Neuf mois après un putsch manqué contre le président Recep Tayyip Erdogan, les Turcs sont appelés à voter aujourd'hui pour ou contre une révision constitutionnelle qui prévoit notamment la suppression du poste de Premier ministre au profit d'un hyperprésident qui concentrera entre ses mains de vastes prérogatives. Le gouvernement présente cette réforme comme indispensable pour assurer la stabilité du pays et pour lui permettre d'affronter les défis sécuritaires et économiques. Mais l'opposition y voit une nouvelle dérive autoritaire d'un homme qu'elle accuse de chercher à museler toute voix critique, surtout depuis la tentative de coup d'Etat du 15 juillet dernier par des militaires factieux. Ce référendum intervient alors que l'ONU accuse justement la Turquie de «violations massives» contre le droit à l'éducation et au travail, affirmant que 134 000 fonctionnaires ont été démis de leurs fonctions depuis l'instauration de l'état d'urgence au lendemain du putsch manqué du 15 juillet. Le ministère turc des Affaires étrangères a rejeté ce qu'il a décrit comme une «déclaration politique» en amont du référendum. L'AKP et le MHP, même combat Le parti au pouvoir, l'AKP (islamo-conservateur), porte ce projet avec le parti nationaliste MHP. Une alliance nécessaire mais fragile, les nationalistes étant divisés sur la réforme. Certains le soupçonnent de vouloir diviser le pays. Le président Tayyip Erdogan a dû rassurer vendredi ses alliés nationalistes après que le dirigeant du MHP, Devlet Bahçeli, a accusé un conseiller de M. Erdogan d'avoir suggéré que le fédéralisme était envisageable après le référendum. «Il n'y a rien de tel à l'agenda», a assuré le président turc. Le MHP s'oppose à toute sorte de fédéralisme qui accorderait, notamment aux régions kurdes du sud-est de la Turquie, une forme d'autonomie. Les observateurs estiment que l'issue du référendum sera grandement déterminée par l'électorat nationaliste, qui s'oppose à toute concession envers les Kurdes et redoute un adoucissement de la position de M. Erdogan sur cette question après le scrutin. Signe de l'inquiétude suscitée chez les dirigeants turcs par les remarques de M. Bahçeli, le Premier ministre a affirmé vendredi qu'il remettrait immédiatement sa démission, «s'il y a un seul article dans (la réforme constitutionnelle) ouvrant la voie à un Etat fédéral». L'argument sécuritaire Ankara avait initié, en automne 2012, un processus de réconciliation avec le PKK pour mettre fin au conflit armé de trois décennies ayant fait plus de 40 000 morts. Mais deux ans et demi plus tard, ce processus a volé en éclats avec la reprise des attaques contre les forces de sécurité. Le sud-est du pays est le théâtre d'opérations d'envergure lancées par les forces de sécurité, depuis la fin de 2015, en vue d'éliminer le PKK des zones urbaines. Plus de 10 000 rebelles ont été neutralisés, depuis de cette date, à l'intérieur du pays et dans les raids aériens de l'aviation turque dans le nord de l'Irak (bases arrière de la guérilla) et plus de 800 membres des forces de sécurité (soldats, policiers et gardiens de village) ont été tués dans les accrochages et attaques du PKK, ainsi que plus de 300 civils. La sécurité occupe également une grande place dans l'organisation du scrutin, les autorités multipliant les arrestations dans les milieux terroristes. Cinq membres présumés du groupe terroriste autoproclamé Etat islamique (EI), soupçonnés de préparer un attentat d'envergure avant le référendum, ont été interpellés vendredi à Istanbul, alors que 19 autres avaient déjà été arrêtés mardi dernier à Izmir (ouest). Daech a appelé, dans le dernier numéro de son hebdomadaire Al Naba, à des attaques contre les bureaux de vote lors du référendum. La Turquie a été frappée ces derniers mois par une vague sans précédent d'attaques meurtrières, liées au groupe EI et à la rébellion kurde. Quelque 33 600 policiers seront déployés aujourd'hui à Istanbul pour assurer la bonne tenue du scrutin, selon l'agence progouvernementale Anadolu. M. Erdogan, 63 ans, a occupé le poste de Premier ministre entre 2003 et 2014 avant d'être élu Président, une fonction censée être largement protocolaire. Aux termes de la révision constitutionnelle,, il pourrait rester au pouvoir jusqu'en 2029.