«L'élimination d'Enrico Mattei et de Salah Bouakouir est le fait des services spéciaux français parce qu'ils étaient soupçonnés d'être la source du GPRA !» a affirmé hier, sans ambages, le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, Daho Ould Kablia, à l'ouverture du colloque international consacré à l'illustre personnage italien qui compte parmi les plus fervents défenseurs étrangers de la cause nationale. Une rencontre organisée par l'ambassade d'Italie en Algérie, en collaboration avec l'Institut culturel italien et les archives nationales. Interrogé en marge de la rencontre par la presse sur ses dires, le ministre a précisé que, même s'il n'existe pas de preuves formelles pouvant les corroborer, il n'en demeure pas moins que «les services spéciaux français ne s'embarrassaient pas de scrupules pour éliminer tous ceux qui venaient en aide à la cause algérienne». Lors de son exposé en plénière, Ould Kablia a noté que, si la personnalité d'Enrico Mattei était bien connue chez elle en Italie, ce n'est pas le cas en Algérie, d'où son souhait d'apporter son témoignage sous l'angle du GPRA qui avait bénéficié d'un soutien inestimable de Mattei. «Nous avons recueilli beaucoup d'informations grâce à Mattei, ses principaux contacts étaient Boulahrouf, Mohamed Yazid, Abdelhafid Boussouf, Ferhat Abbas…» rappelle l'intervenant avant de faire savoir à l'assistance que Mattei avait demandé à Boussouf que ce dernier l'introduise auprès de l'ancien président libyen Driss Senouci, ce qui a permis à Mattei de signer des contrats pour la société d'hydrocarbures qu'il dirigeait, à savoir l'ENI. Le ministre notera en outre que ce dernier avait mobilisé toute l'Italie pour la faire adhérer à la cause algérienne au point que ce pays est devenu celui qui comptait le plus de soutiens aux militants algériens. Une remarque qui fera réagir l'historien Daho Djerbal pour rappeler que le soutien de l'Allemagne et de la Suisse n'était pas moindre. L'apport de Mattei pour les révolutionnaires algériens était tel qu'il avait pris de court les colons français s'agissant des renseignements liés à la fiche signalétique aux entreprises opérant dans le Sud algérien, considéré comme une partie séparée du reste de l'Algérie. Professeur d'histoire des relations internationales à l'université de Florence, Bruna Bagnato a choisi d'intervenir sur le thème de «la politique de Mattei envers les pays producteurs et les rapports avec l'Afrique du Nord». Elle fera savoir alors que Mattei avait fermement refusé les offres de collaboration que lui avait proposées l'ambassade de France en Italie en sa qualité d'ex-patron de l'ENI : «Il estimait qu'il fallait négocier avec l'Algérie indépendante et non pas avec la France coloniale», précisera-t-elle avant de rappeler que cette vision des choses était partagée par des personnalités de gauche, à l'instar de Jean-Paul Sartre. Tout en ayant des liens directs avec les dirigeants du FLN, Mattei contribuait matériellement à préparer l'indépendance de l'Algérie, dira-t-elle, et ce, à travers la formation des futurs cadres algériens en hydrocarbures. Pendant la révolution, il avait proposé au FLN de lui fournir gratuitement du carburant depuis les frontières marocaine et tunisienne. Car «Mattei était convaincu de l'imminence de l'indépendance de l'Algérie», a-t-elle conclu. Mario Pirani a été journaliste et a collaboré avec Mattei en Afrique du Nord. Ce dernier lui avait demandé d'assurer le lien avec le GPRA à Tunis en 1961 au moment où leur pays, l'Italie, était lié à la France par l'Alliance atlantique. Dans un témoignage filmé, Pirani raconte comment Mattei avait perçu le projet du gazoduc de façon paritaire entre les trois partenaires, l'Italie, l'Algérie indépendante et la France. «Il ne voulait pas tomber dans le piége du protectionnisme français et concevait le projet comme pour la politique énergétique, c'est-à-dire 75% pour les pays producteurs et 25% pour la compagnie», raconte-t-il. Certains intervenants ont saisi l'occasion de ce colloque pour aborder quelques aspects liés à la glorieuse révolution nationale. Ainsi, le directeur général des archives nationales, Abdelmadjid Chikhi, choisira d'évoquer les accords d'Evian sous l'angle de la perception qui en était faite aussi bien par les Français que par les Algériens au moment de leur signature. Abdelhamid Mehri a tenu, quant à lui, à apporter un éclairage sur Abdelhamid Boussouf à propos duquel il dira que c'est «un grand homme d'Etat qui avait la sagesse de poser les questions d'avenir sur le GPRA, il avait formé des cadres pour gérer l'après-indépendance». A noter, enfin, qu'une exposition se tient dans l'un des halls de l'hôtel El Aurassi, lieu du colloque, alors qu'un concert de musique classique aura lieu ce soir, dès 18 h, à l'Institut culturel italien, pour accompagner l'événement. M. C.