En concert exceptionnel dimanche soir au Musée d'art et d'histoire du judaïsme, El Gusto a, une fois de plus, conquis son public. Près d'un millier de personnes, juifs d'Algérie, du Maroc et de Tunisie, et Algériens, debout, assis par terre ou sur des tabourets pliants, dans la cour du musée, sont venus retrouver des artistes et une musique qui ont accompagné leur jeunesse ou celle de leurs parents et grands-parents. Une musique que juifs d'Algérie et Algériens ont en partage. Paris De notre correspondante
Depuis la création d'El Gusto en 2003, les «papys» du chaâbi, comme on les appelle affectueusement, se posent le temps d'un concert dans une ville, en France, mais aussi en Europe. A chaque fois c'est la communion avec le public, submergé de souvenirs et d'émotion. Le groupe d'artistes qui s'est produit, dimanche soir, au Musée d'art et d'histoire du judaïsme était composé entre autres de Rachid Berkani (luth), Mohamed El Mançour Brahimi (mandoline), Abdelkader Chercham (chant/mandole), Luc Cherki (chant/mandole), Mohamed Ferkioui (accordéon), Smaïl Ferkioui (piano), Mebrouk Hamaï (quanoun), Liamine Haïmoun (chant/mandole), Hamid Guendouz, (violon), Abdelmadjid Meskoud (chant/mandole), Paul Sultan (chant/clavier), Rédha Tabti (violon), Mustapha Tahmi (guitare). Robert Castel (chant/violon). Maurice Médioni n'était pas du groupe pour des raisons de santé. El Gusto n'est plus à présenter (nous renvoyons les lecteurs intéressés à tous les articles et reportages qu'El Watan lui a consacré). Par la volonté et la ténacité d'une jeune femme, Safinez Bousbia, des artistes juifs et musulmans, séparés par l'histoire, se regroupent en 2003, pour jouer et chanter ensemble. La plupart sont natifs d'Alger. Quatre sont juifs, les autres, une trentaine, sont Algériens. Le premier concert mixte a eu lieu à Marseille. Le 29 septembre 2007, le Palais omnisports de Bercy avait réuni, à l'initiative du maire de Paris, Bertrand Delanoë, plus de 10 000 personnes, pour une soirée de Ramadhan. L'orchestre El Gusto (33 artistes, dont 7 musiciens) se produit désormais sur les plus prestigieuses scènes musicales internationales, en France, en Norvège en Suède, en Belgique, en Suisse. Dans un premier temps, Safinez Bousbia voulait simplement retrouver des artistes de chaâbi d'Alger. Son initiative débouche rapidement sur des concerts, un film et un CD au bout de huit ans de travail, d'efforts et de difficultés de toutes sortes. Le film El Gusto relate cette recherche et cette réunion d'artistes dispersés en Algérie et en France, retirés de la musique pour plusieurs d'entre eux. Sur scène comme dans le film qui leur a été consacré, c'est la fête et la bonne humeur. La musique, quand elle est aimée du même amour, rapproche. Avec un public en symbiose et enchanté. Ne serait-ce le temps d'un concert. Quand on les voit et entend sur scène, on comprend le titre du film de Safinez Bousbia. L'histoire les a séparés, la musique les a réunis et leur correspond parfaitement. Voire, on a le sentiment qu'ils ne se sont jamais quittés, tant leur complicité est éloquente, pas du tout surfaite. «Sur scène, il n'y a pas un artiste, en particulier, mais un groupe», nous dit Luc Cherki, le chanteur de charme compositeur, en 1952 à La Casbah où il est né, de «L'Oriental» et de rappeler fièrement qu'il a accompagné les grands maîtres du chaâbi El Hadj M'hamed El Anka, El Hadj M'rizek, El Hadj M'naouer, qu'il a eu comme compagnons d'orchestre Skandrani et Abdelghani. Et il ajoute : «El Gusto, c'est ma joie de vivre, c'est ma vraie musique.» Meskoud le chahute gentiment, «Safinez, elle est balèze», un clin d'œil au travail de la jeune femme à l'origine du projet El Gusto. L'Algérie, et plus particulièrement Alger, est louée, chantée avec amour et respect. Robert Castel, le fils de Lili Labassi explique cet attachement par la chanson qu'il affectionne tant : «Ô Français de France, écoutez cette musique, écoutez la différence… C'est mon père qui me l'a donnée... C'est tout mon passé qui chante et qui danse. C'est l'Algérie qui chante. C'est l'histoire de ma vie. Elle vient de mon père, qui est au ciel et à qui je dis merci.» Lui succède cheikh Liamine avec Ya dzaïr ya hbibti, ya zinet el bouldane. Ou encore Abdelmadjid Meskoud avec la fameuse Ouled el Assima, encore Robert Castel avec Wahran el bahia, ou Luc Cherki avec Eli ihab yelaâb sport irouh lal Mouloudia, ali machhoura fi chamal Ifriqiya… «Galia Mouloudia, c'était notre dimanche. Alger je ne t'oublierai pas.» Le parcours d'El Gusto est symbole de paix. Et d'espoir, celui d'abord de pouvoir jouer ensemble en Algérie. Ce sera alors les véritables retrouvailles tant souhaitées. Le rêve pourra alors s'accomplir.