A l'heure où les bons contribuables font face à une pression fiscale qui est montée d'un cran depuis la mise en œuvre des dispositions fiscales de la loi de finances 2017, les affaires prospèrent toujours dans les circuits invisibles de l'économie, profitant d'une passivité criante des institutions en charge de la répression de la fraude, de la fuite et l'évasion fiscale, de l'informel… N'est-ce pas là une forme d'injustice face à l'impôt ? Effectivement, depuis deux ans, les ménages populaires algériens qui ont peu de moyens d'échapper à l'impôt ont beaucoup plus contribué à la consolidation budgétaire que le reste des contribuables. En effet, la hausse successive de la pression fiscale et parafiscale a clairement alourdi les impôts des bons contribuables. Ceux-ci ont supporté rien que pour la fiscalité ordinaire dans la LF-2017 une augmentation de 12,1% par rapport à la LF-2016. Or, il est indéniable que cette augmentation de 340 milliards de dinars sera supportée quasi-exclusivement par ces mêmes ménages de manière directe ou indirecte via l'augmentation des prix à la consommation. A contrario, le gouvernement n'a pas engagé de réforme fiscale pour mettre fin à la plupart des exonérations et niches fiscales actuelles qui favorisent les ménages les plus aisés ou certaines entreprises détentrices du monopole. De même, le gouvernement n'a engagé aucune mesure sérieuse pour augmenter le rendement des impôts et taxes existants ou renforcer les capacités de collecte afin de réduire la fraude fiscale. Pis encore, on peut aisément constater que les circuits informels profitent de l'augmentation de la fiscalité pour augmenter leurs marges, alors que ceux-ci ne subissent quasiment pas d'imposition. La LF-2017 est confiscatoire vis-à-vis du bon contribuable puisqu'elle a été à l'encontre du principe de l'égalité des contribuables devant l'impôt. Celui-ci aurait dû consister à une répartition plus juste de la charge fiscale et de favoriser une égalité des sacrifices financiers. L'Exécutif multiplie les initiatives à l'adresse des capitaux circulant dans les réseaux informels : mise en conformité fiscale volontaire par-ci, emprunt obligataire proposant des bons anonymes à l'avantage desdits capitaux par-là. Le ministère des Finances dit travailler sur de nouvelles offres et des produits financiers et bancaires dont la rémunération serait indexée au taux de croissance. Pensez-vous que la méthode douce serait la plus appropriée à même de bancariser l'économie informelle ? Les mesures d'amnistie fiscale mises en œuvre par l'Exécutif depuis deux ans ont obtenu des résultats plutôt mitigés. De plus, l'objectif premier qui consistait à bancariser l'informel est un échec. Ce type de mesures peut être en théorie une bonne solution. En effet, des opérations ont réussi en Belgique, en l'Italie et au Maroc. Toutefois, ces exemples restent rares. L'échec de nos amnisties n'est donc pas une exception. Ce qui est exceptionnel, c'est d'avoir rémunéré cette amnistie au travers des taux d'intérêts. Pis encore, le ministre des Finances souhaite continuer dans cette voie. A mon avis, la contribution aux charges publiques devrait être au cœur du pacte républicain. Instaurer une prime à la fraude à travers des outils que vous évoquez est à la fois une erreur morale, mais également une faute en matière de gestion des finances publiques, surtout en période de disette budgétaire. Aujourd'hui, l'ensemble des pays de l'OCDE travaillent à la mise en place d'outils qui luttent contre la fraude et l'évasion fiscales grâce notamment à une amélioration de la législation, une meilleure organisation entre les administrations, une mise en œuvre de plus d'échanges d'informations, une montée en puissance du «data mining» (croisement de données). De plus, des outils extranationaux, comme la convention multilatérale concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale de l'OCDE, ont été mis en place. Faute de système efficient pour lutter contre la fraude, il serait probablement judicieux de changer de billets afin d'avoir une meilleure intégration dans le système bancaire, une disponibilité rapide de liquidités de l'informel et une