El Achiq, de Amar Sifodil, tente de raconter l'histoire d'un meurtre d'un jeune artiste algérien, accusé de collaboration avec la France, à Constantine, à une semaine de la visite du général Charles de Gaulle, en 1958. La Louma voyage au fond des gorges du Rhumel et s'attarde sur les eaux limpides qui coulent avant de découvrir lentement un cadavre d'un jeune homme gisant à plat ventre sur une roche. Mais qui est-il donc ? Amar Sifodil, qui adore les enquêtes policières, entame sa nouvelle fiction El Achiq, projetée en avant-première nationale samedi 25 février à la salle Ibn Zeydoun à Alger, à la façon d'un polar. Tout le film, dont le scénario a été écrit par le chercheur en histoire Abdelmadjid Merdaci, est en fait construit sur l'idée d'une double enquête. Il y a d'abord celle du commandant Corbin (Laurent Gernigon) agissant au nom des services de sécurité de l'armée française. Le militaire ne semble pas convaincu par la thèse de l'assassinat, le 24 septembre 1958, de Mohamed Salah Benmessebah, jeune chanteur de malouf connu aussi par le surnom d'«El Achiq», considéré comme un ami loyal de la France. En mai 1958, El Achiq a participé aux fameuses manifestations de fraternisation. Ce qui est un signe de sa loyauté. La même année, Lakhdar Benabdelli, qui rédigeait une revue de la presse arabophone à l'administration coloniale, fut également tué. Et, il y a ensuite l'enquête que mène le commissaire Khodja Benabdellatif (Aziz Boukrouni). Admis à la retraite, ce commissaire principal, qui a réellement existé à Constantine probablement sous un autre nom et qui est le deuxième algérien à avoir ce grade après Mahieddine Tolba, est sollicité par les Français, mais également par le FLN à travers le médecin Lahcen Benazouz, chargé des liaisons et du renseignement dans la zone autonome de Constantine ville. Comment peut-on s'intéresser à la mort d'un homme en pleine guerre ? Cela peut paraître absurde, surtout que les paras français s'étaient habitués aux exécutions extrajudiciaires au moment où le FLN/ALN montait en puissance. La mémoire constantinoise a retenu l'exécution de Fatima Rachi et de Bachir Bendekoum en juin 1958. De fil en aiguille, le commissaire Khodja, qui a la confiance des deux parties, va découvrir «le secret» de l'assassinat d'El Achiq, qui était apprécié en tant qu'artiste, notamment par les juifs de Constantine. L'assassinat a eu lieu une semaine avant la venue du général de Gaulle à Constantine. Les enjeux politiques et sécuritaires étaient donc nombreux à l'époque et l'enquête devait être bouclée rapidement. A Constantine, de Gaulle devait tenir son fameux discours du 3 octobre 1958. Discours repris partiellement dans le film de Sifodil en s'appuyant sur les archives de l'époque. Les passages les plus significatifs n'ont pas été retenus. Le contexte des manifestations pro «Algérie française» à Constantine n'a pas été suffisamment expliqué, surtout que le film est supposé raconter une histoire construite sur des faits réels. Les dialogues, parfois surchargés et répétitifs, ne peuvent pas tout dire. Souvent verbeux, le film manque d'action, perd souvent le rythme, tombant dans une narration lourde. Le problème est que le résultat de la double enquête, supposée aboutir à la fin, est dévoilé rapidement. Après de petits moments de suspense, comme le veut la tradition du polar, le cinéaste n'a pas pu éviter le cliché dans les scènes sur les moudjahidine avec un Ahmed Rezzak figé dans une interprétation caricaturale, déjà montrée dans le film Krim Belkacem d'Ahmed Rachedi. «J'ai pourtant tout fait pour ne pas tomber dans le cliché. Finalement, c'est presque impossible de s'en éloigner. Avec les films de guerre que nous avons vus sur l'histoire de l'Algérie, c'est devenu un costume officiel. Si j'avais imaginé montrer les moudjahidine sans kachabia, il y aurait eu quelque chose qui clochait dans l'image», a reconnu Amar Sifodil. Personnage présent-absent Youcef Sehaïri, qui semblait perdu dans le personnage d'un boxeur plutôt raffiné, jouait à la manière d'un débutant dans une sitcom de télévision sans aucune épaisseur ni aucune créativité. Il y a une grosse erreur de casting dans le film de Amar Sifodil qui a fait qu'un déséquilibre est apparu à l'écran entre l'interprétation des comédiens français et les comédiens algériens. Seul Aziz Boukrouni, qui a eu enfin son premier rôle principale, a réussi à convaincre avec une interprétation maîtrisée de son personnage. «Quand j'ai lu le scénario, j'ai tout de suite pensé à lui. Il a la carrure, la voix et le charisme du personnage. Aziz Boukrouni a joué dans mes deux précédents films», a relevé le cinéaste. Ahmed Talantikit, qui est à son premier film en tant que directeur photo, a veillé à donner des images épurées, trop même ! Cela a une explication : Talantikite vient de l'univers de la publicité. El Achiq, personnage présent-absent, n'est pas assez mis en valeur. «J'aurais mis la photo d'El Achiq sur l'affiche. On s'attend à voir une histoire sur le personnage et, au final, on découvre autre chose. Le personnage est omniprésent, mais à travers l'enquête policière. C'est un point que je trouve intéressant dans le scénario», a souligné le cinéaste. Le scénariste n'a pas pris soin de situer ce personnage qui a probablement marqué l'histoire culturelle de Constantine sans qu'il soit connu ailleurs en Algérie. Autre faille : le point de vue français dans l'affaire El Achiq domine dans le film, alors que l'action du FLN est tenue dans la périphérie. Moins d'une semaine avant la venue de de Gaulle à Constantine, une importante bataille a été menée par l'ALN à Kerkera, dans le nord constantinois. Elle n'a pas été évoquée dans le film malgré le lien qu'elle avait avec la venue du chef d'Etat français à une période politiquement sensible. El Achiq, produit par le Centre algérien pour le développement du cinéma (CADC) avec une production exécutive de Issam Prod, fait partie des films retenus pour la manifestation «Constantine, capitale de la culture arabe».