2005 à octobre 2016, Grupo Villar Mir avait le contrôle de 66% des actifs de la puissante entreprise ; deux grandes usines, Annaba et Arzew avec ses deux unités, totalisant une capacité annuelle de production de près d'un million de tonnes d'ammoniac dont une bonne partie est exportée, le reste destiné à la fabrication d'une large gamme d'engrais azotés et phosphatés pour les besoins de l'agriculture nationale. Plan de développement : mode d'emploi Comment comptent s'y prendre les dirigeants de Fertial pour mettre en route leur plan de développement et renouer ainsi avec les performances d'antan alors que la santé financière de leur entreprise n'est pas vraiment au beau fixe ? «2015 et 2016 ont été deux exercices difficiles pour tous les acteurs intervenant dans la filière. La baisse des cours de l'ammoniac, notre produit phare, a sensiblement agi sur nos revenus à l'export. Pendant des années (2007, 2008, 2009), les prix avaient atteint des niveaux record. Ce qui s'était traduit par la construction de plusieurs nouvelles usines. Aujourd'hui que ces prix ont chuté de près de moitié, nombre d'usines ont dû fermer, surtout en Europe. La situation a engendré un surstock impressionnant, donc un déséquilibre criant entre l'offre et la demande. D'où le dévissement des cours sur le marché international ; 499 dollars en 2014, 390 en 2015 et 240 en 2016», nous explique M. Bounour. Il faut dire que le responsable n'a pas tort : pendant les années en question, les données et le contexte mondial étaient tout autre : une demande plus forte que l'offre. A cela, une explication. A l'époque, considérant la hausse des prix du maïs, le risque d'une crise alimentaire des pays pauvres devenait de plus en plus sérieux. Les nouvelles réglementations et exigences prévues dans l'accord de Kyoto exhortaient les gouvernements à développer les biocarburants et à utiliser des matières fossiles moins polluantes. Cette tendance s'était traduite par l'exploitation des ressources agraires pour développer de l'éthanol, sans pour autant augmenter les surfaces cultivables. Et c'est cette contradiction qui avait provoqué, à l'époque, une crise sans précédent sur le marché de l'ammoniac et des engrais. Résultat : une diminution de l'offre en ammoniac par rapport à la demande, impliquant, au final, un coût plus élevé des engrais. Les prix avaient, à ce titre, connu une envolée vertigineuse : en 2009, ils avaient même frôlé les 1000 dollars la tonne, alors qu'en 2003, celle-ci se vendait à 200 et 300 dollars seulement. Cette tendance haussière avait incité les investisseurs à construire des usines d'ammoniac et d'engrais dans les pays où le coût de production est le plus compétitif tels qu'au Moyen-Orient et certains pays d'Afrique comme l'Algérie. Des régions connues pour leurs immenses ressources en gaz naturel, principale matière première nécessaire à la production d'ammoniac, produit utilisé à environ 81% pour la fertilisation des sols, mais aussi dans les procédés de fabrication d'engrais, comme l'urée, le nitrate d'ammonium et de sulfate d'ammonium. L'ammoniac est également utilisé dans plusieurs industries : textile, cosmétique, industrie pharmaceutique, explosif, réfrigération, nettoyage, chimie (en tant que réactif de synthèse pour l'acide nitrique, l'acrylonitrile, l'acide cyanhydrique, les amides et amines). D'où la guerre qui faisait rage entre les acteurs du marché et la folie qui s'était emparé des cours internationaux, et ce, bien des années durant. Or, aujourd'hui les choses ne sont plus les mêmes : la guerre s'étant apaisée, les prix actuels sont à leurs plus bas niveaux et Fertial en a gravement pâti. Mais pas que : outre les aléas du marché international, les résultats de l'entreprise ont été négativement affectés par tant d'autres facteurs : «Renchérissement du coût d'approvisionnement de gaz, fonctionnement avec charges réduites des installations, y compris l'arrêt effectif de ces dernières, excès de stock essentiellement dû au manque d'autorisations pour exporter, marges plus petites des engrais du complexe NPK, maintien du programme d'investissement soutenu par la trésorerie dû au délai de l'accord de financement avec la banque», énumère-t-on dans un récent rapport réalisé par Grupo Fertiberia, la société à la tête de la Division chimie du GVM. Conséquences : en 2015, les résultats de Fertial n'ont pas été ceux que l'on attendait avec un chiffre d'affaires de quelque 254 millions d'euros, soit 73% des prévisions. Et, à l'exception de la levée des contraintes liées aux autorisations d'exportation, toutes ces déconvenues, à en croire M. Bounour, se sont poursuivies en 2016 : «Les contraintes des autorisations d'exportation auxquelles était confrontée l'entreprise de 2015 à 2016 ont lourdement pesé. Nos capacités