C'est un changement aussi brutal qu'inexpliqué à l'allure d'un «putsch». Si le limogeage de Amine Mazouzi du poste de PDG de la compagnie pétrolière nationale a surpris plus d'un, c'est surtout la nomination de Abdelmoumen Ould Kaddour comme son successeur qui l'est au plus haut point. Le premier a réussi son challenge en redressant le bateau Sonatrach qui affiche des résultats positifs ; le second est un homme qui a été condamné par un tribunal militaire pour «intelligence avec une puissance étrangère» alors qu'il était à la tête de l'entreprise algéro-américaine BRC qui a tant fait parler d'elle, il y a une dizaine d'années. Il s'agit d'une réhabilitation d'un homme condamné à 30 mois de prison pour «divulgation d'informations secret défense» en le désignant aux commandes d'une entreprise publique stratégique. Un scénario improbable qui a provoqué un sentiment de sidération générale. «C'est une énième provocation», tempête Louiza Hanoune. Comment une telle opération a pu avoir lieu au moment même où le gouvernement prêche la «rigueur» qui sied aux temps de crise ? Pourquoi un tel changement brusque alors qu'avec l'équipe Mazouzi, la puissante compagnie pétrolière a retrouvé une confiance et a redoré son image sapée par une série de scandales ? Que s'est-il réellement passé ? Retour sur un changement à la tête de la compagnie nationale des hydrocarbures dont l'opinion a du mal à s'expliquer les raisons et, surtout, les motivations. Ce lundi 20 mars, le PDG de la puissante Sonatrach Amine Mazouzi ne se doutait pas que son sort à la tête du groupe pétrolier allait être scellé quand la veille, le ministre de l'Energie, Noureddine Boutarfa, l'appelle pour lui demander de convoquer une réunion du conseil d'administration de la société pour «faire une communication». Ce jour-là Amine Mazouzi se rend sereinement à son bureau au dixième étage de la tour Sonatrach qu'il occupe depuis mai 2015. A peine pris leurs sièges pour écouter la «communication» du ministre de l'Energie, les membres du conseil d'administration et leur tête le PDG, M. Mazouzi, viennent d'assister à leur grand étonnement au limogeage du boss séance tenante. Stupeur générale. Coup de tonnerre. Noureddine Boutarfa annonce à l'auguste assemblée que désormais le nouveau patron de la compagnie sera Abderrahmane Ould Kaddour. «Le temps s'est figé, l'annonce nous a laissé sans voix, nous n'avons même pas eu le temps de glisser un quelconque commentaire», témoigne un des présents à la scène. Un choc double : l'exécution en plein vol de Amine Mazouzi qui, avec son équipe, a pu redorer l'image de la compagnie et surtout réaliser en un temps record les objectifs fixés, et la nomination d'un personnage que l'opinion croyait à jamais banni de la vie publique en raison de sa condamnation pour une affaire grave. Le jour même, M. Boutarfa installe le nouveau patron, le partant encaisse le coup, assure la passation de pouvoir, range ses cartons et rentre chez lui, laissant derrière lui le géant pétrolier. Le staff managérial, composé essentiellement de quadras compétents craignent que la compagnie replonge dans l'instabilité. L'affaire est pliée en une matinée. Dans l'urgence le ministre Boutarfa publie l'information sur la page facebook du ministère. Selon des sources sûres, le Premier ministre Abdelmalek Sellal n'était pas informé du changement qui s'est produit brusquement à la tête du grand groupe pétrolier, lui qui avait présidé la cérémonie de l'installation du désormais ex-patron de la Sonatrach le 25 mai 2015. Neuf jours après, le décret de nomination de Ould Kaddour n'est pas encore établi, du moins il n'est pas rendu public. Que reproche-t-on à Mazouzi ? Polytechnicien, diplômé de l'Ecole centrale de Paris et détenteur d'un doctorat de l'université Paris VI, Amine Mazouzi a fait toutes ses classes au sein de la société. Il a assuré la direction de différents services, est un pur produit de la boîte dont il connaît les moindres recoins, des installations pétrolières dans le désert jusqu'aux travées de la Tour de Hydra. Lors de son installation, le premier ministre lui fixe un objectif : «doubler la production du pétrole pour faire face à la crise». A-t-il échoué ? Non seulement ce but a été largement atteint en quelques mois, mais Sonatrach a pu tenir ses engagements internationaux et assuré la demande nationale. Malgré une conjoncture défavorable en raison de la chute des cours du pétrole, l'image altérée de la compagnie, la compagnie pétrolière a dès les 4em trimestre de l'année 2016, augmenté ses exportations de 10%. Dès le second semestre 2015, elle amorcé une dynamique de croissance. La nouvelle stratégie de l'équipe Mazouzi a donné ses résultats avec une maîtrise des charges, une réallocation des ressources à l'exploration, l'exploitation et le développement. Mazouzi à qui certains milieux «d'experts» reprochaient «le manque de charisme», a réussi un déploiement de la compagnie à l'international. S'appuyant sur une équipe efficace, Mazouzi a pu négocier et résoudre les conflits, notamment avec Total et Engie. Un programme de développement du groupe (2015-2019) est mis en place, consistant essentiellement en la réalisation de quatre nouvelles raffineries (Hassi-Messaoud, Tiaret, Arzew et Biskra) d'une capacité de cinq millions de tonnes chacune par an. «L'entrée en production des nouvelles raffineries et des unités de conversion devrait intervenir en 2020 et l'offre nationale en carburant permettra de satisfaire, jusqu'à 2040, la demande en carburant du marché national et de dégager des quantités excédentaires à l'export.» L'équipe de l'ex-PDG a placé au cœur de son action, la rigueur dans la gestion et la rationalisation des dépenses. Un choix qui n'a pas manqué de gêner certains milieux habitués à se sucrer impunément de «la vache laitière». «Avec lui, pas un sou dépensé sans qu'il soit justifié, même une rame de papier achetée doit être répertoriée. Il a instauré une rigueur budgétaire implacable. C'est un homme qui ne signe pas facilement», témoigne un cadre de la compagnie. «Il est fort à parier que Mazouzi est victime de son succès et de sa rigueur dans la gestion de Sonatrach», jure un autre cadre de la boîte. Rapidement, une stratégie de harcèlement est mise en branle pour lui rendre la tâche difficile. D'abord, le ministre Salah Khebri s'ingénue de s'interférer dans la gestion de la compagnie. Il se heurte à la résistance de Amine Mazouzi. L'arbitrage du Premier ministre est sollicité et tranche en faveur du PDG. L'arrivée de Noureddine Boutarfa n'a pas arrangé les choses. A peine nommé, le ministre cherche à s'immiscer dans les affaires et la gestion de la compagnie. «Boutarfa est allé jusqu'à tenter d'imposer des hommes à lui dans le staff dirigeant», nous confie une source à Sonatrach. C'est mal connaître le fils du maquisard, le regretté Mohamed-Saïd Mazouzi. Droit dans ses bottes et «carré», Amine Mazouzi s'y oppose farouchement tant la réglementation est de son côté. L'organisation, le management et la gestion dépendent exclusivement des organes sociaux de la compagnie que sont l'assemblée générale et le conseil d'administration. Les rapports entre le patron de Sonatrach et le ministre de l'Energie sont devenus exerçables. Une campagne insidieuse menée contre l'équipe dirigeante est lancée via certains «expert» qui s'estiment détenteurs de la légitimité pétrolière. Pourquoi Ould Kaddour ? Au terme de 22 mois d'exercice qui a permis à Sonatrach de se redresser et de retrouver sa bonne santé économique et surtout son image, Amine Mazouzi est éjecté du navire pour céder le gouvernail à un homme jugé et condamné par un tribunal militaire, Ould Kaddour en l'occurrence. Noureddine Boutarfa, qui veut faire croire que c'est lui qui a mis fin aux fonctions de M. Mazouzi, a demandé au nouveau patron de Sonatrach d'agir «en toute confiance et avec exemplarité» ! Que faut-il comprendre ? Comment Sonatrach, sur laquelle repose l'économie du pays, est confiée à un personnage disqualifié par la justice ! Qui a décidé de cette nomination et pourquoi ? Dans certains milieux d'affaires, l'on tente de faire oublier un passé difficile à assumer et fabriquer une image neuve de Ould Kaddour, louant ses «compétences et connaissances des rouages de la géostratégie pétrolière», assurant qu'il était «victime d'un règlement de comptes dans une lutte clanique au sommet du pouvoir». Cette nomination s'inscrit en droite ligne avec la réhabilitation politique de Chakib Khelil qui s'apparente à un «doigt d'honneur» à l'adresse l'ex-patron du DRS. Avec le retour de Ould Kaddour c'est «l'époque Toufik qui est jugée», commente un connaisseur du sérail. Une revanche ? Des observateurs avertis n'excluent pas la main de Khelil dans ce retour en grâce de Ould Kaddour. Il aurait persuadé les hommes influents de la présidence pour nommer l'ancien patron de BRC pour un double objectif. D'abord et en ces temps d'austérité, il est plus facile de «forcer» la main à un homme dont la légitimité morale fait défaut. «Ould Kaddour ne pourra pas dire non aux sollicitations du pouvoir. Il ne pourra rien refuser», commente un ancien ministre. Faut-il rappeler que Sonatrach a engagé plus de 60 milliards de dollars pour les prochaines années. Un montant qui n'est pas sans aiguiser des appétits insatiables. Ensuite, cette nomination serait un «message, ou plutôt une offre de service» aux majors américains, notamment ExxonMobil dont «les amis politiques» sont aux commandes à Washington. L'actuel secrétaire d'Etat Rex Tillerson en était le PDG de 2004 à janvier 2017. Le pouvoir de Bouteflika, pris dans une fin de règne incertaine, cherche-t-il l'appui et le parapluie américains ?