Voter, la belle affaire ! Qu'est-ce qui inciterait les Algériens à se rendre en masse au scrutin législatif du 4 mai prochain, eux qui n'ont jamais su ce qu'est un Parlement, un vrai de vrai, celui qui contrôle les gouvernants et veille sur les deniers et aux intérêts de la collectivité ? Le peu qu'ils savent de ce «machin-là», vaguement, au gré des images vues à la télé, c'est ce bel immeuble du centre d'Alger qui abrite en son sein quelques centaines de personnes appelées «nouwab» (députés) qui, tous les quatre ans, viennent se rappeler au bon souvenir des citoyens. Des gens qu'on aperçoit toujours dans les JT, les mains levées, haut et fort, et dont le speaker dit que c'est pour dire «oui» à une loi gouvernementale. Perdues dans la masse unanimiste, de petites formations et quelques personnalités indépendantes essaient un tant soit peu de faire leur job. On les a vu ruer dans les brancards lors du débat sur la loi de finances 2017, en vain comme d'habitude. Leur présence finalement n'est qu'un alibi démocratique. Le palais Zighout Youcef n'a jamais renversé de gouvernement, ni mis fin à un scandale public ou pris l'initiative d'une grande loi, et cela dure depuis l'indépendance. Ben Bella inaugura la mise au pas du Parlement, suivi de Boumediène et Chadli, qui le cédèrent avec armes et bagages au FLN parti unique pour en faire une machine à défendre le système politique et domestiquer la société. Est venu à son secours le RND, un parti créé par l'administration — et donc du pouvoir — auxquels se sont adjoints quelques partis satellites, tels les islamistes du MSP, le temps des alliances éphémères autour du président de la République. Le Parlement a failli tomber entre les mains du FIS avant que les militaires mettent le holà. Les longues et douloureuses années du multipartisme ainsi que toute la résistance politique contre l'intégrisme et le système en place n'ont pas permis à l'Algérie de se doter d'un vrai Parlement. Le pays est aujourd'hui sous le coup d'une double peine : en l'absence d'une vraie représentation nationale élue, compétente et engagée chargée de le défendre — par la loi, par le contrôle et même par la destitution —, il est livré pieds et poings liés aux agissements de l'Exécutif politique. En même temps, l'Algérie est condamnée à subir le spectacle de gens affublés du titre de député qui parlent et agissent en son nom, mènent un train de vie indécent, s'offrent des avantages exorbitants, y compris en temps de disette. Des gens qui n'hésitent devant rien pour siéger au palais Zighout Youcef, acheter des voix par chkaras (gros sacs de billets), faire vibrer la fibre tribale et régionaliste et recourir à la menace et à la violence. Ils sont plus de 6000 étiquetés FLN à partir à l'assaut du scrutin prochain. Soumis au tamis de la sélection par leur chef, Ould Abbès, successeur de l'inénarrable Amar Saadani, par la volonté présidentielle, quelques centaines d'entre eux obtiendront le jackpot : un salaire mirobolant, une retraite spéciale en or, une proximité avec le pouvoir qui permettra de s'assurer des impunités, d'en tirer des avantages personnels ou carrément de faire des affaires. En plus de leur travail «classique» de soutenir contre vents et marées l'Exécutif et de contrer systématiquement l'embryon d'opposition, ils devront préparer la «présidentielle» de 2019 en suivant scrupuleusement la feuille de route du chef de l'Etat. Pour cela, ils bénéficieront d'un traitement spécial, politique et financier, encore plus avantageux que celui auquel ils ont eu droit jusque-là.