Rachid Berkani est un petit vieux briscard du chaâbi. C'est un enfant des venelles de La Casbah. Il est chanteur, instrumentiste et compositeur. Pour ceux qui ne le connaissent pas, c'est ce joueur de oûd (luth) à l'élégance latine de l'affiche du film El Gusto. Lui, c'est Rachid Berkani. Rachid Berkani est populairement chaâbi. Car il s'affiche dans le fameux film documentaire El Gusto - dans la même veine que Buena Vista Social Club - de Safinez Bousbia, qui n'est plus à présenter. Sur l'affiche d'El Gusto, il incarne la «chaâbie attitude» (dzaïr leqdima, Alger l'ancienne), l'univers de ce genre musical, avec en prime cette touche raffinée et fringante algéroise. Rachid Berkani, est ce loup blanc d'Alger. Un personnage. Quand on le rencontre, on est tout de suite séduit par ce jeune «Cheikh», jurant avec la gérontologie. Il est toujours vert. Cette aura dégageant une grande générosité, forçant le respect. Et puis, cette espièglerie au coin de l'œil. Cette éternelle jeunesse. «Je suis un fils de La Casbah. J'y ai grandi. Avec la musique des maîtres du chaâbi. El Hadj M'hamed El Anka, Hadj M'rizek, Khelifa Belkacem…La Casbah est le berceau de grands artistes et musiciens. J'habite Bouzaréah, actuellement, mais je descends régulièrement à La Casbah, où j'ai passé ma jeunesse…» Rachid Berkani est aussi ancien moudjahid. Il a participé à la Révolution anticoloniale française. D'ailleurs, il sera emprisonné pendant quatre ans. Mais la musique l'a toujours accompagné. Une présence mélomane permanente. Farid El Attrache, Naâma, Safia Chamia… La musique chaâbie, Rachid Berkani l'a habitée depuis sa tendre enfance. Une passion communiquée et transmise par son défunt frère, Abderrahmane Berkani, un grand maître du oûd (luth). «Je prenais le oûd de mon frère Aberrahmane et je m'essayais à cet instrument. J'étais amoureux du chaâbi. Depuis, je maîtrise plusieurs instruments. En plus du luth, je joue de la mandole, de la guitare…» Et de surcroît, il est auteur et compositeur. L'on peut citer le titre Khafi Men Allah, Ya Ghazali Rak. Epris de poésie populaire, il mettra en musique la qacida (texte) Besmellah Ya Krim. Il dirigera même l'orchestre de la RTA (Radiotélévision algérienne), Et ce, durant…38 ans. Rachid Berkani a une riche et dense vie artistique. Des souvenirs plein la tête. Il nous exhibera, fièrement, de précieuses photos en noir et blanc. Prises avec Farid El Atrache, qui l'a invité durant un mois chez-lui, Naâma, la g‹rande chanteuse tunisienne, celle qui est connu par le succès Gadek Babor, Ali Riahi, Safia Chamia ou encore Reda El Kalaï, le chef d'orchestre de la Radio nationale tunisienne. C'est que Rachid Berkani est très estimé et apprécié en Tunisie. «Partout où j'ai été, on aime les Algériens». El Gusto tour Figure de proue du film El Gusto. Pour lui, ce fut une belle et inoubliable aventure. Il se souvient très bien du jour où une certaine Safinez Bousbia lui avait téléphoné pour un éventuel projet…El Gusto. Cela est resté gravé à jamais dans sa mémoire. «Dès qu'on a discuté avec Safinez Bousbia, j'ai tout de suite senti quelqu'un de merveilleux. De sincère et d'honnête. Il y avait un feeling. Quand elle a écouté ma chanson intitulée Ya Min Djit Aândi Zaïr, elle est aussitôt tombée amoureuse d'elle. Et on a entamé les répétitions avec de nombreux musiciens et chanteurs. On a bossé durement. Elle était à cheval sur tout. C'est qu'elle était intraitable lors des répétitions. On était de tout cœur avec elle. Grâce à cette fille, la chanson algérienne, le chaâbi, a dépassé les frontières. Grâce à El Gusto, nous avons donné une belle image de l'Algérie à l'étranger. Vous savez, j'étais un artiste. Un ambassadeur du peuple. Dans le monde..., aux Etats-Unis, à Los Angeles, Washington ou San Francisco. Où El Gusto a eu énormément de succès. Le film et la formation El Gusto avaient séduit non seulement la communauté algérienne, mais aussi les Américains, qui étaient curieux de savoir d'où venait cette musique, le chaâbi. Au Canada, Maroc, Tunisie, Suisse, Suède, Norvège, Pays-Bas…C'est grâce au film El Gusto que j'ai pu donner des interviews partout dans le monde…Au sein d'El Gusto, il y a des anciens, comme les chanteurs Abdelmadjid Meskoud, qui va reprendre, Abdelkader Chercham, Robert Castel, Luc Cherki, un élève de Hadj M'hamed El Anka, ‘‘oulid (fils) de Zoudj Ayoun''. Quand vous vous adressez à Robert Castel, il faut lui parler en arabe. Car enfant de Bab El Oued. Il y avait entre nous une fraternité, une sincérité. Avec El Gusto, je me suis senti revivre… ». Khaled m'a fièrement félicité La plus grande fierté de Rachid Berkani fut le jour où il a reçu une distinction. Une médaille. La médaille de la Fraternité. Au siège de l'Unesco, à Paris. Une certaine journée mémorable. Le samedi 15 juin 2013. Une initiative de l'association Uniame, dont le slogan est : «Unissons nos âmes». Et ce, devant un aréopage constitué d'hommes de culture, notamment l'écrivain Yasmina Khadra. «A l'issue de la cérémonie de remise de cette médaille honorifique, le king du raï, Khaled, est venu me congratuler : ‘‘Tu as honoré l'Algérie et le peuple algérien. Et cela, m'a beaucoup ému et surtout touché. Le regretté El Hadj Mohamed Tahar Fergani m'a aussi félicité. Ils étaient tous contents…de moi. Pour moi, cette médaille, c'est le fruit d'El Gusto. C'est grâce à El Gusto. C'est un honneur que de représenter l'Algérie à l'étranger à travers le châabi. C'est encore une fois, une fierté pour l'Algérie…Je ne m'attendais pas à être honoré à l'Unesco devant une salle archicomble. C'est grâce à Safinez Bousbia et au film El Gusto. Merci ! ». NUL N'EST PROPHèTE EN SON PAYS Mais nul n'est prophète en son pays. Rachid Berkani, penaud, nous confiera à propos des droits d'auteur : «J'ai demandé audience au directeur général de l'ONDA (Office national des droits d'auteur) quant à l'autorisation de membre de l'ONDA pour réintégrer la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, en France). Il m'a reçu et promis de régler cela. Depuis, c'est le silence. J'ai relancé ma demande par quatre correspondances. Aucune réponse. Je vais demander audience au ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, à cet effet…C'est malheureux, je suis honoré à l'étranger. Et dans mon pays… Je ne le suis pas. C'est une honte. Dommage…» Malgré cela, ce «chibani», Rachid Berkani, a bon pied bon œil. Il nous révélera le secret pour lutter contre la «gériatrie» : «C'est la marche quotidienne. La vie est un miroir. Si tu lui souris, elle te sourit. Il ne faut jamais perdre espoir. Il faut faire du bien, beaucoup de bien. Sinon, je m'adonne à la pêche à Bou Ismaïl. Et puis, je suis en contact avec la nature. La mer, la forêt…» La «coolitude» de l'esprit d'El Gusto. K. Smail