Omsk. Décembre 1958. Une délégation du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) rencontre, dans un hôtel de la ville de Sibérie, Enrico Mattei, président de l'Eni, société nationale italienne des hydrocarbures. Parti de Pékin, l'appareil où étaient embarquées les deux délégations a été contraint par les conditions météorologiques à atterrir sur l'aérodrome de la ville sibérienne. D'abord intimidés par la stature de l'industriel italien, déjà fort connu, les ministres du GPRA (Saad Dahlab, Benyoucef Benkhedda et Mahmoud Cherif) engagent la discussion avec le sémillant personnage. «Le premier à lancer la discussion était Dahlab. Mattei voulait connaître qui étaient ces Algériens. Ils ont parlé de la Révolution et de l'aide qu'il pourrait leur apporter», rappelle en substance Abdallah Cheghnane, directeur des Editions Dahlab, qui vient de publier un ouvrage pionnier sorti dans sa version italienne en 2012 : L'Italie et la guerre d'Algérie (1954-1962). La rencontre fortuite sur la rivière Irtych «par -44°» et d'autres épisodes sont rappelés dans l'ouvrage très documenté de Bruna Bagnato, présenté samedi au palais de la culture Moufdi Zakaria par l'auteure et directrice de l'Institut culturel italien d'Alger, Maria Battaglia. Professeure d'histoire des relations internationales à l'université de Florence, Bagnato précise dans sa présentation que les relations avec les combattants du FLN n'ont pas commencé avec l'épisode d'Omsk et les rencontres ultérieures du visionnaire Mattei avec ses interlocuteurs, mais ont impliqué dès le début de la guerre d'autres acteurs politiques et de la société civile. L'Italie «n'a pas attendu la rencontre de 1958 pour prendre position pour la Guerre d'Algérie. Il y a déjà le refus de participer au plan de recherche du pétrole au Sahara», soutient Bagnato, qui détaille dans son livre les ressorts de diplomatie de l'ENI, la vision apaisée que voulait le chrétien Mattei des relations avec les pays du Sud, les recompositions de la classe politique italienne et ses relations officieuses avec les représentants du peuple algérien. Le Beretta de Boulahrouf L'engagement des Italiens s'est manifesté dès 1955 avec l'organisation de manifestations en faveur de la Guerre d'Algérie. En novembre 1957, Il Giorno, qui appartient à Mattei, publie un éditorial du directeur Gaetano Baldacci sous le titre «A qui appartient le Sahara ?» Baldacci écrit que la France n'a d'autre choix que de «traiter avec les pays qui tiennent entre leurs mains le robinet du pétrole... D'où la nécessité, reconnue par les Français de bon sens, d'un accord politique général avec les pays indépendants de l'Afrique du Nord et d'une paix véritable en Algérie». De son côté, le quotidien indépendant Il Tempo publie un entretien avec Ferhat Abbas où le président du GPRA reconnaît l'influence sur les indépendantistes de la Risorgimento (Renaissance). Du 2 au 8 décembre 1960 se tient La Semaine de l'Algérie avec l'organisation de plusieurs manifestations dans les villes italiennes. Début 1961, un comité italien pour la paix en Algérie se met en place pour œuvrer «en faveur de la paix et de l'indépendance de l'Algérie». Le comité édite pendant une année la revue Algeria. Dans la galerie des personnalités qui ont contribué à renforcer les liens avec l'Algérien en armes figurent les différents présidents du Conseil, Giuseppe Pella, Amintore Fanfani, Mario Scelba et le député-maire de Florence, Giorgio La Pira. Cheville ouvrière dans la relation, Tayeb Boulahrouf avait des contacts avec les autorités institutionnelles et organisationnelles et a bénéficié de leur protection. Envoyé spécial du GPRA à Rome, le futur ambassadeur d'Algérie dans cette ville a vu sa 403 exploser au bas de son immeuble à Rome, avant de recevoir de la main du ministre de l'Intérieur, Tambroni, un 7,65 Beretta et un permis de port d'arme. Pays engagé dans un processus d'unification européenne, l'Italie, qui est sortie affaiblie de la Seconde Guerre mondiale, n'a pas renié ses liens avec la France, mais saura apporter un soutien essentiel aux Algériens.