Vingt-six années après la promulgation de la loi sur la monnaie et le crédit qui instaura pour la première fois la convertibilité commerciale du dinar, l'Algérie ne dispose toujours pas d'un marché des changes fonctionnant selon les règles universelles. L'autorité monétaire algérienne, ayant raté l'occasion de le faire durant les quinze dernières années d'embellie financière, il n'y a aucune chance qu'elle le fasse en ce temps de restrictions budgétaires et de rapide déclin de nos réserves de change. Le gouverneur de la Banque d'Algérie, Mohamed Loukal, a, du reste, mis officiellement fin devant les sénateurs qui l'avaient interpellé sur sa politique monétaire, à tout espoir de convertibilité du dinar, de création de guichets de change, ni même d'augmentation des allocations de voyage et de soins à l'étranger restées les mêmes depuis, au minimum, deux décennies. La dégradation des réserves de change l'aurait contraint à mettre en stand-by (en attente) sa politique de change pour gérer du mieux possible le matelas de devises disponible jusqu'à la remontée probable des cours des hydrocarbures fixée à la fin de l'année 2019. Cette institution devait pourtant s'y employer énergiquement dès la fin des années 1990, avec notamment la promulgation d'une batterie de textes régissant la convertibilité commerciale du dinar, le marché interbancaire de change, le fonctionnement des guichets de change courants, ainsi que le mode de calcul des allocations devises à octroyer aux voyageurs vers l'étranger (touristes, hommes d'affaires, étudiants et malades soignés hors du pays). L'arsenal juridique et réglementaire en question fut globalement achevé en 1998, mais sa mise en œuvre n'a, pour diverses raisons, jamais été appliquée, exception faite pour la convertibilité commerciale du dinar devenue indispensable aux importations qui venaient d'exploser avec l'envolée des cours du pétrole et l'entrée de l'Algérie dans la zone de libre-échange euro-méditerranéenne. En effet, les guichets publics de change, dont la réglementation a pourtant été rendue publique en 1998, n'ont toujours pas ouvert, tandis que le marché interbancaire, créé deux années après, fonctionne beaucoup plus comme une administration, sous tutelle de la Banque d'Algérie, que comme un espace où se confrontent offres et demandes de devises. Cette instance de laquelle on attendait beaucoup pour, notamment, vulgariser la culture cambiste, n'a malheureusement jamais pu jouer convenablement son rôle, du fait qu'elle soit contrainte d'agir, non pas, en tant que place financière autonome, mais en tant qu'instance de régulation monétaire assujettie à la Banque d'Algérie, seule habilitée à détenir et à faire commerce des devises. En résultent des régimes de cotation déterminés non pas par la réalité du marché, mais par la Banque Centrale algérienne, qui peut faire fluctuer à sa guise les parités du dinar, quand bien même les cotations imposées ne seraient pas le reflet de l'état général de notre économie. Comme on l'a souvent constaté, les taux de change issus des séances de citation de ce marché interbancaire sont en effet généralement déconnectés des grands agrégats macroéconomiques (inflation, réserves de changes, balance des paiements, etc.), rarement pris en considération dans le calcul de la parité du dinar par rapport aux devises. La parité se reflétait dans le marché parallèle De l'avis des spécialistes du FMI et de la Banque mondiale, la parité qui refléterait le mieux l'état de l'économie algérienne se trouverait sur le marché parallèle de la devise, qui, comme on le sait, accorde une valeur nettement moindre au dinar. Pour quelle raison la Banque d'Algérie tient-elle à maintenir le dinar en situation de faiblesse, autrement dit, à le sous-coter par rapport aux devises fortes? La principale raison que cette dernière semble appliquer comme un dogme, a trait à la politique monétaire qu'avait imposée le Fonds monétaire international à l'Algérie au plus fort de la crise des années 1990, en lui recommandant d'avoir un dinar faible pour, notamment, inciter les sociétés étrangères à investir en Algérie, stimuler les exportations hors hydrocarbures et doper le budget de l'Etat par simple conversion en dinars des recettes d'hydrocarbures libellées en dollars. Il y a également à la base du maintien du dinar à un niveau bas, la très contestable crainte qu'un dinar fort exacerbe les importations et pénalise les exportations qui, faut-il le rappeler, sont aujourd'hui insignifiantes en dépit d'un dinar en constante dérive. Le déclin des réserves de change sur lesquelles repose en grande partie la valeur du dinar plaiderait enfin pour une dévaluation progressive au gré de l'amoindrissement de ce matelas de devises, qui, sous l'effet de la baisse des recettes pétrolières et des lourdes dépenses d'importations, fond comme neige au soleil. Pour prémunir les opérateurs économiques contre cette dérive du dinar, on avait projeté de mettre en place un marché des changes à terme, qui permettrait aux entreprises de se prémunir contre la volatilité des monnaies étrangères. Ce dernier sera malheureusement abandonné, livrant les entrepreneurs algériens aux risques des pertes de change. En fermant les portes à la convertibilité du dinar, aux bureaux de change et à l'indexation des allocations devises sur les cours réels, le gouverneur de la Banque d'Algérie ne fait en réalité qu'encourager les demandeurs de devises à s'adresser au marché parallèle, qui, comme on le sait, n'est pas alimenté par l'argent du pétrole mais par celui des émigrés. Celui qui lui laisse plus de latitude pour maintenir le plus longtemps possible nos réserves de change qui ne seront plus que de 100 milliards de dollars en juin prochain. Un niveau d'alerte pour un pays dont la population augmente de plus d'un million de personnes chaque année et dont le bon fonctionnement économique et social dépend quasi exclusivement de l'épaisseur de ce matelas de devises essentiellement alimenté par les recettes d'hydrocarbures.