Scène du film Il a été projeté cette semaine à la salle Ibn Zeydoun en présence de l'équipe artistique et du réalisateur qui s'est prêté allègrement au jeu des questions-réponses lors du débat avec le public. Le film commence par une image d'Epinal d'un chanteur emblématique du Constantinois des années 1950. Nous sommes encore en pleine guerre d'Algérie. Cet artiste bien-aimé par la communauté algérienne y compris par les Français s'appelle Mohamed Saleh Benmesbah, alias El Achiq. Son corps est retrouvé gisant au bord d'un précipice au-dessus du fameux grand pont de Constantine. «Un film de fiction historique, magnifiquement écrit par Abdelmadjid Merdaci, réalisé avec efficacité par Amar Si Fodil et servi par d'excellents acteurs.» Voilà comment est présenté ce second long métrage de Amar Si Fodil par la boîte Issam prod. Parmi la brochette d'acteurs qui va se distinguer dans ce film, il y a assurément Aziz Boukrnou, qui interprète le rôle d'un commissaire de police à la retraite. La mort de ce jeune homme suscite en lui moult interrogations. Il était à peine plus âgé que son fils, c'était même son voisin. Cela suffit à notre commissaire de vouloir chercher à comprendre les motifs de son assassinat et surtout à aller enquêter pour trouver le coupable. Les rumeurs disent que c'est le FLN qui s'est débarrassé de cet homme trop proche des Français. Un assassinat qui intervient à une semaine d'intervalle avant l'arrivée du général de Gaulle qui entend faire des déclarations surprenantes au peuple algérien. A côté, la France est en état d'alerte d'autant plus que les aficionados de l'Algérie française se préparent aussi à de grandes manifestations dans le pays. Rien ne va plus. C'est dans ce contexte un peu chaotique que les officiers français et le commissaire algérien à la retraite vont se mettre à mener l'enquête jusqu'à s'entrecroiser. Le commissaire des RG souligne que cette mort est celle de la deuxième personnalité musulmane amie de la France qui est visée après l'assassinat au début de l'été de Lakhdar Benabdeli, auteur notamment d'une anthologie des poètes constantinois et rédacteur, pour le compte de l'administration, d'une revue de la presse arabophone sur la guerre d'Algérie. «A qui s'adresse le message de l'exécution de ce jeune artiste? Aux Algériens tièdes ou réservés ou à ceux qui avaient choisi la France?» lit-on dans le synopsis. On aurait pu croire que ce film dont le ton relève du polar et se déroulant comme un film policier allait nous rappeler qui était El Achiq et nous pousser, nous spectateurs à faire notre propre idée à la fin sur sa personnalité et sur ce qui l'a conduit à être condamné et par qui, mais rien de tout cela n'arrivera. Ce jeune sera absent tout au long du film. Si les acteurs sont bons dans leur jeu, le scénario, lui, manque cruellement d'arguments et d'épaisseur. Il nous serre juste à la fin sur un plateau d'argent le visage des deux tueurs de El Achiq qu'on finira par abattre. Et le commissaire de souligner qu'après avoir minutieusement enquêté parmi des gens de tout bord, pas spécifiquement parmi le FLN- nous ne le verrons jamais- que ce jeune artiste était en quelque sorte un Robin des Bois puisque l'argent qu'il récoltait auprès des Français lors de ses concerts notamment, il le distribuait au FLN. Si le musicien est présenté au départ comme un simple passionné de musique et rien d'autre, l'on finira par lui endosser un rôle plus grand sans même que le film nous le montre ou le suggère en images. Car, en effet, il aurait été intéressant pour que le spectateur prenne en sympathie ce jeune homme, de le montrer ne serait-ce qu'en flash-back par instants dans les moments forts de son parcours et entre autres durant ses exploits auprès du FLN. Or, on ne cessera de louer ses mérites héroïques tout au long du film sans savoir pourquoi. Si l'histoire de ce film est bien intéressante à bien des égards, les dialogues et le discours ont pris beaucoup plus de place sur le reste. Or, le cinéma c'est avant tout l'image et il manquait cependant l'émotion pour nous faire apprécier El Achiq à sa juste valeur. Même si ce film nous a permis d'entendre parler d'un héros mort pendant la guerre, il n'en demeure pas moins qu'il continuera à hanter nos esprits comme une simple photo en noir et blanc tant le film a échoué à le ramener parmi les morts. Ce sera encore un film de plus sur nos héros tels que racontés dans les manuels scolaires et la représentation n'aura d'égale que ces sombres témoignages approximatifs sans donner pour autant chair et consistance humaine à ce dernier hélas! El Achiq meublera notre mémoire comme une vague image abstraite. On entendra parler de lui sans jamais le voir. Ce qui est une faute regrettable. De cette façon, le réalisateur ne fera que perpétuer malgré lui le mythe des héros de notre Histoire..