de stockage, à l'instar de nos semblables du reste du monde, sont limitées. Il faut savoir que vu la nature hautement sensible de l'ammoniac, son stockage répond à des critères très spécifiques. Les capacités individuelles de stockage s'appuient surtout sur les chiffres nominaux de production quotidienne des usines qui décongestionne en période d'absence de consommation», tient à souligner le même responsable. Mais, «fort heureusement, nous sommes parvenus à résoudre ce problème en août dernier. Auparavant, il fallait fournir les contrats de vente avant d'obtenir l'autorisation d'exporter, du ressort du ministère de l'Energie. Avec nos collègues d'Asmidal, représentant de l'Etat algérien, nous avons trouvé un terrain d'entente. Nous faire délivrer des autorisations préalables sur la base d'une liste de clients potentiels prédéfinie (moins d'une dizaine). Les autorisations sont utilisées à chaque opération à l'export», se réjouit-il. La touche Haddad Toutefois, la question que nombre d'observateurs avertis se posent toujours au sujet de ces «fameuses» autorisations est la suivante : le nouvel actionnaire, Ali Haddad, patron des patrons, serait-il pour quelque chose dans cet heureux dénouement ? Lui qui est réputé pour être «l'intermédiaire de référence entre le monde des affaires et le pouvoir». Des atouts l'ayant même propulsé au rang d'«interlocuteur privilégié» des grands groupes multinationaux, férus avérés des marchés stratégiques algériens. Et Grupo Villar Mir en fait partie et tout porte à croire qu'il a pris la bonne décision en cédant, consentant ou contraint, au Groupe ETRHB Haddad, 17% des 66% des parts qu'il détenait d'août 2005 à octobre 2016 à Fertial, entreprise dont le total des actions s'élève à 1 750 000, selon Javier Goñi del Cacho, son président du conseil d'administration. «Ce dénouement, intervenu vers la fin de l'été 2016, est le fruit des efforts consentis par tout le monde : les cadres dirigeants de Fertial, M Bounour à leur tête, le PDG du groupe industriel Asmidal, M. Louhichi, de la mobilisation de l'ensemble des partenaires, ainsi que les ministères concernés. En d'autres termes, le problème des autorisations, contrairement à ce qui se dit, a été résolu bien des mois avant l'arrivée du groupe Haddad», tient à préciser une source syndicale. Autre facteur déterminant dans le climat de sérénité ambiant : en bon visionnaire, le partenaire ibérique a pris l'initiative ou a consenti — le secret reste entier — à l'algérianisation des effectifs au sommet de sa filiale algérienne. Après l'actualisation, en 2014, des accords obtenus entre Fertial et ses associés, qui supposent notamment une plus grande implication du groupe Asmidal dans la gestion opérationnelle de l'entreprise (finances, marchés interne et externe et ressources humaines), la réorganisation du conseil d'administration avec l'incorporation de deux représentants du même groupe en 2015, le GVM a désigné, en juin 2016, M. Bounour (il a été retenu sur une trentaine de postulants internationaux) en remplacement de Stéphane Dieude qui a assuré l'intérim après le départ de George Requena. Succédant, à son tour, à José Maria Estruch, M. Reguena avait tenu les rênes de Fertial jusqu'en septembre 2015. Depuis, l'entreprise est entrée dans de sévères zones de turbulences contre lesquelles elle devait se débattre seule bien des mois avant d'en sortir. Car du lest, les autorités algériennes en ont progressivement lâché avec, d'abord, la normalisation des modalités d'application des dispositions du décret présidentiel fixant les normes et les procédés régulant l'exportation d'ammoniac, la levée par l'Autorité de régulation des hydrocarbures (ARH) des restrictions auparavant imposées à Fertial en matière de consommation de gaz naturel et enfin le déblocage des autorisations d'exportation d'ammoniac. L'imposant brouillard s'est donc dissipé, la visibilité devenue meilleure et tout, semble-t-il, y est pour que puisse être mis en route le business-plan 2017 : la production de 825 000 tonnes et l'exportation de 709 000 tonnes métriques d'ammoniac. Quid des marchés ? Les clients ciblés ? «Les ventes à l'export sont essentiellement orientées sur l'Europe (France, l'Italie, Portugal, Espagne, Allemagne…). La recherche de clients éloignés bute sur la problématique de la logistique (le fret et la configuration des ports ne permettant pas d'accueillir des navires de gros tonnage. Aussi, le management demeure concentré sur le marché européen de proximité (marché naturel)». La feuille de route tracée par la DG ? Elle est principalement axée sur la révision de la structure des coûts de production et la diversification de la gamme de produits avec le lancement de deux nouveaux engrais à forte valeur ajoutée ; CAN 27 et UAN, et ce, aux