réduction des effets pervers de l'économie souterraine. Comment expliquez-vous l'insensibilité des détenteurs de capitaux non déclarés parmi les mauvais contribuables aux appels incessants du gouvernement les invitant à déposer leurs fonds dans le canal bancaire ? D'un strict point de vue de gestion d'actifs ou d'épargne, les détenteurs de capitaux non déclarés sont des acteurs économiques aussi pragmatiques que les autres. La décision de bancariser leurs avoirs consiste en premier lieu à évaluer le niveau de confiance qu'ils peuvent avoir dans notre système bancaire et plus largement dans les politiques publiques avant d'en attendre des bénéfices tangibles sur le plan financier. Dans un contexte économique morose, le rapport de confiance est encore plus fragile. Cette défiance peut être accentuée par des faillites bancaires passées (Khalifa Bank notamment) mal gérées par les institutions du pays. De façon plus générale, les perspectives macroéconomiques de l'Algérie font peur et cela n'incite certainement pas des opérateurs à bancariser leurs avoirs. Il ne faut pas oublier que les épargnants grecs, malgré le soutien de la banque européenne, ont dû subir des opérations d'effacement de dettes, des fermetures de banques et une limitation des retraits bancaires durant plusieurs mois. Le détenteur de capitaux non déclarés est conscient que cela peut arriver en Algérie. En complément, il ne faut pas négliger également que ces détenteurs peuvent avoir des comportements déterminés par des données sociétales, voire religieuses. Pour lever ces freins, il est vital de mettre en œuvre des politiques publiques qui rassurent sur les perspectives du pays. En second lieu, nous devons améliorer les offres bancaires ou financières conformes aux préceptes de l'islam afin de répondre aux besoins non satisfaits par les offres bancaires classiques. Les bons contribuables sont appelés a contrario à mettre davantage la main à la poche dans le cadre d'une volonté naissante d'optimiser les recettes de la fiscalité ordinaire, faute de revenus pétroliers suffisants pour soutenir le budget de l'Etat. Pensez-vous que cette option serait payante tant il est vrai que la faiblesse de l'assiette fiscale et de sa structure risque de produire l'effet inverse ? Il est indéniable que le pouvoir d'achat des bons contribuables a largement pâti des politiques fiscales. Il est également certain que l'augmentation des impôts a conduit à l'appauvrissement des classes moyennes. A ce titre, il est légitime de s'inquiéter de l'éventuel choc fiscal que cela pourrait produire. Cette baisse du pouvoir d'achat aura-t-elle un impact sensible sur la consommation, donc sur la croissance, et par conséquent sur l'assiette fiscale ? A mon avis, à très court terme, il est probable qu'ils puisent dans leur épargne pour maintenir leur niveau de dépense. Cela aura donc des conséquences limitées dans un premier temps sur la croissance. Toutefois, la situation économique du contribuable est l'un des éléments majeurs de l'acte de fraude. Il est évident que plus le tarif de l'impôt est élevé, plus le contribuable est tenté de frauder. Autrement dit, nous risquons de fragiliser l'assiette de l'impôt par une augmentation de la fraude. En ce qui concerne la croissance qui influe directement sur l'assiette fiscale, il existe peu de liens vraiment établis entre le niveau de prélèvements obligatoires et le taux de croissance. Il y a toutefois un lien entre la structure des prélèvements et le taux de croissance d'une économie, selon une étude de l'OCDE. Cette étude montre que la taxe sur la consommation peut avoir un caractère pro-croissance ; et que la taxation sur la propriété immobilière reste de loin la meilleure forme d'imposition. Si le gouvernement avait choisi cette option, il aurait à la fois élargi l'assiette et la structure fiscales en évitant de taxer toujours les mêmes contribuables et, par la même occasion, ferait contribuer fiscalement les barrons de l'informel. De même, il aurait dû substituer la hausse de la TVA par la TVA sociale afin de booster le pouvoir d'achat, et donc la croissance, ceci en améliorant la compétitivité des entreprises nationales.