fins de compenser le lourd impact induit par la décrue des cours de l'ammoniac : «Nous prévoyons de réduire nos coûts de production sans toucher à la sécurité et à la qualité de notre produit. Ce qui va nous permettre d'être plus compétitifs et d'être en mesure de faire face aux aléas du marché international qui est très dynamique et répond aussi à des impératifs conjoncturels. Une petite reprise des prix est y attendue, mais elle sera de courte durée et nous en sommes conscients. Il faut donc jouer sur le volume et la diversification des produits exportables bien que les CAN 27 et UAN soient des marchés spot (les contrats ne sont pas à long terme)», rassure M. Bounour. Accroître le volume global de la production d'au moins 40%, nous a-t-on dit, est une bonne chose, mais encore faudrait-il avoir des capacités à la hauteur de ses ambitions. Le chemin est certes laborieux, admet notre interlocuteur. Néanmoins, poursuit-il, «nous sommes pleinement engagés pour y arriver». Par quel moyen ? Le «revamping», ce projet d'envergure qui consiste en la rénovation/modernisation et expansion industrielle dont devraient faire l'objet les trois unités de l'entreprise : Arzew I, Arzew II et le site d'Annaba. Projet nécessitant des investissements non négligeables ; plus de 360 millions de dollars financés localement sans avoir recours aux actifs ibériques, selon les Espagnols. «L'unité I d'Arzew — entrée en production en 1970 — a déjà été rénovée suivant la technologie Chemico pour plus de 28 millions d'euros. Le revamping des deux autres unités (Arzew II — entrée en production en 1981 — et Annaba — en1986 — avec les technologies Kellog et Chemico) devrait intervenir fin 2017. L'étude d'engineering étant à sa phase finale. Une fois finalisée (2018), la rénovation totale des trois unités dotée chacune d'une capacité nominale de 1000 t/jour devrait permettre à Fertial de produire jusqu'à 1 230 000 t/an, à des coûts raisonnables et avec la réduction de la consommation spécifique de gaz naturel d'au moins 16%. Un ensemble de facteurs des plus favorables à même de la hisser au rang d'acteur de référence en termes aussi bien de capacité de production, de rentabilité que d'efficacité», renchérit avec fierté M. Bounour. «La confiance dans l'avenir de la société est absolue vu les investissements importants déployés dans la rénovation complète des unités de production d'ammoniac et d'engrais», estime, pour sa part, le partenaire espagnol. Aux yeux de nombre de pétrochimistes, grands connaisseurs des arcanes du monde des fertlisants, GVM, à l'instar de ses pairs d'autres secteurs et d'autres horizons est loin d'être un philanthrope. Tous ces investissements, auxquels il faut ajouter les plus de 211 millions d'euros qu'il a déjà injectés depuis 2006 dans tous les domaines opérationnels de l'entreprise, dépassant largement les sommes convenues dans l'accord scellé avec nos compatriotes en 2005 (toujours d'après GVM), constituent pour lui un enjeu fort déterminant : «L'Algérie dispose d'importants gisements de gaz naturel, le plus important pour le secteur, à des prix très compétitifs… La proximité géographique entre les deux pays nous permet d'obtenir des synergies logistiques importantes», reconnaissait-il d'ailleurs dans l'un de ses communiqués. Mieux, Fertial, qui exporte entre 600 000 à 700 000 tonnes d'ammoniac, est le seul fournisseur de toute la demande de Fertiberia et d'Adubos, sa filiale portugaise. La première étant détenue à hauteur de 99,83% par GVM. Aussi, c'est par l'acquisition de Fertial (2005) et d'ADP Fertilisantes au Portugal (2009) que ce dernier avait étrenné son processus d'internationalisation, l'un des axes principaux de son décollage spectaculaire car lui offrant «un accès direct et hautement compétitif aux matières premières nécessaires dans les procédés de fabrication d'engrais chimiques», fait ressortir le rapport annuel de Grupo Fertiberia (2015). D'où l'optimisation de la commercialisation des produits industriels générés dans les procédés de fabrication des engrais et des matières premières employés dans d'autres industries. «Ce qui, à l'époque, était une ligne commerciale résiduelle, constitue aujourd'hui une activité-clé pour la société. Une croissance générale basée principalement sur l'exploitation de l'ammoniac et de ses dérivés. Des secteurs industriels dans lesquels le groupe est, aujourd'hui, l'un des principaux acteurs sur la scène internationale», se félicite-on dans le même document. Grupo Fertiberia est aujourd'hui un redoutable colosse de l'industrie pétrochimique : le 2e groupe chimique de la capitale de la péninsule ibérique et leader incontesté dans le secteur des engrais, de l'ammoniac/dérivés dans toute l'UE et trône sur l'ensemble du pourtour méditerranéen. Tout est dit !